CinémaHorreur

Wake Up and Die – Miguel Urrutia

Volver a morir. 2011.

Origine : Colombie
Genre : Lendemain de cuite
Réalisation : Miguel Urrutia
Avec : Andrea Montenegro et Luis Fernando Bohórquez.

Camila se réveille un matin dans les bras d’un homme, Darío, tous deux entièrement nus. Loin de la rassurer, les attentions décontractées de son hôte la renforcent dans son incompréhension. Elle ne comprend ni ce qu’elle fait là, ni comment elle est arrivée là. Le trou noir. Darío lui parle alors de la nuit dernière. Elle accoudée au bar à enchaîner verre sur verre pour tenter de noyer le chagrin qui l’étreignait. Camila accuse le coup. Tout cela lui ressemble si peu. Elle n’apprécie guère l’image que ça renvoie d’elle et s’en ouvre à son hôte d’un jour. Imperturbable, ce dernier reste dans l’ambiance de la veille et continue son jeu de séduction, auquel Camila finit par céder. Encore une fois. Sauf que la tendresse se mue bientôt en rudesse jusqu’à ce que Darío étrangle Camila… qui se réveille à nouveau dans les bras de celui-ci. Condamnée à revivre encore et encore cette brève et fatale mâtinée, la jeune femme tente d’en apprendre davantage sur son hôte afin de réchapper à son meurtre.

Sur la carte du cinéma d’horreur et fantastique, l’Amérique latine en général et la Colombie en particulier ne comptent pas parmi ses lieux de prédilection. Ce cinéma existe mais demeure à la marge en dépit de belles réussites comme le récent Les Bonnes manières (prix du jury et prix de la critique au festival de Gérardmer 2018), film de loup-garou venu tout droit du Brésil et que l’on doit à Juliana Rojas et Marco Dutra ou encore Juan de los muertos, une invasion de morts-vivants à la sauce cubaine signée Alejandro Brugués, toujours honteusement inédit chez nous. En Colombie, le cinéma local a eu beaucoup de mal à s’implanter. Pas assez rentable. Si le cinématographe est présent dans le pays depuis 1897, il faut attendre 1922 pour voir la première fiction se frayer un chemin jusqu’aux salles obscures (María de Maximo Calvo et Alfredo del Diestro). Et en dépit des efforts de quelques compagnies pour tenter de conserver vaille que vaille un niveau constant de production, le manque d’appui économique et la concurrence étrangère venue d’Argentine, du Mexique et des États-Unis, ont fini par stopper et casser net ces initiatives. La création de la FOCINE en 1978, une entité du Ministère de la communication chargée de développer le cinéma en Colombie, aura seulement permis la production de 29 films jusqu’à sa liquidation en 1993. Il faut attendre 2003 et l’approbation de la loi du cinéma pour relancer durablement l’activité cinématographique du pays, notamment en parvenant à attirer les colombiens dans les salles. Si la production cinématographique locale reste assez maigre en comparaison de certains de leurs proches voisins, elle a au moins le mérite de donner l’envie à de jeunes gens de se lancer dans le grand bain. Touche-à-tout qui exerce dans ce milieu depuis 2008, Miguel Urrutia passe à la réalisation 3 ans plus tard. Pour ses débuts, il opte pour l’argument science-fictionnel de la boucle temporelle à la manière de l’incontournable Un jour sans fin tout en s’orientant dans une voie moins joyeuse et romantique.

