Le Coucou – Francesco Massaro
Il Lupo e l’agnello. 1980Origine : Italie / France
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Le français Léon (Michel Serrault) vit sous une véritable dictature matriarcale italienne. Seul homme de la maison, il est écrasé par les reproches incessants que lui adressent sa femme, ses deux filles et sa belle-mère Fanny, cette dernière étant en outre la patronne du salon de coiffure qui l’emploie, et duquel toute cette situation est partie. Même Fonzy, le copain gominé de sa fille adolescente, le considère comme un moins que rien. Un soir, un bandit en cavale répondant au sobriquet de “Coucou” (Tomas Milian) fait irruption dans leur maison, envisageant de s’y planquer jusqu’à ce que son comparse vienne le chercher. Pendant que les mégères se taisent sous la menace d’une arme et que le bandit impose sa loi, Léon se sent comme un coq en pâte. Il tient sa revanche, surtout qu’il s’entend plutôt bien avec le Coucou.
Quelle singulière association que celle unissant Tomas Milian et Michel Serrault. Deux acteurs qui au moment des faits sont caractérisés par des rôles diamétralement opposés : l’italo-cubain est alors en pleine période “Nico Giraldi”, alias “Er Pirata” (une repompe officieuse de l’Er Monnezza créé par Dardano Sacchetti pour Le Clan des pourris de Umberto Lenzi) et triomphe dans la peau de ce tribun romain grossier et facétieux. Quant à Michel Serrault, il reste indissociable de l’image de Zaza, l’homosexuel maniéré de La Cage aux folles, qui en cette année 1980 allait connaître sa première séquelle cinématographique, co-produite comme le premier film entre la France et L’Italie. C’est d’ailleurs probablement ce qui permit au Coucou de voir le jour, car sans cela il n’est pas sûr que Michel Serrault se serait déplacé jusqu’en Italie simplement pour tourner le film de Francesco Massaro. Et si Michel Serrault n’avait pas été là, pas sûr non plus que Tomas Milian aurait tourné un semblable film entre deux opus impliquant Nico Giraldi. Du reste, chacun des deux acteurs ne varie pas tellement son style de jeu… Milian apparaît avec la même barbe, la même coupe en vrac, le même bonnet et surtout le même caractère que lorsqu’il incarne Nico Giraldi, et Serrault trouve le moyen de jouer aux grandes folles, même si dans son cas ce n’est que le temps de quelques scènes, lorsque son personnage se trouve au salon de coiffure. Le reste du temps, il incarne ce triste père de famille en voie d’émancipation. Les scénaristes n’ont pas été chercher bien loin, ce qui est assez dommage quand l’on songe que dans l’armada de gens qui s’y sont collés figurent d’un côté Bruno Corbucci et Mario Amendola, respectivement réalisateur et scénariste attitrés de la série des Giraldi, et de l’autre Michel Audiard, qu’on ne présente plus et qui est ici en petite forme. L’improbable alliance des scénaristes couplée avec l’improbable alliance des acteurs auraient certainement pu déboucher sur autre chose que cette assez décevante comédie qui a bien du mal à assumer une quelconque portée anarchisante. L’humour du Coucou (le film, non le personnage) ne repose en fait que sur ses clichés : cliché misogyne, cliché de la belle-mère despotique et envahissante, cliché des enfants sans-gêne, cliché du coiffeur français homosexuel… Cela démarrait pourtant pas mal, avec l’irruption du Coucou faisant souffler un grand vent libertaire sur la maisonnée, envoyant paître tous les symboles imposés par la belle-mère tant honnis par Léon. Le Coucou balance la nourriture macrobiotique, mange ses pâtes par poignées, il rote à table, il casse la vaisselle, fait des allusions grivoises à une tablée choquée et scandalisée; le tout à un rythme mitrailleur. Tomas Milian se livre à son petit jeu habituel de l’inculte décomplexé, ce qui est toujours bon à prendre, et trouve en Michel Serrault un comparse idéal, profitant de la situation pour provoquer à son tour la belle-mère en se cachant derrière la pseudo serviabilité pour le peu distingué bandit. Et puis assez vite, ça se gâte : déjà, le Coucou n’est pas un bandit aussi méchant que ça. Il est même plutôt sympathique et ne veut de mal à personne. C’est juste un gars pas bien futé qui accumule la malchance. Pour sa part, Léon ne se venge pas avec la virulence qu’on aurait pu imaginer, même quand sa famille ne peut retenir ses critiques. Bref, Massaro ne verse jamais tout à fait dans la satire du mode de vie bourgeois et préfère se concentrer sur l’influence réciproque entre Léon et le Coucou, le premier apportant au second une capacité de raisonnement dont il ne disposait pas et le second permettant de libérer le premier de ses chaînes. Les deux acteurs continuent à s’en sortir très honorablement, leur duo fonctionne bien, mais il manque indéniablement quelque chose pour faire passer cette comédie trop bon enfant à la vitesse supérieure. Comme par exemple davantage d’attention à l’égard de la famille de Léon qui, pour sa part, n’évolue aucunement durant tout la durée de cette séquestration, se transformant petit à petit en une toile de fond que les deux hommes se contentent de manipuler sans trop la brusquer. C’est que le Coucou et Léon sont alliés, mais restent officiellement dans un rapport de dominant et de dominé pour ne pas qu’on découvre leurs projets, au nombre desquels figurent la recherche du magot extorqué par la belle-mère à son gendre et planqué dieu sait où. Le Coucou continue ainsi de jouer le jeu du bandit intransigeant et Léon celui du père de famille docile, ce qui forcément conduit à un film beaucoup plus sage et répétitif que si les femmes et leur mode de vie avaient été perpétuellement rabaissées par ces deux hommes. Que l’on soit d’accord : il aurait été bien sûr inconvenant de faire du film une nouvelle Dernière Maison sur la gauche, mais il n’aurait certainement pas été superflu de se montrer tout de même beaucoup plus incisif vis-à-vis de la revanche prise par Léon avec l’aide du Coucou. Le film dilapide son potentiel et pâtit énormément de cette volonté de ne jamais choquer, certainement histoire de ne pas offenser les familles, qui constituent le public cible pour un film comme celui-là. Pour un peu, on pourrait croire que Massaro, Corbucci, Audiard, Milian et Serrault sont de mèche pour ne pas faire une comédie trop ambitieuse qui aurait été capable de faire de l’ombre à leurs futurs projets respectifs… ce qui renvoie Le Coucou à son statut de film fait “en passant”, à un moment où les équipes de La Cage aux folles 2 et des Nico Giraldi se trouvaient avec un peu de temps libre.
Tout de même, il y a de bonnes choses à sauver. Certains gags ne sont pas déplaisants, la verve de Milian et l’humour pince-sans-rire de Serrault permettant de sauver les meubles, de même que certaines scènes que l’on envisagera comme des sketchs (notamment les flash-back des deux personnages, celui du casse raté qui a amené le Coucou à la maison et celui de la première rencontre entre Léon et sa belle-mère), mais ce n’est pas suffisant pour apporter une plus-value à un film trop sage. Vraiment, la perspective de voir Tomas Milian déclamer des dialogues d’Audiard augurait autre chose qu’un film résolument moyen.