CinémaComédieDrameErotique / X

Avere vent’anni – Fernando Di Leo

avereventanni

Avere vent’anni. 1978

Origine : Italie
Genre : Comédie érotico-dramatique
Réalisation : Fernando Di Leo
Avec : Lilli Carati, Gloria Guida, Ray Lovelock, Vittorio Caprioli…

Faisons simple : Avere vent’anni est une version italienne de la première partie de La Dernière Maison sur la gauche, celle allant jusqu’à la mise à mort des deux filles par les quatre psychopathes, à ceci près que la rencontre fatale s’effectue ici dans les dernières minutes du film. Il n’y a donc guère l’occasion de se montrer choqué par un film qui passe la majeure partie de son temps à suivre deux jeunes femmes guillerettes en balade à Rome. Quant à la scène finale, cinq minutes montre en main (vingt si l’on compte ses prémisses), sa fugacité et sa cruauté constituent certes une douche froide vis-à-vis de tout ce qui précédait, mais elle peine à égaler le degré de malaise suscité par le film de Wes Craven. Et pourtant, le film de Di Leo provoqua un tollé en Italie, au point qu’il fut retiré de l’affiche en quelques jours pour être radicalement remonté et censuré. Longtemps, cette version tronquée fut la seule accessible au public (il fallut attendre 2004 et l’édition DVD italienne parue chez Rarovideo & Nocturno pour voir le film dans sa version initiale). Sa scène finale, expurgée de son climax et se terminant positivement (les flics débarquent avant le plus croustillant), fut replacée au début du film, entraînant une profonde révision de toute la structure établie par Di Leo, générant au passage la suppression d’une scène de lesbianisme. En tout, c’est presque un quart d’heure qui fut supprimé purement et simplement. Sans queue ni tête, avec des scènes recasées au hasard et un doublage prenant de grandes libertés avec les dialogues originaux (créant des sous-intrigues qui n’ont rien à faire là… et parfois juste pour le plaisir de faire dire autre chose aux personnages), ce remontage n’a plus rien à voir avec le Avere Vent’anni de Di Leo. A côté du massacre dont il fut victime, certains films hollywoodiens générant des scandales à n’en plus finir pour trois minutes manquantes font sourire. Profitons-en d’ailleurs pour remercier les éditeurs Rarovideo et Nocturno, qui eurent la bonne idée de vendre les deux versions d’Avere vent’anni l’une avec l’autre.

J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie.” Cette phrase de Paul Nizan tirée du livre Aden Arabie ouvre le film, qui sera tout entier dédié à son illustration. Intelligemment, Fernando Di Leo prend pour actrices principales Lilli Carati (dans le rôle de la brune Tina) et Gloria Guida (la blonde Lia), deux égéries des sexy comédies italiennes, qui à défaut d’être d’excellentes actrices sont parfaites dans le rôle de jeunes femmes aguichantes et un peu stupides. Parties sans le sou prendre du bon temps dans la ville, elles trouvent refuge dans une communauté hippie gérée par Nazariota (Vittorio Caprioli, lui aussi habitué aux sexy comédies), homme roublard toujours à la recherche d’argent pour financer la communauté. Elles y croisent aussi la route d’un allumé ésotérique grimé en Pierrot passant ses journées à méditer, celle d’une mère célibataire entretenant ses bébés triplés, celle de Riccetto, un guignol à la Alvaro Vitali et celle d’un camé léthargique joué par Ray Lovelock. L’humour est donc très présent, prenant une forme aussi bon enfant que celle des sexy comédies, encore que l’enjeu de base de celles-ci, à savoir se moquer d’une institution, ne soit pas de mise. Les moqueries, Di Leo les garde pour ses deux héroïnes âgées de vingt ans. La citation de Paul Nizan prend alors tout son sens : sans en rajouter, Di Leo ironise sur la futilité de ses deux jeunes femmes insouciantes, qui du haut de leur vingt ans espèrent échapper à un mode de vie tout tracé. Tina recherche le sexe par pur plaisir, elle considère les hommes avec un regard chosifiant, désireuse d’inverser les valeurs de soumission en vigueur au sein de sa propre famille (“nous sommes belles, jeunes et en colère”, clame-t-elle à qui veut l’entendre). Lia, quant à elle, est bien plus discrète. Orpheline, élevée chez les bonnes soeurs, elle cherche avant tout à vivre une vie marginale et se trouve bien plus proche du mysticisme de “la communauté” que sa copine. Son attrait face au sexe est relatif, et elle préfère un rapport honnête même non conformiste à un rapport pour le simple plaisir ou pour l’argent (c’est elle qui initie Tina au lesbianisme).

