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La Bonne année – Claude Lelouch

La Bonne année. 1973

Origine : France – Italie
Genre : Coeurs volés
Réalisation : Claude Lelouch
Avec : Lino Ventura, Françoise Fabian, Charles Gérard, André Falcon, Lilo, Claude Mann, Silvano Tranquilli.

Simon (Lino Ventura), voleur de son état, bénéficie d’une remise de peine après 6 ans d’incarcération. Il s’empresse alors de se rendre à son appartement afin de retrouver Françoise (Françoise Fabian), la femme qu’il aime. Faute de Françoise, il y croise un homme, visiblement plutôt intime avec la dame. Et une mauvaise nouvelle en entraînant une autre, il s’aperçoit que des inspecteurs de police l’ont pris en filature. Alors qu’il tente de les semer, il se remémore les événements survenus 6 ans plus tôt, lorsque en compagnie de son ami Charlot (Charles Gérard) il échafaudait le plan qui leur permettrait de dérober le contenu d’une bijouterie cannoise.

Film de copains aux airs de joyeuse colonie de vacances, L’Aventure c’est l’aventure laisse cependant comme un goût d’inachevé à son réalisateur. A devoir consacrer un temps de présence conséquent à chacun de ses cinq personnages, Claude Lelouch en est ressorti avec le sentiment  d’avoir raté sa rencontre avec Lino Ventura. Alors pour corriger cela, il s’empresse de rédiger le scénario d’un nouveau film qui fera la part belle au comédien, une romance sur fond de film de casse. La principale difficulté pour le cinéaste réside dans l’extrême pudeur de Lino Ventura, lequel rechigne à jouer des scènes d’intimité et d’affection. Autre particularité du comédien, il ne lit guère de scénarios, préférant que les réalisateurs lui fassent un résumé de vive voix. Malin, Claude Lelouch lui décrit donc son nouveau projet en mettant l’accent sur la partie policière de l’intrigue, ce qui suffit à convaincre l’acteur. Se faisant, le réalisateur n’a ni plus ni moins agi que comme le personnage qu’il lui a écrit, usant de subterfuges pour parvenir à ses fins.

