L’Invasion des abeilles tueuses – Rockne S. O’Bannon
Deadly Invasion: The Killer Bee Nightmare. 1995Origine : États-Unis
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C’est inéluctable : les abeilles tueuses sont appelées à envahir l’Amérique du nord. Originaires d’Afrique, elles se sont retrouvées en Amérique latine avant de petit à petit remonter le continent, et commencent d’ores et déjà à faire parler d’elles au Texas et en Californie. Pas en bien évidemment, puisqu’elles sont entre autres responsables d’un accident de la route ayant entraîné la mort d’un couple de lycéens originaires de Blossom Meadow, haut-lieu de l’apiculture locale. Bien que l’État ait installé des pièges à abeilles et que le ministère de l’Agriculture soit prêt à prendre toutes les mesures nécessaires, l’angoisse commence à gagner les habitants du patelin. Elle cède même la place à la panique lorsque les convives d’un mariage sont attaqués par un véritable nuage d’abeilles tueuses. Sur ces entrefaites, un adolescent bas du front ne trouve rien de mieux à faire que d’ouvrir le feu sur une colonie installée dans le verger de la famille Ingram, entraînant une rapide et sévère réaction des abeilles. Voilà donc les Ingram (deux parents, deux ados, une fillette) et le crétin congénital retranchés dans leur maison à essayer de repousser l’intrusion des insectes revanchards.
“Si les abeilles venaient à disparaître, l’humanité n’aurait plus que quatre ans devant elle“. Einstein n’a jamais dit cette phrase sortant d’ailleurs allégrement de son domaine d’activité, mais il n’empêche qu’elle a désormais accédé au rang de lieu commun. Quant à juger de sa pertinence, les débats restent ouverts. Pour sa part, le cinéma a tranché : ok, le rôle pollinisateur des abeilles rend bien service, ok le miel c’est goûtu, mais n’empêche que les abeilles c’est venimeux et donc dangereux ! On l’a vu par exemple dans L’Inévitable catastrophe et dans Les Abeilles ! Deux films sortis en 1978 et qui chacun à son niveau -mastodonte du film catastrophe pour l’un, série B pour l’autre- démontrait le danger mondial qu’une population d’abeilles agressives pourraient représenter. Une quinzaine d’années plus tard, avant que les conséquences écologiques de l’usage des pesticides ne gagnent les devants de la scène médiatique, l’idée était toujours de mise. Ou plus exactement, faute de réelle idée sur la question, d’aucuns trouvaient que les abeilles faisaient toujours bon effet dans le vaste cortège des animaux tueurs. C’était le cas par exemple de William Bast et de Paul Huson, deux scénaristes régulièrement associés bien qu’ils affichent des pedigrees différents (le premier est un biographe et spécialiste de James Dean, le second est l’auteur de livres portant sur l’occultisme). Pour mettre en forme leur concept, un réalisateur novice et qui le restera puisqu’à l’heure actuelle il n’a jamais rien réalisé d’autre, mais qui s’est lui aussi fait remarquer dans l’écriture : Rockne S. O’Bannon. A l’occasion auteur de films cinéma (Futur immédiat, Los Angeles 1991), il est avant tout reconnu pour ses participations à des séries télévisées (Histoires fantastiques, La Cinquième dimension, Constantine, le remake de V…) qu’il crée lui-même à l’occasion (SeaQuest, police des mers, Farscape…). Bref, les gus derrière L’Invasion des abeilles tueuses ne sont pas des perdreaux de l’année, sans non plus être des pointures dignes de la grande époque du cinéma catastrophe. Pas si mal pour un téléfilm destiné à être diffusé sur le réseau Fox. Devant la caméra, c’est un peu pareil : de la trogne familière, ou appelée à le devenir, mais pas de nom ronflant. Robert Hays de Y a-t-il un pilote dans l’avion ?, Dennis Christopher (pleins de petits rôles un peu partout, par exemple dans la mini-série Ça), Gina Philips qui sera l’héroïne de Jeepers Creepers ou encore Ryan Phillippe qui figurera en bonne place aux génériques de Souviens-toi l’été dernier et de Sexe Intentions. Et tout ce petit monde réuni pour ce qui s’apparente à un film “deux-en-un” !
