L’Arme parfaite – Mark DiSalle
The Perfect Weapon. 1991.Origine : États-Unis |
Venu saluer Kim, un vieil ami de son père avec lequel il a noué des liens très forts, Jeff Sanders interrompt brutalement la campagne d’intimidation menée par des membres de la mafia sud-coréenne. Les troubles-fêtes partis sans demander leur reste, Kim rassure l’impulsif jeune homme en lui assurant que sa situation s’arrangera dès qu’il se sera entretenu avec le chef de ces hommes. Sauf que la nuit-même, le commerçant trop confiant se fait assassiner dans son lit. Premier présent sur les lieux, Jeff se promet de le venger. Or le détective chargé de l’enquête n’est autre que Adam, son jeune frère, et celui-ci l’enjoint à se tenir tranquille sous peine de finir sous les verrous.
En ce début des années 90, le cinéma musclé vit encore de beaux jours aux États-Unis, consacrant une flopée de nouvelles vedettes. Alors que les efforts de Jean-Claude Van Damme commencent à porter leurs fruits, Steven Seagal connaît une ascension fulgurante en seulement quatre films (sa chute n’en sera que plus spectaculaire) tandis que d’autres noms – Dolph Lundgren, Michael Dudikoff, Sasha Mitchell – tentent de se frayer un chemin vers les sommets. La concurrence est rude mais répond à une demande accrue des spectateurs. Entre les studios, une lutte s’engage pour dénicher la perle rare qui leur permettra d’engranger le maximum de billets verts pour une mise de départ peu élevée. Loin des budgets inflationnistes de chaque nouveau film d’Arnold Schwarzenegger, acmé inaccessible pour ces jeunes loups qui ne boxent pas dans la même catégorie, les films de gros bras sont produits à la chaîne et à bas coûts, leur garantissant une rentabilité quasi immédiate. La nouvelle star ne court donc plus forcément les castings mais est à guetter du côté des salles d’arts martiaux. Champion de Kenpo américain, un art martial d’origine hawaïenne introduit puis élaboré par Ed Parker auquel le film est dédié, Jeff Speakman tape ainsi dans l’œil de David C. Wilson, lequel s’empresse de rédiger un scénario pour le mettre en valeur. Mark DiSalle, l’homme de l’ombre des premiers Van Damme (Bloodsport, Coups pour coups, Kickboxer), entre dans la danse en tant que réalisateur et ne tarit pas d’éloges sur cette nouvelle trouvaille. Pour l’anecdote, le cinéma n’était pas totalement étranger à Jeff Speakman dont la carrière se résume alors à de la figuration, notamment pour Full Contact, et au premier rôle de l’obscur thriller Side Roads. Produit par la Paramount, toute heureuse d’avoir enfin son spécialiste en arts martiaux maison, L’Arme parfaite ambitionne de lui servir de strapontin pour la gloire.
Les présentations avec ce nouveau héros s’effectuent d’abord par le geste. Seul chez lui, Jeff Speakman s’adonne à une chorégraphie martiale dans son salon sur fond de musique urbaine. « I’ve got the power ! » répète en boucle la choriste de ce morceau de Snap !. Et ce pouvoir prend ici le nom de kenpo. Il ne s’agit pas d’un art martial classique mais plutôt d’un outil, un mélange de diverses techniques de combats dont la maîtrise fait de vous un combattant redoutable. Et c’est le cas de Jeff. Ben oui, l’acteur et le personnage partagent le même prénom ! Et d’un, c’est plus commode et de deux, cela induit une certaine porosité entre la réalité et la fiction. Il se dit qu’un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Pas dans le cas de Jeff. Ou en tout cas, pas au sens super héroïque de la formulation. Pourtant, il partage quelques points communs avec lesdits super-héros. Par exemple, ses aptitudes au combat l’isolent de sa famille. Craignant ses coups de sang et la mauvaise influence qu’il exercerait à son insu sur son jeune frère, Carl Sanders intime l’ordre à son fils aîné de quitter la demeure familiale. Désormais sans attaches, Jeff vivote et ne se consacre plus à son art que dans l’intimité de son appartement. On devine un homme discret, presque effacé, qui s’efforce à faire profil bas pour ne pas avoir à se défendre. Mais prenez-vous à quelqu’un qui lui est cher et ses bonnes résolutions volent en éclats. La castagne, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas. Et dans le domaine, Jeff en connaît un rayon. La ligne directrice de ce type de ce film est d’une simplicité enfantine. Il convient d’aligner le maximum de scènes de bagarres afin de mettre en valeur la vedette du mieux possible, étant convenu que ces artistes martiaux ne brillent guère par leurs aptitudes à jouer la comédie. Et des bagarres, le film en regorge. Essentiellement en infériorité numérique – gagner ses galons de star d’action est à ce prix – Jeff Speakman fait l’étalage de toute sa science, le plus souvent à mains nues mais parfois muni de quelques ustensiles non négligeables tels le double bâton et le couteau. A l’occasion, il ne rechigne pas à casser un bras ou une jambe mais sans ce sadisme qui transpire du visage marmoréen de Steven Seagal, autre spécialiste en la matière. Il a beau se démener, rouler des mécaniques à l’occasion (la séquence du dojo), Jeff Speakman n’imprime pas l’image. Il promène cet air un peu hébété du type qui cogne d’abord et qui réfléchit ensuite. Et encore, réfléchir est un bien grand mot puisqu’il ne comprend la situation que lorsqu’on lui met les points sur les « i ».