La Bonne année décontenance dès le générique, lequel se déroule sur des séquences entières extraites de Un homme et une femme. Au-delà de l’auto-citation malicieuse, ce choix vaut note d’intention puisqu’il annonce le film d’amour à venir tout en trouvant sa justification au sein de la fiction : en cette fin d’année, le directeur d’une prison a souhaité offrir aux détenus un moment de détente en leur projetant ce « beau » film. Le tollé général qui s’ensuit indique que le choix ne fut guère judicieux. Et pour ajouter de la porosité entre la fiction passée et celle en cours, le noir et blanc d’Un homme et une femme trouve son prolongement dans La Bonne année, symbole de la grisaille dans laquelle l’existence de Simon a sombré depuis son incarcération. Son air renfrogné à la vision du film témoigne non pas de son peu d’appétence pour les choses de l’amour mais au contraire d’un manque en la matière. Et ce manque se prénomme Françoise. Cette dernière brille par son absence à la libération de Simon, sorte d’inaccessible étoile qui aurait choisi de refaire sa vie avec un autre plutôt que de l’attendre. Elle n’est plus qu’une voix au téléphone à laquelle on refuse de répondre par amour propre et dont on se remémore le souvenir comme on remonterait le cours de son existence. Toujours aussi romanesque, Claude Lelouch nous plonge alors dans les souvenirs de Simon, lesquels se teintent de couleurs et reviennent sur cette rencontre décisive avec Françoise par une journée d’hiver dans un Cannes déserté.
Simon gagne sa vie en tant que braqueur. Le terme est brutal mais lui appréhende son métier avec la noblesse d’un artisan. Il réfléchit mûrement ses coups, n’en donne pas et ne laisse – en général – rien au hasard. En général parce qu’il ne pouvait pas prévoir, en parallèle à ses préparatifs, de tomber amoureux de Françoise, propriétaire du commerce voisin de la bijouterie qu’il convoite. Un impondérable dont il cherche à s’accommoder en tentant de joindre l’utile à l’agréable sous l’œil amusé de son compère, l’impayable Charlot. En somme, Simon mène de front deux opérations qu’on pourrait vulgairement résumer par le coup d’un soir et le coup du siècle. Or Simon n’est pas du genre à penser ainsi. C’est un gentleman un peu vieille France qui n’a pas saisi l’évolution des mœurs en cours (la romance se déroule à quelques mois de mai 1968). Ce qui en soi s’avère un atout puisque en sa qualité d’antiquaire, Françoise possède déjà l’amour des vieilles choses. Et puis derrière les airs renfrognés de Simon se cache un cœur énorme, comme en attestent ses rapports avec son vieux complice Charlot qu’il rabroue constamment pour cacher à quel point il l’aime. Il y a beaucoup de pudeur chez Simon, trait de caractère qu’il partage avec son interprète. Claude Lelouch s’en amuse et file la métaphore en lorgnant du côté du serial – Fantômas – et de la série américaine Mission impossible à base de masques d’un confondant réalisme. Il n’est pas anodin que Simon entre pour la première fois en contact avec Françoise sous le masque de ce vieil excentrique qu’il utilise également pour duper le joaillier. Il use de ce subterfuge afin de pouvoir mener les débats car à l’instar de ce qu’il s’impose dans sa profession, il aime pouvoir tout contrôler. C’est aussi une manière de travestir ses sentiments. Il est encore trop tôt pour lui de se mettre à nue et d’agir à visage découvert. Et même sans déguisement, il masque la vérité, mentant sur ses activités professionnelles. Ce n’est qu’à la faveur d’une faille dans son plan qu’il jugeait si parfait que sa véritable nature se révélera aux yeux de Françoise. Mais à ce moment là, peu importe les apparences car l’amour, lui, a déjà bel et bien fait son office.

Fidèle aux marottes de son auteur, La Bonne année disserte sur l’amour par l’entremise de la confrontation de deux mondes. Simon a une représentation plutôt archaïque des relations homme-femme, lesquelles doivent reposer sur quelques principes clairement établis, la fidélité au premier chef. Mais cela relève de la vision étriquée du célibataire endurci qui derrière son pragmatisme désabusé nourrit des fantasmes romantiques (une fois dans le train, après avoir quitté Françoise, il rêve qu’elle l’a rejoint pour le remercier chaleureusement du cadeau qu’il lui a offert). De son côté, Françoise est une femme avec du vécu. Elle a expérimenté la vie de couple – deux mariages, sacrement qu’elle considère par ailleurs comme le plus odieux des mensonges – et est revenu de cette illusion du bonheur éternel. Non pas qu’elle ne croit plus en l’amour, mais elle ne croit plus forcément à son caractère exclusif. En un sens, elle tend à se faner au milieu des antiquités qu’elle choie, et surtout parmi les hommes qu’elle côtoie, tous d’un certain niveau social et cultivé jusqu’à la plus basse condescendance. Claude Lelouch en profite au passage pour régler ses comptes avec l’intelligentsia au cours d’un repas de réveillon durant lequel Simon et Charlot doivent subir la pédante logorrhée des convives de Françoise. Ce repas agit comme une révélation pour l’hôtesse et donne raison à Simon qui lors de leur premier dîner en tête-à-tête déclarait « Même la culture, ça ne rend pas les femmes heureuses ». En indécrottable romantique qu’il est, Claude Lelouch offre à ces deux âmes potentiellement inconciliables la possibilité d’écrire une histoire commune. Il clôt son film sur un sourire, celui de Simon, qui après avoir envisagé le pire se laisse aller à imaginer le meilleur en compagnie de Françoise. Un sourire qui apparaît comme une manière de baisser enfin la garde. Tout cela fait de La Bonne année un bon cru lelouchien, pétillant et léger à souhait où le polar et la romance font bon ménage.

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