La Quatrième dimension, le film – John Landis, Steven Spielberg, Joe Dante, George Miller
Réalisé en 1983 par John Landis, Steven Spielberg, Joe Dante et George Miller. Des réalisateurs fans de science-fiction vieille école. Une vieille école dont l’un des fleurons se nommait La Quatrième Dimension. Une série télévisée créée par le désormais célèbre Rod Serling, produite entre 1959 et 1965. Une série qui mettait en scène des personnages se retrouvant malgré eux au beau milieu de situations surréalistes et surnaturelles. Avec parfois des gens connus à tous les stades du générique : Richard Matheson, Burgess Meredith, Don Siegel, Ray Bradbury… Une série qui incontestablement marqua ses spectateurs, dont de futurs réalisateurs… Comme les quatre bonshommes cités plus haut.
Vingt ans après la fin de La Quatrième Dimension, le pari fut lancé de retrouver l’esprit de la série à travers un film qui constitua le pilote de la nouvelle génération de la série télé (qui ne connaîtra pas un grand succès d’ailleurs). Bien entendu, le film prit le format d’un film à sketch. Histoire que chaque sketch constitue une sorte d’épisode télévisé. Le tout relié par un fil rouge avec un préambule et une conclusion. Au départ, trois sketchs devaient être prévus, ceux de Landis, Dante et Spielberg (issus d’une même famille cinématographique). Puis George Miller, le formidable réalisateur australien des non moins formidables Mad Max 1 et 2 (il n’y a pas de Mad Max 3), se retrouva un peu par accident sur le plateau.
Le film démarre sur le même générique que la série, avec la musique et l’espace, parcouru d’objets de notre quotidiens…
Le prologue, réalisé par John Landis, nous plonge directement dans les années 60. Un automobiliste (Albert Brooks) et un auto-stoppeur (Dan Aykroyd), de nuit, qui sympathisent en écoutant la chanson “Midnight Special” des Creedence Clearwater Revival. Puis la cassette déconne et les deux personnages décident de parler télévision… Ils se raconteront leur jeunesse devant la télé, en se remémorant leur souvenirs des épisodes de La Quatrième Dimension (avec au passage une pique aux Outer Limits, la série rivale de l’époque). Puis ils joueront finalement à se faire peur…
Premier sketch : Time Out
Réalisé par John Landis.
Le seul à ne pas être le remake d’un épisode de la sérié télévisée de Rod Serling. Il nous raconte l’histoire de Bill Connor, un employé de bureau raciste, aigri (Vic Morrow). Il se trouve dans un bar, où il exprime sa haine des noirs, des juifs et de tous ceux qu’il ne considère pas comme de vrais américains. Très vite, Connor est amené à sortir du bar. Il sort. Et se retrouve en France occupée, au beau milieu de la seconde guerre mondiale. Le problème pour lui est que la population locale, ainsi que les nazis qui parcourent les rues, le voient comme un juif. Il sera poursuivi… jusqu’à atterrir à une autre époque. Celle du Klu Klux Klan, où il sera vu comme un noir… jusqu’à ce qu’il rechange d’époque, et se retrouve dans la peau d’un vietnamien pendant la guerre du Vietnam. Enfin, il finira de retour en France lors de la Seconde Guerre mondiale… pris au piège.
Toute l’histoire, dont le style est effectivement proche de la série télé (rien n’est expliqué), tient en un mot : ironie. Une ironie méchante. Le raciste se retrouve dans la peau de gens persécutés pour leur race ou religion. Il ne comprendra pas pourquoi on lui en veut. Il ne se jugera pas différent des autres. Et pourtant, il sera persécuté. Le quotidien des victimes du racisme, en somme. Sauf que là, cela prend des allures de châtiments rapport au fait que Connor se retrouve à des époques très chaudes de l’histoire, là où la persécution était à son maximum. Et il n’y a pas de salut pour Connor, pas de sorties. Du reste, le spectateur ne sympathisera jamais avec lui. Car même poursuivi, il reste un raciste, et ne réfléchit jamais à sa condition (de toute façon, il n’a pas le temps), et se targue encore d’être un américain… Un pourri dans des univers de pourris. Jusqu’aux civils français, qui vont le dénoncer. Bref une plongée surréaliste dans l’imbécilité humaine confrontée à ses propres paradoxes…
Un épisode assez sérieux, mais au ton étrange… Un vrai épisode de Twilight Zone. Une réussite dans le sens où Landis parvient à la fois à mêler le côté satirique mordant au divertissement pur, tout en instaurant un climat profondément étrange, notamment par le fait que le spectateur ne peut pas réellement prendre le parti d’un des camps en présence. Certes, le raciste moderne est moins actif que ceux qui le persécutent, mais il n’en reste pas moins un personnage désagréable, toujours égoïste et froid… Il y a même possibilité de prendre quelque plaisir malsain à le voir se faire punir de cette façon.