L’Invasion des abeilles tueuses est en effet scindé en deux parties bien distinctes et abruptement reliées. Y aurait-il eu un pépin lors du tournage entraînant une réécriture sauvage ? Cela expliquerait que tout ce que la première partie avait laborieusement construit soit d’un coup jeté aux oubliettes au profit d’un huis-clos des familles qui prend le contrepied de l’orientation “catastrophe” revêtue dans la première moitié. Si l’on en juge au discours alarmiste de rigueur à l’ouverture et à la clôture du film, présentant ces abeilles tueuses comme une donnée bien réelle sur laquelle il faut urgemment se pencher, O’Bannon et ses scénaristes partaient bien pour faire un film catastrophe traditionnel avec ses quelques effets choc (dont d’ambitieuses prises de vue aériennes en rase-mottes, point de vue des abeilles). Toutes les conventions du genre étaient de mise, à commencer par la construction même du récit : d’abord une mise en bouche qui n’aura rien à voir avec ce qui va suivre (un policier piqué à mort au Texas), puis une première alerte (le couple victime d’un accident de la route), puis une attaque sérieuse en bonne et due forme (le mariage) suivie d’une panique générale, d’une ruée sur les produits de la marque Raid (joli placement de produit !) et de l’arrivée d’experts officiels et officieux. Tout ceci en s’articulant autour d’une famille américaine standard, les Ingram, dont le père possède ses entrées dans les milieux autorisés du fait de sa profession (avocat), ou tout simplement parce qu’il est au bon endroit au bon moment. L’objectif est bien entendu de faciliter l’identification du téléspectateur lambda. D’où l’attention accordée à la vie de toute la famille Ingram, petits tracas du quotidien inclus. D’où également la localisation de l’intrigue dans un quelconque patelin qui attire soudain sur lui l’attention médiatique, gouvernementale et scientifique. L’important étant de montrer que monsieur-tout-le-monde est concerné. Là dessus, on peut dire qu’O’Bannon réussit tellement bien son objectif que la petite communauté sur laquelle il se penche est d’une platitude à tous crins ! Et cela ne vaut pas que pour les Ingram : les apiculteurs du cru ne le sont pas moins, eux qui après avoir tenus des propos rassurants se carapatent ensuite prestement, n’assumant pas le rôle de héros qu’on les voyait bien tenir ultérieurement compte tenu non seulement de leurs connaissances des abeilles, mais également de l’attention portée par le réalisateur à leur situation personnelle, avec le couplet de la nouvelle épouse qui essaie de se faire accepter par le fiston en bas âge. Typiquement le genre de postulat amené à se travailler dans un film catastrophe. A leur décharge, c’est leur mariage qui a été ciblé par les abeilles tueuses. Le reste des personnages, gouvernementaux y compris, sont d’une fadeur trop commune et enchaînent les platitudes les plus basiques. Seul contre-exemple : un expert indépendant, fin connaisseur des abeilles et qui explique en détail l’organisation sociale des colonies, le pourquoi des attaques et le mode opératoire de leurs piqûres. Le tout en deux ou trois monologues bien utiles pour informer le spectateur en même temps que les autres personnages. Lui aussi semblait parti pour jouer un rôle important, d’autant qu’étant plutôt grande gueule et haut en couleurs, il retient forcément l’attention d’interlocuteurs qu’il n’hésite pas à prendre à partie. Mais lui aussi sera jeté comme un malpropre du scénario alors qu’une stratégie commençait à se mettre en place (dénicher la “colonie-mère”), et cette fois sans autre justification que l’inopinée transformation du film en huis-clos suite à la malencontreuse idée d’un jeune crétin. Lequel pallie avantageusement à l’absence d’un grand méchant, au choix vénal ou lâche. Lui est juste débile.