Très premier degré, L’Arme parfaite questionne néanmoins sur sa manière d’aborder son héros. Mark DiSalle esquisse à gros traits les contours de Jeff Sanders à la faveur d’un long flash-back rébarbatif, nous le présentant sous un jour tragique, sa pratique du kenpo prenant valeur de malédiction. Mais par la suite, certains éléments concourent à le tourner en ridicule. Le grand méchant de l’histoire profite de son extrême naïveté pour le mener en bateau, utilisant la colère qui le consume de l’intérieur à des fins personnelles. Un double jeu évident que le pauvre Jeff ne parvient pas à déceler et qui lui vaut d’être raillé par un adolescent. Et pas n’importe quel adolescent ! Jimmy Ho renvoie à Jeff l’image de celui qu’il était au même âge, tous deux partageant ce même trauma lié à la perte prématurée de leur mère. Au fond, Jeff n’a pas réellement évolué depuis cette époque. Il réagit toujours comme un gamin. S’il est cette arme parfaite annoncée par le titre c’est avant tout par son manque de réflexion. Il incarne ainsi le petit soldat idéal, qui fait ce qu’on lui dit de faire sans se poser de questions. Voilà qui n’est pas très valorisant. Et comme si cela ne suffisait pas, on lui oppose en guise d’adversaire final, l’imposant Tanaka. Ancien lutteur ayant servi 10 ans dans les forces armées américaines, Toru Tanaka affiche 61 printemps au compteur au moment du tournage. Pour pallier à ce détail, le scénario le dépeint comme une force de la nature, capable de résister à une charge de taser où de se relever de deux accidents de la route successifs sans la moindre égratignure. Un dur au mal qui peut déplacer une voiture d’une seule main. Des aptitudes certes impressionnantes mais qui perdent de leur éclat dès qu’il doit marcher. La raideur de ses articulations trahissent le petit vieux qui sommeille derrière les artifices du cinéma. Il n’y a donc plus rien de glorieux à le terrasser. Le combat qui l’oppose à Jeff tient pourtant du morceau de choix et bénéficie en conséquence de toute l’attention de l’équipe technique, jusqu’aux artificiers. Ce combat revêt peut-être une portée symbolique pour Jeff. L’emporter face au prototype parfait de l’homme de main qui n’existe que par sa force brute reviendrait à se débarrasser une bonne fois pour toute de tout ce qui pollue son esprit depuis tant d’années. La force physique n’est pas tout. Il faut savoir faire preuve de discernement et tempérer ses ardeurs. Jeff a encore beaucoup à apprendre. Et c’est sans doute parce qu’il n’est pas encore un homme accompli que le récit lui refuse toute romance. Jennifer, sa partenaire de kenpo, reste à l’écart, jamais bien loin de Maître Lo, qui leur a tout appris. Condamnée au mutisme (difficile début de carrière pour Mariska Hargitay, future tête d’affiche de la série New York – unité spéciale), elle demeure une énigme et par sa seule présence – totalement inutile au récit, à croire que ses scènes ont été coupées au montage – distille un soupçon de suspense. Parlera t-elle ? Est-elle prisonnière de Maître Lo ? Son amante ? Des questions futiles et totalement déconnectées du film qui en disent long sur ses propriétés soporifiques.
La Paramount n’a pas tiré le gros lot avec Jeff Speakman et leur collaboration en restera là. Piètre film d’action, L’Arme parfaite ne présente que des intérêts annexes, comme celui d’aligner la plupart des acteurs sollicités dès qu’un scénario recourt au folklore asiatique, de Clyde Kusatsu à l’incontournable James Hong en passant par Mako, Cary-Hiroyuki Tagawa et surtout Al Leong, spécialiste du rôle riquiqui dans des films populaires (Les Aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin, L’Arme fatale, Piège de Cristal, Black Rain, …). Jeff Speakman poursuivra néanmoins sa carrière mais au niveau inférieur, autrement dit pour le marché de la vidéo. Un marché où se retrouveront au fil des ans la plupart de ces héros musclés, vestiges d’une époque désormais révolue.