Le Bal de l’horreur – Paul Lynch
Prom Night. 1980.Origine : Canada
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L’effervescence gagne les couloirs du lycée Hamilton. Les préparatifs du grand bal de promotion scellant la fin du cursus scolaire pour les dernières années vont bon train. Élue reine de la promo en compagnie de son petit ami Nick McBride, Kim souhaite faire bonne figure sur la piste de danse et se prépare en conséquence. Ses amies Kelly Lynch et Jude Cunningham ont d’autres préoccupations. La première hésite à donner un tour plus charnel à sa relation avec Drew lorsque la seconde ignore encore s’il elle disposera d’un cavalier pour l’emmener danser. Quant à Wendy Richards, elle se refuse à accepter la fin de sa relation avec Nick et compte bien tout faire pour lui remettre le grappin dessus, quitte à saboter la fête pour parvenir à ses fins. Cette soirée occupe tellement les esprits que Kelly, Jude et Wendy en oublient cet inquiétant appel téléphonique reçu à tour de rôle le matin même. Et pourtant, l’auteur de ces coups de fil a bien l’intention de leur gâcher la fête en rappelant à leur bon souvenir une faute passée.
En dépit d’une carrière riche et diversifiée, Jamie Lee Curtis demeure indissociable du personnage de Laurie Strode et du film qui l’a vue naître : Halloween, la nuit des masques. Loin d’en prendre ombrage, elle s’en réjouit volontiers et ne rate jamais une occasion de reprendre le rôle qui a contribué à sa gloire, même après que celui-ci soit mort à l’écran, ou à communiquer de manière humoristique avec ses fans via les réseaux sociaux notamment via ses tweets mettant en parallèle Michael Myers et les gestes barrières au début de cette pandémie qui pollue toujours notre quotidien. Le début de sa carrière a donc été largement marqué par le film d’horreur en général et le slasher en particulier. Pour la seule année 1980, elle a tourné dans pas moins de trois films, dont deux slashers, Fog, Le Monstre du train et Le Bal de l’horreur qui nous occupe aujourd’hui. Production canadienne, rien ne prédisposait a priori Le Bal de l’horreur à compter Jamie Lee Curtis dans ses rangs. A l’origine, le rôle de Kim était promis à une actrice de télévision et Leslie Nielsen, eu égard à sa déjà longue filmographie, devait assurer seul l’attractivité du titre en occupant la tête d’affiche. C’était sans compter l’entêtement de la fille de Janet Leigh qui, via son agent, a fait connaître à la production son intérêt pour le film. Devant cette aubaine, Paul Lynch, dont c’était le troisième film, ne s’est pas fait prier pour changer son fusil d’épaule et accueillir à bras ouverts l’actrice emblématique. Si sa présence réhausse le prestige de cette modeste production, elle ne bouscule en rien le tournage en lui-même. Jamie Lee Curtis n’est pas du genre à jouer sa star et imposer ses vues. Elle va dans le sens du collectif et tout le monde sur le plateau loue son professionnalisme, ses qualités humaines et son entrain. Si des changements ont été opérés (on parlera d’ailleurs davantage d’ajouts), ceux-ci répondent avant tout aux souhaits émis par le producteur Peter Simpson.
L’année 1980 marque le véritable point de départ de la vague de slashers qui déferlera sans discontinuer sur les écrans durant une bonne partie de cette décennie. Vendredi 13 – premier épisode d’une franchise qui engendrera pas moins de neuf séquelles, un cross-over avec l’une des franchises concurrentes (Freddy vs Jason), un remake et de nombreux produits dérivés (jeux vidéos, comics…) – sort au début du mois de mai et confirme l’attrait d’une frange du public pour le genre. Le Bal de l’horreur suit dès le mois de juillet. De prime abord, ce film relève davantage du whodunit, lorgnant du côté de Black Christmas, fleuron du cinéma d’horreur canadien, par l’intermédiaire d’appels téléphoniques inquiétants. Le récit s’ingénie alors à multiplier les suspects potentiels. Une liste sur laquelle figurent l’homme à tout faire un peu simplet du lycée, le petit ami éconduit alors qu’il pensait enfin pouvoir tirer son coup, voire le directeur lui-même auquel Leslie Nielsen prête ses traits et qui disparaît sans crier gare pile au moment où la tuerie commence. Peter Simpson jugeant cela insuffisant, il a initié l’ajout d’une sous-intrigue tournant autour du personnage de Leonard Murch, un obsédé sexuel bien connu des services de police de la ville et rapidement soupçonné d’être à l’origine de la mort de Robin Hammond 6 ans auparavant. Son évasion le jour même du bal de promo et la découverte de la dépouille de l’infirmière qu’il a kidnappée sur les lieux où le corps sans vie de Robin avait été trouvé contribuent à en faire le suspect n°1. Aux yeux du Lieutenant McBride, tout du moins. Car il ne faut pas se creuser bien longtemps la tête pour que la véritable identité de celui qui se cache sous le masque du tueur nous apparaisse comme une évidence. Cet ajout accentue la filiation entre Le Bal de l’horreur et Halloween plaçant les jeunes personnages du film sous la menace d’un hypothétique