Passer aussi rapidement de l’amorce d’une invasion nationale à une demi-douzaine de pelés privés de téléphone et bouchant les interstices de leurs portes a de quoi surprendre. L’Invasion des abeilles tueuses mettait en place tous les ingrédients du film catastrophe, introduisait des personnages secondaires et initiait des sous-intrigues, et le voilà qui vire soudain à la version animalière de La Nuit des morts-vivants ! Cela cache quelque chose ! Mais enfin, compte tenu de la vacuité de cette première partie, dans laquelle même les attaques d’abeilles manquaient d’ampleur, on ne va pas s’en plaindre. Encore qu’il devienne rapidement évident que là encore O’Bannon se contentera de singer les conventions cette fois posées par George Romero. Avec au programme : enfant malade à veiller, montage de barricades, sortie désespérée et refuge à la cave. Singer n’étant pas dupliquer, les Ingram restent cependant ce qu’ils étaient dans la première partie, c’est à dire une famille standard, et on peut toujours compter sur eux pour préserver les bonnes valeurs. Notons au passage que le générique mentionne à la production un studio du nom de “St. Francis of Assisi Pictures”, que je soupçonne d’avoir été derrière cette improbable leçon de morale anti-tabagique en plein climax. Bref, de La Nuit des morts-vivants, O’Bannon ne retient que ce qui l’arrange, c’est à dire ce qui est le moins susceptible de faire polémique. Le père se transforme en héros (allant jusqu’à sauver le lapin familial !), la mère en infirmière attentionnée pour sa fillette mal en point, le fiston s’arme de tout son courage pendant que son copain débile tente de se faire pardonner après avoir commis d’autres incroyables boulettes. Seule la fille ne réussit pas à trouver sa place et se limite aux crises de panique. Là encore, aucune surprise au programme et tout le monde fait ce qu’on attend de lui. Les abeilles font de même, et c’est déjà pas mal : leur force réside dans leur nombre, dans leur capacité à s’infiltrer partout en réduisant d’autant l’abri des homo sapiens. Tant et si bien qu’elles assurent à elles seules le spectacle. Les effets spéciaux sont d’ailleurs fort réussis et le film semble avoir été fait avec de véritables essaims de bestioles volantes. Le bilan reste bien maigre, mais au moins cela permet de sortir un peu de la torpeur dans laquelle nous plonge le reste d’un téléfilm totalement anodin, bien digne de ces téléfilms des années 90 destinés à boucher les trous des grilles de programmation.
Terminons par un point qui n’est pas à mettre à la charge de O’Bannon et de sa bande : le DVD français, édité sous le titre “Frelons” par les sympathiques zouaves de chez Prism qui se sont fait une spécialité de préserver un certain patrimoine cinématographique survendu par des jaquettes racoleuses dissimulant des éditions baveuses. Ces semi-pirates nous ont depuis longtemps habitués à dupliquer sans effort aucun les vieilles bandes VHS déjà à moitié moisies éditées à l’époque sous d’autres labels, comme FIP International pour ce qui est du pseudo-“Frelons“. Un retitrage sans aucun doute destiné à éviter d’attirer l’attention sur une production dont ils n’avaient pas les droits. Mais leur performance du jour ne réside pas là : Prism réussit ici la prouesse non seulement de laisser passer les célèbres stries rouges des VHS usagées, mais encore de laisser apparaître à l’occasion les affichages du magnétoscope. Bravo les gars !
J’ai pas vu le film mais un peu dure la critique, quand même. Maintenant, il est loin le temps ou l’on pouvait voir un film ou la famille n’était pas dysfonctionnelle, avec le cliché du père/mère qui ne s’entend pas avec son rejeton, ou encore la mère/ père célibataire qui élève tant bien que mal ses enfants ingrats. Un film avec une famille à peu près normal est devenu tellement rare, je sais que les familles dysfonctionnelles servent de ressort émotionnel avec le père/ mère qui se rabiboche avec ses enfants, mais personnellement ce serait bien de voir une famille comme dans ce film.