Pour son premier film, Miguel Urrutia œuvre dans le minimalisme. Deux comédiens, un lieu unique (une maison bourgeoise) et un propos science-fictionnel qui n’a pas besoin d’effets spéciaux pour être illustré. Une mise en place très théâtral dont chaque acte, de longueur variable, correspond à une nouvelle boucle temporelle. Le principe est désormais connu et compte quelques récurrences dont Wake Up and Die s’affranchit promptement. Ainsi, dès son deuxième réveil, Camila ne se pose pas de question. Elle éprouve immédiatement une impression de déjà-vu doublée d’une angoisse sourde. Elle sent le danger, ayant pleine conscience que ce qui aurait pu s’apparenter à un cauchemar lui est bel et bien arrivé. A charge pour elle d’éviter que cela se reproduise. Elle n’a donc ni le temps de se demander pourquoi elle revit sans cesse cette horrible mâtinée ni le loisir de s’appesantir sur ce qu’elle a pu faire de bien ou de mal durant son existence. Il est avant tout question de survie et pas d’autre chose. Les rôles sont donc bien définis dès le départ. Camila est la proie, Darío, le prédateur. Le jeu consiste pour Camila à inverser le rapport de force, de chercher à en savoir davantage sur cette rencontre d’un soir afin de trouver le moyen d’échapper à son funeste destin. Une démarche qui ne s’effectue pas tout de suite. Avant d’en arriver à cette réflexion, elle passe par plusieurs états, dont la peur bien légitime, qui l’amènent à agir dans l’urgence, usant parfois de subterfuges grossiers. Chacune des nouvelles boucles temporelles permet à Miguel Urrutia de développer le personnage de Darío à travers la visite de sa maison, d’une part, et le dialogue que Camila finit par nouer avec lui. Une bâtisse qui, à mesure de son exploration, s’apparente à une maison des horreurs entre la salle d’armes et un musée des curiosités au goût douteux. Le récit pousse le bouchon jusqu’à convoquer l’esprit d’Alfred Hitchcock au détour d’une scène rappelant Psychose à notre bon souvenir. Le frisson en moins. L’ennui avec cette mécanique répétitive dont on connaît l’issue est de créer une distance entre le spectateur et ce qu’il voit. Difficile de s’inquiéter du sort de Camila après l’avoir vue mourir à plusieurs reprises. De même, l’approfondissement de la personnalité de Darío, finalement assez quelconque dans ses névroses, ne suffit à maintenir l’intérêt pour ces incessants retours en arrière. Les acteurs ne sont pas en cause. Tous deux se donnent à corps perdus dans leur rôle, instaurant un climat de gênante intimité. Filmés le plus souvent dans le plus simple appareil (n’oublions pas qu’ils sortent d’une nuit torride à enchaîner les galipettes), ils nous apparaissent sans fard, crédibles jusque dans l’animalité de certaines de leurs étreintes mortelles. Le propos du film tient dans cet entre-deux entre attraction et répulsion. Darío prend son pied à ôter la vie mais trouve aussi un plaisir certain à être dominé et violenté. De son côté, Camila se défend d’être une femme de petite vertu pour finalement s’abandonner à la première étreinte, signe d’une détresse extrême qu’elle continue de nier. Ils partagent bien plus qu’un lit le temps d’une nuit. Ce sont deux âmes perdues – pour des raisons différentes, certes – dont la proximité contrainte conduit à un transfert. A la différence de bon nombre de films basés sur ce phénomène de boucle temporelle, Wake Up and Die ne joue pas la carte du bonheur retrouvé. Si le piège temporel dans lequel Camila se retrouve bien malgré elle embarquée a bien vocation à la révéler à elle-même, cette révélation n’a rien d’une épiphanie. Elle a davantage trait à une forme de malédiction, au réveil du Mal enfoui en elle.

Par son côté cauchemardesque, Wake Up and Die se rapproche de titres comme Triangle ou Timecrimes, sans en partager la même maîtrise formelle. Visuellement, le film s’avère assez rebutant. L’absence de moyens n’excuse pas tout. L’image est particulièrement sombre et le cadrage hésitant. Quant aux retours en arrière, ils reposent sur un gimmick immuable qui rappelle les rembobinages de nos chères VHS, lesquels alternent avec des flashforwards à l’utilité incertaine. Au sein d’une production cinématographique colombienne assez pauvre, à plus forte raison dans le genre fantastique, Wake Up and Die tient malgré tout du miracle. Et s’il n’est pas pleinement réussi, il excelle néanmoins à retranscrire une ambiance mortifère jusque dans l’exposition impudique de ces corps nus, désérotisés comme des cadavres dormant dans une morgue.

Une réflexion sur “Wake Up and Die – Miguel Urrutia

  • Je n’ai pas lu toute la critique pour éviter toute révélation mais ce film m’attire beaucoup. J’aimerais le voir surtout de la part d’un pays comme la Colombie, qui à part Pablo Escobar et la cocaïne, nous a pas donnés grand chose.

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