A noter le tragique accident d’hélicoptère pendant le tournage qui coûta la vie à l’acteur Vic Morrow, ainsi qu’à deux enfants et au pilote qui se trouvaient avec lui. Le reste du film faillit bien péricliter à cause de cet accident.
Deuxième sketch : Kick the can
Réalisé par Steven Spielberg.
Bon, et bien disons le franchement : ça a beau être du Spielberg, c’est de loin le sketch le plus mauvais du film.
L’histoire est celle d’un vieil homme (Scatman Crothers, vu dans Shining) arrivant dans une maison de retraite. Là, croupissent bien entendu plusieurs vieux délaissés par leur famille, que s’en est une honte. Pô bien. Les vieux sont courageux pourtant, et survivent grâce à leur âme d’enfant, avec leurs souvenirs de l’époque. Rôôôôôô. Le personnage de Scatman Crothers est en fait une sorte de magicien, qui va leur permettre de redevenir physiquement des enfants.
Donc bien entendu, pour la première fois dans sa filmo, Spielberg tombe dans les bons sentiments. Des bons sentiments baveux. Et les vieux nostalgiques (donc sympathiques, normalement… c’est du moins comme ça que le spectateur est censé les voir) de se transformer en moutards braillards et gesticulants. Insupportables et totalement sirupeux. Ils s’éclatent avec leurs jeux niais (cache-cache, aller faire chier le vieux ronchon qui n’a pas voulu redevenir gamin…) et le spectateur s’emmerde. En effet, quel est l’intérêt ? Surtout que les moutards eux-mêmes tombent dans la caricature : la petite fille fragile, le gamin rêveur, le bout-en-train… Spielberg conclut son sketch avec les vieux qui finalement se disent “ah ma bonne dame, c’était bien cette nuit, mais en fait il faut laisser les choses suivre leur cours…”. Donc ils vont redevenir vieux. Mais tout en ayant conscience qu’être vieux, en fait, ben c’est que physique, et que la vraie jeunesse, c’est dans la tête… Blablabla… Un discours bateau et neuneu. Même le vieux ronchon finira par devenir sensible…
Totalement sans intérêt, ce sketch n’est même pas dans l’esprit de La Quatrième Dimension (l’épisode dont il est le remake n’était déjà lui-même pas terrible). Un ratage artistique complet, le premier et l’un des plus gros de la carrière de Spielberg, qui en a connu d’autres, depuis. Notamment Hook, dans le même esprit que ce sketch.
Troisième sketch : It’s a good life
Réalisé par Joe Dante.
Le chef d’oeuvre du film.
L’histoire d’une jeune automobiliste amenée à rendre visite à la famille d’un gosse avec qui elle a sympathisé sur sa route (dans un bar, tenu par un certain Walter Paisley, joué par Dick Miller). Mais ce gosse est spécial… Il a le pouvoir de façonner le monde qui l’entoure. Et comme c’est un gosse, il le façonne selon son imagination, principalement influencée par les cartoons.
Chuck Jones et Tex Avery. Les deux références de Joe Dante sur cet épisode. Quant au scénario, il est signé de Richard Matheson, qui a travaillé également sur la série des années 60. La retranscription d’un univers cartoon est tout simplement superbe. Les couleurs bariolées de l’intérieur de la maison, changeantes, et l’aspect carton-pâte du rez-de-chaussée. Et l’étage, avec son noir et blanc contrasté par les vêtements des personnages. Un visuel tout simplement sublime signé par le directeur photo attitré de Joe Dante : John Hora. Coup de chapeau aussi à Rob Bottin pour les créatures que l’on peut voir, tel le lapin maléfique…
Car oui, il y a des créatures maléfiques, malgré le fait que le héros de l’épisode soit un gamin. Car la jeunesse chez Dante n’est pas la jeunesse de chez Spielberg. Dante est beaucoup plus méchant (comme on le verra dans son film suivant, Gremlins, où il s’amuse à saccager tout les bons sentiments de Noël, avec ses monstres irrévérencieux qui s’opposent à Gizmo, le côté “Spielberg” du film). Bref, Dante nous présente un gamin qui séquestre des gens. Un gamin à la cruauté surprenante. Mais pourtant innocent. Et contrairement au Damien Thorn de La Malédiction, il ne demande qu’à avoir une vie normale, ce que son don l’empêche d’avoir. Et pourtant, il a essayé… Il s’est reconstitué une famille, avec les parents modèles, assez typés années 50, la soeur chiante et l’oncle magicien (le grand Kevin McCarthy). Une famille obligée d’être aux petits soins pour l’enfant, sous peine d’être punie… comme cette soeur muette à l’étage… Mais bien entendu le repas avec l’invitée dérapera et aboutira à la révolution de ce petit univers. Via divers phénomènes cartoonesques.