Concernant les abeilles tueuses, il y a eu tellement de films sur le sujet, j’ai pas l’impression qu’il soit pire ou meilleur que les autres, mais il y a quand même Ryan Phillipe pour lequel j’ai une grande sympathie.
Disons que j’apprécierais que ces films Catastrophe cessent de s’appuyer autant sur “la cellule familiale”, dysfonctionnelle ou non. Ou bien qu’ils placent les personnages les plus importants réellement en danger, voire aient le courage de ne pas les transformer en héros (sans parler de les tuer). Parce qu’on peut utiliser les abeilles, les tornades, les extraterrestres, les pluies de gnous ou n’importe quoi, au final cela revient toujours au même, et c’est d’ailleurs peut-être pourquoi le format téléfilm -surtout à l’époque- a été si friand du genre.
Si ce téléfilm-ci n’avait pas fait sa volte face scénaristique à mi parcours (et au passage j’ai vérifié : Prism ne semble pas avoir sabré le montage, les durées effectives et annoncées sur IMDB étant quasi identiques), je ne doute pas qu’il se serait enfoncé dans les clichés qu’il construisait dans sa première partie, notamment avec la famille de l’apiculteur ami des Ingram.
Sinon, effectivement, pour tout ce qui relève du genre “animaux tueurs”, aucun risque n’est prit, mais ce n’est pas déshonorant. Tout ça est en fait extrêmement aseptisé…
Moi ce qui me vient comme film où les personnages sont en danger face à une menace animale, c’est The Reef. Pendant tout le film on avait des personnages nageant après que leur navire ait eu une avarie et ne puisse plus fonctionner. La grande réussite du film vient pas des requins mais de la vulnérabilité des personnages dans un milieu où ils ne peuvent pas voir la menace arriver, ni se défendre, ce qui fait qu’on a pas besoin de montrer un requin mais des gens seuls en plein milieu de l’océan dans l’attente d’une attaque. Ce qui fait que pour nous, spectateur, on s’identifie à ses personnages et on ressent leur angoisse. Pour moi, le réalisateur a réussi ce qu’il avait fait dans Black Water, rendre l’attente angoissante, plus que les attaques en elle-même.
Les films et téléfilms jouent pour l’essentiel sur les attaques et sur le suspense qui peut s’en dégager, mais étirer l’attente cela sur tout un film, cela demande une certaine compétence. Par exemple le film The Great White a agi de la même façon que The Reef, mais les personnages clichés et leurs comportements stupides gâchent tout cela. Ils nous éloignent des personnages, et l’attente, vecteur de suspense, devient celui de l’ennui.
A l’opposé, il y a des films ou téléfilms comme par exemple, Silent Predator ou Morsure mortelle avec Jack Scalia. Le film raconte à peu près la même chose que les abeilles tueuses, à savoir des serpents qui attaquent dans une petite bourgade. Le film se suit sans passion mais sans ennui, et au niveau des attaques, c’est pas le suspense de fou. Le film repose plus sur ses personnages, à savoir un shérif aidé d’une spécialiste de serpent, qui sont plutôt sympathiques, et se contente de mener son histoire de manière assez prévisible avec des clichés comme les autorités qui ne veulent pas inquiéter les habitants, les sociétés mêlées de près aux attaques, mais qui ne veulent pas que la vérité sorte. Mais le manque de surprise n’empêche pas Silent Predator de rester un honnête divertissement.
C’est la majorité des films d’attaques animales plus proches d’un Arachnophobie ou d’un Arac Attack dans son déroulement, au mieux fun et drôle, que d’un Black Water ou Open Water plus sérieux et tendus mais dont la maigreur de l’intrigue peut virer du suspense a l’ennui si c’est mal maitrisé.