maniaque masqué, bien qu’ici ce soit pour des raisons esthétiques, Leonard Murch ayant eu le visage défiguré par les flammes lors de son arrestation. A défaut du Dr. Loomis pour le pourchasser – ici, le médecin concerné se défausse rapidement de toutes responsabilités – le récit peut compter sur l’entêtement aveugle du Lieutenant McBride dont l’action se borne à faire le pied de grue dans les couloirs du lycée jusqu’à un dénouement qui le dépasse. Avec un flic comme lui, les habitants de la ville ont bien du souci à se faire. Du reste, les personnages ne brillent guère par leur vivacité d’esprit à l’image de Lou Farmer, aussi benêt que laid, et sur les pas duquel Paul Lynch s’attarde pour nous rejouer Carrie au bal du diable en mode disco. Pour son premier film d’horreur, Paul Lynch n’a pas froid aux yeux et n’hésite pas à s’inspirer des meilleurs, quand bien même son travail dusse en souffrir à la comparaison. Il n’a pas le sens du cadrage de John Carpenter, ni la sécheresse et la noirceur du style de Bob Clark et encore moins la maestria outrancière de Brian De Palma. La mise en place de l’intrigue traîne en longueur sans qu’aucun détail ne vienne titiller l’intérêt. Les personnages s’avèrent fadasses, Kim Hammond en tête, et leurs interactions peu enthousiasmantes. Ainsi, le plan “machiavélique” fomenté par Wendy pour récupérer son ex n’a guère le temps de s’épanouir au-delà de la scène choc pour laquelle il semble uniquement avoir été pensé. Et lorsque le tueur se met enfin en action, il brille par sa maladresse (gag de son électrocution après avoir touché des fils électriques avec le tranchant de sa hache) et une gestuelle étrange à base de sautillements et d’une démarche chaloupée. Au point que par moment, il donne l’impression d’être sous l’emprise de l’alcool. Bref, Le Bal de l’horreur n’offre rien de mémorable, ni sur le plan des péripéties et encore moins sur le plan formel où la photographie souffre souvent de contre-jours qui saturent l’image.
Il y a néanmoins un point sur lequel Le Bal de l’horreur se révèle original et cette originalité tient à son personnage principal, ou plutôt à son immunité. Rapidement, on comprend que Kim Hammond n’aura rien à craindre de la vague de meurtres à prévoir puisqu’elle ne fait pas partie des cibles désignées. En revanche, à l’aune du prologue, il y avait possibilité la concernant de développer autour d’elle autre chose que cette pâle rivalité amoureuse assortie de ses préoccupations de midinettes concernant la bonne tenue de son sacre lors du bal de promo. Le drame liminaire met en lumière de manière efficace toute la méchanceté dont les enfants peuvent faire preuve entre eux ainsi que leur aptitude à la résilience. Quand on retrouve Wendy, Nick, Kelly et Jude six ans plus tard au terme de leurs années lycée, leur responsabilité dans la mort de Robin ne semble qu’un lointain souvenir. Chacun a poursuivi son petit bonhomme de chemin sans que les remords ne paraissent les étouffer. Seul Nick souffre en silence, et encore parce qu’il s’est amouraché de Kim, la sœur aînée, et qu’il voit mal comment poursuivre sa relation sans lui dire toute la vérité. Des scrupules que Kelly et Jude ne partagent pas alors même qu’elles sont très amies avec Kim. Quant à Wendy, elle demeure cohérente dans son attitude, constamment froide et hautaine et uniquement préoccupée par son seul bonheur, se fichant bien des états d’âme d’autrui. Kim vit donc dans un monde de mensonges et de non-dits sans que le récit ne cherche à lui ouvrir les yeux autrement qu’à l’aune de cette fin faussement surprenante. Il y avait pourtant quelque chose à creuser du côté de l’effondrement de son existence induit par le cours des événements. Et cela passait par un développement plus poussé des personnages secondaires et de leurs interactions avec Kim. Or ni Paul Lynch, ni ses scénaristes ne cherchent à explorer de nouvelles pistes, se bornant à un cache-cache mortel sans éclats. Alors que le slasher était encore balbutiant, cette frilosité et ce manque d’ambition sont dommageables et annoncent le principal écueil qui cantonnera les représentants du genre à n’être au mieux que sympathiques, faute d’idées fortes autres que pour les scènes de meurtres.
A sa manière, Le Bal de l’horreur rend impropre la formule lapidaire, et désormais usée, selon laquelle “c’était mieux avant”. Le film de Paul Lynch n’était déjà pas bien fameux à l’époque de sa sortie et ne l’est pas davantage même patiné par le passage du temps. Sauf que ce type de film étant souvent rentable, du moins à l’époque, pas moins de trois suites particulièrement opportunistes (Le Bal de l’horreur : Hello Mary Lou – 1987, Le Bal de l’horreur 3 : Dernier baiser avant l’enfer – 1990, Le Bal de l’horreur 4 : Délivrez-nous du mal – 1992) ont vu le jour, lesquelles n’entretiennent que peu de rapport avec le film original. Et en 2008, ultime consécration, Le Bal de l’horreur a eu droit à son remake à une époque où ceux-ci pullulaient à l’écran sans que celui-ci ne parvienne à relever un niveau déjà bien bas.