Pourtant la fin est optimiste. Le don de l’enfant sera canalisé. Et son éducation pourra commencer. Une éducation qui devra respecter sa différence… Et non pas le conformer à une petite vie normale, banale et monotone. Sa différence sera sa force, là où auparavant il n’y trouvait que matière à faire souffrir et à créer des apparences enchanteresses certes, mais artificielles…
Bref, un sketch parfait, visuellement époustouflant, non-consensuel, bourré de références culturelles, avec une réflexion assez profonde sur la marginalité et sur le pouvoir des images, de la culture, qui se doivent d’être manipulées avec précaution… Du Joe Dante, quoi.
Quatrième sketch : Nightmare at 20,000 feet.
Réalisé par George Miller.
John Lithgow incarne John Valentine. John Valentine est le passager d’un avion. Seul problème : il est terrorisé par les voyages en avion. Alors lorsqu’il va apercevoir un monstre sur l’aile de l’appareil en train de bouffer les réacteurs, il va devenir complètement hystérique et va foutre un boxon monstre parmi les passagers.
Des passagers tout ce qu’il y a de plus stressants, déjà à la base. Une gamine qui se fout de sa gueule et une vieille méprisante, notamment. En plus, l’action se passe par une nuit d’orage. Bref, tout pour faire paniquer Valentine. Du reste, sa panique va aller crescendo et va semer quelque peu le chaos dans l’avion. Il est le seul à voir le monstre sur l’aile. Un monstre annonçant les Gremlins, malicieux, inquiétant, qui surgit à tout instant et disparaît aussitôt. Bref, tout pour foutre sur les nerfs le personnage principal. Notons d’ailleurs au passage l’impeccable interprétation de John Lithgow.
La réalisation de Miller optimise au maximum les possibilités du scénario. A tel point que l’on rentre véritablement dans la peau de Valentine, et que comme lui on fait face à la claustrophobie qui l’entoure. Une claustrophobie qui ne sera certainement pas arrangée par l’impression d’être ridicule. Avoir peur est déjà une chose, mais voir des monstres sur les ailes de l’avion en est une autre. Plus que de ridicule, c’est de folie qu’il s’agit. Car la peur va mener Valentine petit à petit vers la folie furieuse. Ce qui n’est pas peu dire, puisque lorsque le sketch débute, le personnage principal est déjà en pleine crise d’angoisse. Bref, l’adrénaline reste constante et même croissante tout au long du sketch, sans aucune baisse de rythme. Un grand succès. Et une atmosphère hors-norme, très “Twilight Zone“.
Puis le film se conclut immédiatement par l’épilogue qui nous ramène le personnage de Dan Aykroyd, vu dans le préambule. Tandis que les techniciens, une fois l’appareil au sol (sain et sauf) se demandent qu’est-ce qui a bien pu ravager les réacteurs de l’avion comme cela, Valentine est évacué en ambulance. Dans le véhicule la radio joue le “Midnight Special” des Creedence… Et le conducteur est Dan Aykroyd, le conteur d’histoires effrayantes du préambule…
Générique sur fond de la célèbre musique de la Twilight Zone.
Bref, le film dans son ensemble est un superbe revival de cette série mythique qu’est Twilight Zone. Mis à part le Spielberg, tous les épisodes retrouvent l’état d’esprit effrayant et étrange de la série des années 60, et lui rendent hommage, sans pour autant oublier que les vingt ans qui se sont écoulés depuis la fin de sa diffusion ont apporté des choses plus modernes. Ce n’est pas un copier-coller. Et ce n’est pas un détournement. Si ce n’était pour la bouse de Spielberg, on pourrait presque parler de chef d’oeuvre. Landis, Dante et Miller ont frappé très fort et ont tous produits ici des sketchs au sommet de leur filmographie respective.
A la base, steven spielberg devait réaliser les monstres de Maple Street, mais suite à ce qui s’est passer sur le tournage de l’épisode de John Landis, il s’est rabattu sur un épisode horriblement mielleux et qui jure avec la qualité des autres épisodes du film.
On a été à un épisode d’avoir la meilleur adaptation de la série de la quatrième dimension. Dommage.