Halloween Ends – David Gordon Green
Halloween Ends. 2022.Origine : États-Unis
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Quatre années ont passé depuis les dernières exactions de Michael Myers. Quatre années durant lesquelles la petite ville d’Haddonfield s’est repliée sur elle-même redoutant son retour à chaque événement tragique. Endeuillée par la mort de sa fille, Laurie Strode décide malgré tout de tourner le dos à ses peurs et de reprendre son existence par le bon bout. Elle emménage dans une belle maison sise au coeur de la ville qu’elle partage avec sa petite-fille Allyson dont elle aimerait bien contribuer au bonheur. Venant au secours de Corey, malmené par des jeunes du coin, Laurie joue les entremetteuses en le présentant à Allyson. Elle se retrouve en ce jeune homme voué aux gémonies depuis un malheureux concours de circonstances qui a entraîné la mort accidentelle du jeune garçon dont il avait la garde. Si les deux jeunes gens se rapprochent rapidement, Laurie perçoit néanmoins un changement en lui. Une lueur dans le regard qui lui rappelle Michael Myers. Elle tente d’alerter Allyson qui ne veut rien entendre, mettant ses craintes sur le compte de sa paranoïa galopante. Pourtant, la recrudescence de morts violentes semble donner raison à Laurie.
Cette fois, promis, c’est la fin. C’est même précisé dans le titre. Enfin ça, c’est dans les intentions, parce que dans les faits, la saga nous a déjà fait le coup à plusieurs reprises (Halloween 6 : La Malédiction, Halloween, 20 ans après) et ce ne sont pas les retours qui ont manqué depuis. Cependant, cet Halloween Ends offre quelques certitudes : David Gordon Green et Jamie Lee Curtis passent définitivement la main. Le premier a déjà abondamment tiré sur la corde, jouant les dramaturges d’une pièce en trois actes quand la seconde, à moins de vouloir finir comme Donald Pleasence, décédé durant le tournage de Halloween 6, s’est déclarée suffisamment satisfaite de cette conclusion pour pouvoir enfin envisager de passer à autre chose. Quoique récemment, elle a encore déclaré “si j’ai appris quelque chose en 65 ans sur cette planète, c’est de ne jamais dire jamais”. Outre de rappeler son indéfectible attachement à la série, cette déclaration laisse bien évidemment la porte entrouverte à une énième participation alors que le film de John Carpenter approche du demi siècle. Mais sur le plateau de Halloween Ends, il n’était pas encore question de ces éventuelles festivités. Il convenait plutôt de conclure en beauté, ou tout du moins de manière satisfaisante, le pas de deux entamé en 1978 entre Laurie Strode et Michael Myers. L’épisode précédent s’étant ingénié à les tenir à l’écart l’un de l’autre, ce troisième opus ne pouvait qu’amorcer les retrouvailles. Sauf que David Gordon Green et ses complices scénaristes empruntent des chemins de traverse, relèguant presque le tueur légendaire à un rôle d’invité prestigieux alors même que son aura maléfique contamine tout le film. Un Michael Myers qui accuse soudain le poids des ans, réfugié dans les égouts de la ville à panser ses blessures en attendant patiemment son heure.
La fin du précédent épisode laissait planer peu de doute quant à ce qui allait suivre. Alors que Michael Myers, à nouveau maître chez lui, contemplait son oeuvre dévastatrice sur Haddonfield depuis la fenêtre de sa chambre à coucher, Laurie Strode quittait l’hôpital bien décidée à en finir une bonne fois pour toute avec celui qui venait cette fois-ci de s’en prendre à sa propre fille. La nuit promettait donc de jouer encore les prolongations. Et puis finalement, non. Par une pirouette scénaristique bien sentie, David Gordon Green préfère botter en touche. Michael Myers s’est une fois de plus éclipsé. Sauf que d’habitude, il agit ainsi après avoir été défait et non pas lorsqu’il se présente comme le grand gagnant de ce second acte. L’utilisation de l’ellipse temporelle qui s’ensuit s’avère bien pratique pour tenter d’apporter un peu de sang neuf dans l’équation même si elle n’est pas sans poser problème. Compte tenu de l’extrême férocité dont il faisait preuve dans Halloween Kills, même après s’être fait copieusement rosser par des habitants particulièrement remontés, découvrir un Michael Myers en mode souffreteux laisse circonspect. Il s’agit clairement d’un délire de scénariste qui décide de donner du sens à son propos en tordant le cou à une certaine cohérence. La fragilité soudaine de Michael Myers semble aller de pair avec le sursaut de vie de Laurie Strode. En choisissant de ne plus s’enfermer dans sa peur du tueur d’Haddonfield, elle lui fait perdre de sa superbe. C’est comme si Michael Myers se nourrissait uniquement de sa peur à elle. Suivant cette hypothèse, le lieu importerait moins que la personne. Haddonfield ne devrait donc ses années de terreur qu’au côté casanier de Laurie Strode, viscéralement attachée à sa ville. S’esquisse l’idée d’une interdépendance entre ces deux êtres qui fait peu de cas de la population d’Haddonfield elle-même. Après avoir été au coeur du précédent épisode, les habitants retrouvent un rôle de faire-valoir. Leurs tourments ont beau être évoqués au détour des écrits de Laurie qui parlent “des abimes de douleur, de rancoeur et de paranoïa” dans lesquels ils ont sombré, ils ne trouvent pas d’écho à l’image. Il y a bien cette femme qui reproche à Laurie l’état dans lequel Michael Myers a laissé sa mère mais ça en reste là. Quatre années seulement ont passé et les actes du tueur tiennent désormais davantage du récit horrifique qu’on se raconte au coin du feu que d’un réel trauma qui empoisonne la ville et ses habitants. Il faut attendre la fin du film pour que David Gordon Green se rappelle que le mano a mano entre Laurie et Michael s’étend à tous les habitants de la ville, que Michael Myers est le cauchemar d’Haddonfield avant d’être celui de la seule Laurie Strode. Le côté célébration n’aura échappé à personne, leur récit conjoint s’achevant par une longue procession mortuaire devant solder près de 50 ans d’horreurs.