Il faut bien admettre que des deux, c’est Tina qui se fait le plus remarquer par son caractère impétueux, entraînant davantage de désillusions comiques que les attentes de Lia, moins matérielles. Sa quête de sexe (elle n’a que ce mot-là à la bouche, si je puis dire) dans le milieu planant de la communauté prend le contre-pied total des hôpitaux, lycées ou autres régiments militaires peuplés de chauds lapins que l’on peut voir dans les sexy comédies. A l’instar du personnage de Ray Lovelock, tous les mâles de la communauté passent leur temps à planer, inertes, et aucun ne se montre attiré par la chaude jeune femme malgré ses tenues légères. Seul Riccetto est intéressé, mais la jeune femme juge que le choix de l’amant doit venir d’elle. Alors elle s’énerve, s’engueule avec les rares bougres qui bougent un tant soit peu et finit par abandonner sa fierté en couchant pour de l’argent avec des clients trouvés par Nazariota (prêt à tout pour gagner des ronds). Mais même là, les amants déçoivent et s’en vont après deux minutes. La jeune femme doit alors aller échauder des vieux intellectuels en prétextant venir vendre des encyclopédies pour le compte de Nazariota et de sa communauté. Di Leo ironise beaucoup sur Tina, se plaisant à ne pas satisfaire les exigences de cette morveuse trop sûre d’elle-même. Le zen et le discours spirituel du Pierrot posté dans sa chambre sont le paroxysme de la moquerie. Quant à Lia, très effacée, elle prend les choses du bon côté avec son rire d’écervelée (précisons aussi que Gloria Guida chante la chanson-titre très “pop” du film), ce qui en fait tout de suite un personnage moins comique. Ceci dit, la scène la plus drôle ne concernera ni Tina ni Lia, et viendra rappeler que Fernando Di Leo brillait encore peu de temps avant dans le milieu du polar musclé. C’est que la police désire fermer la communauté, et le commissaire Zambo (Giorgio Bravardi) débarque en trombe avec ses hommes pour fouiller les lieux et procéder à des interrogatoires musclés. Un à un, les principaux membres de la communauté s’entretiennent avec lui. Ce qui donne lieu à autant de sketchs entre les allumés hippies attardés et ce flic en colère à qui l’on ne répond que des conneries, ce qui le met encore plus en rogne. D’une rage très latine, Zambo est expressif, meugle, doit supporter les imbécilités de Pierrot sur le corps astral, les sarcasmes de Ray Lovelock sorti de sa torpeur à coup de bourre-pifs, la théâtralité de Riccetto qui joue à l’opprimé en simulant des convulsions, les “je ne suis au courant de rien” d’un Nazariota qui se révèle être un politicien en disgrâce…

Di Leo égratigne certes le travail de la police, qui dans ces conditions et avec un tel sauvage incapable en guise de commissaire perd de sa superbe (la drogue trouvée dans les fouilles et pour laquelle ce pataquès a lieu se révélera être du talc pour bébé), mais il s’en prend aussi à tous ces jeunes hippies irresponsables, fourvoyés dans la bêtise faute d’avoir su renoncer à des idéaux en échec. Tina et Lia ne sont finalement que d’autres spécimens de cette faune de paumés, qui en se confrontant à la vraie vie ne feront que se heurter à l’incompréhension, voire s’exposeront à de grands dangers. C’est ce qui sera à l’origine de la mésaventure finale rencontrée par les deux jeunes femmes, qui ont cru pouvoir laisser libre cours à leurs sensualité face à des gangsters sans s’engager à l’acte sexuel. Tout le monde n’est pas aussi stone que les hippies, pas aussi timide qu’un retraité ou aussi coincé qu’un professeur d’université. Tina et Lia seront passées de nombreuses fois à travers les mailles du filet, mais leur volonté de se croire tout permis, propre à cette jeunesse ridicule et imbue d’elle-même, les conduit forcément à de graves désenchantements. Tout en se gaussant de ses personnages principaux, Di Leo souligne le caractère imprévisible d’une société désarçonnée par la révolution des mœurs de la fin des années 60. Là où certaines personnes ont admit la libération morale des femmes, d’autres comme l’espèce de mafia rencontrée par Tina et Lia n’ont pas et ne son pas prêtes à l’admettre. Ce monde déséquilibré ne vaut alors plus grand chose, et personne n’y apparaît comme sympathique.

Moins légère qu’il n’y paraît de prime abord, la version intégrale de Avere vent’anni apparaît finalement comme une combinaison des sexy comédies à l’italienne et des comédies sociales à la Joël Séria (le personnage de Tina peut d’ailleurs être vue comme l’équivalent féminin du Jean-Pierre Marielle de …comme la lune). A défaut d’être original dans le discours qu’il tient, Di Leo parvient à surprendre en donnant une véritable profondeur à un film en apparence anodin, que l’on a trop souvent tendance à résumer à une seule scène finale, valant plus par le décalage qu’elle provoque que par sa capacité à choquer. A n’en pas douter, l’aura surfaite de cette fameuse scène (qui soi-disant aurait fait s’évanouir les actrices au moment du tournage) ne jouera jamais en faveur du film, et bien déçus seront ceux qui croiront assister à un film-choc. Dommage, car le film possède d’autres qualités non négligeables.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.