Figure majeure de l’horreur moderne, Michael Myers flirte ici ostensiblement avec les classiques. Tel un comte Dracula qui attend patiemment son heure, il profite de la visite inopinée d’un pauvre hère dans son antre pour s’en servir de relai. Corey est celui-là. Un étudiant lambda qu’une mauvaise blague qui tourne au drame transforme en meurtrier malgré lui. Le jeune homme discret qui se retrouve dans l’oeil du cyclone, jeté à la vindicte populaire un 31 octobre, jour particulièrement connoté à Haddonfield. Ce personnage sert de terrain d’expérimentation à David Gordon Green et sa clique. Il est avant tout le symbole de cette nouvelle génération qui si elle prétend n’être effrayée par rien (“J’ai peur de rien, j’ai 21 ans.”), bien qu’il suffise de pas grand chose pour lui faire monter l’angoisse, reste tributaire d’un passé (un passif, aurait même tenu à préciser un certain François M. !) auquel elle est étrangère. Soupçonné de meurtre un 31 octobre, il n’en faut pas plus pour que la vox populi l’apparente à un autre tueur. Dès lors, son destin se retrouve lié d’une certaine façon à celui de Michael Myers, ce que le film s’ingénie à illustrer de manière programmatique. Corey nous est donc présenté à la fois comme un disciple et une victime. Tel Renfield, il subit l’emprise de Michael Myers, lui offrant en pâture des proies désignées tout en cherchant à s’en affranchir. Car Corey a une revanche à prendre sur la ville, lui reprochant en quelque sorte sa mise à l’écart, laquelle ne repose en vérité que sur quelques personnages fonctions (la bande de potes qui le tourmente, réminiscence du slasher basique et l’animateur radio). Corey demeure un personnage insignifiant à l’échelle d’Haddonfield que David Gordon Green érige en modèle du pouvoir de nuisance de Michael Myers. A sa suite, le réalisateur discourt sur l’idée que si l’habit ne fait pas forcément le moine, le masque fait le tueur. Il a beau jeu de faire dire à Laurie Strode que “Le Mal n’existe pas, il change de forme”, manière de laisser la porte ouverte à d’innombrables suites, quand dans le même temps il orchestre un fétichisme autour du masque. Ce fameux masque inexpressif qui survit à Michael Myers, derrière lequel tout à chacun peut se cacher (c’est d’ailleurs le propre des Scream où l’identité des tueurs changent à chaque épisode mais le masque demeure) et sans lequel le tueur d’Haddonfield refuse d’être vu. Cet accessoire de farce et attrape désinhibe, libère les pulsions meurtrières de celui ou celle qui le porte par la promesse qu’il offre de ne pas être reconnu(e). Il en va autrement dans le cas de Michael Myers, dont l’identité est bien connue, qui cherche par ce biais à cacher ce qui peut lui rester d’humanité. Dans le cas de Corey, cela relève davantage du parcours balisé. Porter le masque revient à entériner la succession, à donner libre cours à sa colère accumulée. Et sa tendance à l’ôter et le remettre à tout bout de champ, outre ménager un semblant de rebondissement durant le dernier acte, vient appuyer cette dualité qui le ronge. Halloween Ends se veut tragédie jusque dans l’affrontement final entre Laurie Strode et Michael Myers. Un combat tellement attendu qu’il relève du passage obligé. Il ne peut se départir d’un air de déjà vu sur fond d’images christiques, même pour ceux qui ont découvert la saga uniquement par le biais de cette trilogie, puisque déjà au coeur du climax de Halloween.
Si on se gardera bien de présager de l’avenir de la série, Halloween Ends offre au moins la certitude de clore définitivement la trilogie de David Gordon Green. Des adieux qui prennent la forme d’une oraison funèbre et qui évoquent en creux sa comédienne principale, Jamie Lee Curtis, dont l’avatar de fiction demeure aussi prisonnière qu’elle d’Haddonfield. Comme déjà évoqué, David Gordon Green n’apporte rien de bien neuf à la série, piochant dans les épisodes précédents des éléments qu’il choisit de développer. Il envisageait même de conclure son film dans les usines de la Silver Shamrock, lieu emblématique de l’épisode dissident Halloween III, le sang du sorcier afin de se montrer le plus exhaustif possible. Parsemé de flashbacks et de citations, Halloween Ends s’apparente à ces épisodes de sitcom construits autour d’extraits d’autres épisodes, simple respiration pour se remémorer le bon vieux temps.