Elle voit des nains partout ! – Jean-Claude Sussfeld
Elle voit des nains partout !. 1982.Origine : France
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Dans un royaume de France imaginaire, un roi tout aussi imaginaire – pensez-donc, il a aboli les impôts ! – attend sans émoi la naissance du prince héritier. Sauf que du fils attendu, il n’en voit pas la queue d’un. Et en dépit des efforts désordonnés de la fée Clavier pour inverser le cours des choses, le nouveau-né reste désespérément de sexe féminin. Baptisée Blanche Neige, la belle enfant quitte la demeure royale dans les bagages du connétable et de sa nounou venue tout droit de la Perfide Albion. Leur coup de foudre ne survivra pas aux turpitudes de la vie familiale, même une fois l’enfant non désiré laissé à un orphelinat. Bien née mais mal aimée, Blanche Neige grandit dans son coin et son appétit sexuel avec elle. Pourtant, toute bonne chose a une fin et lui vient soudain l’envie de se caser. Des hommes peuplant la forêt verdoyante qui l’entoure, elle en a fait le tour. Reste à trouver le prince charmant. Heureusement, elle peut compter dans sa quête sur le concours de sa bonne fée, jamais bien loin quand il s’agit de jouer de ses sortilèges.
La comédie est une affaire qui roule dans le cinéma français. Ce dernier lui doit ses plus gros succès publics comme ses plus belles audiences télévisuelles. L’année 2024 ne déroge pas à la règle avec l’inattendu Un p’tit truc en plus en tête du bilan annuel avec près de 11 millions d’entrées. Une constante qui traduit un perpétuel renouvellement dans le landerneau de la comédie française, moins par ce qu’elle raconte que par ceux qui la font. Tout est question de cycle. Au moment de la sortie de Elle voit des nains partout !, le milieu du cinéma comique français voit déferler en son sein toute une cohorte de jeunes actrices et acteurs issus du café-théâtre. Si on retient volontiers l’avènement de la troupe du Splendid suite au dyptique des Bronzés, il ne faut pas oublier qu’un acteur comme Patrick Dewaere avait fait ses classes au Café de la Gare, tout comme Coluche d’ailleurs. Et ce milieu étant d’une grande porosité, il n’est pas rare que les uns jouent chez les autres et vice-versa. A l’origine du film, il y a donc une pièce de théâtre écrite par Philippe Bruneau, et jouée pendant 4 ans. Sa transposition au cinéma bénéficie des bons soins de Jean-Claude Sussfeld, dont c’est la première réalisation après une quinzaine d’années passées à fréquenter les plateaux de tournage, que ce soit en qualité de stagiaire (Fantômas, Fantômas se déchaîne) puis d’assistant-réalisateur, notamment pour Gérard Oury (Le Cerveau, Les Aventures de Rabbi Jacob) ou Claude Sautet (Les Choses de la vie, Max et les ferrailleurs). Fort d’un tel sujet, il veut s’éloigner le plus possible du côté bricolo de la pièce (6 acteurs se partagent tous les rôles) et profiter pleinement de toutes les possibilités qu’offre le cinéma. Il veut du faste et du spectaculaire tout en en respectant la lettre. Philippe Bruneau de la partie dans le rôle du connétable, s’en porte garant.
Source inépuisable d’inspiration (que seraient devenus les studios Disney sans eux ?) et d’analyses en tout genre, les contes de fées présentent l’avantage de parler au plus grand nombre sans qu’il y ait besoin que tout le monde les connaissent sur le bout des doigts. Les grandes lignes étant connues, charge à l’auteur de broder comme il l’entend sans forcément devoir s’astreindre à respecter les figures imposées. Aborder les contes de fées sous l’angle parodique n’est pas nouveau. Rien qu’en France, Marcel Gotlib s’en était déjà donné à coeur joie dans les 5 volumes que compte sa Rubrique-à-brac. Il co-signe d’ailleurs l’affiche du film associé à Solé. Philippe Bruneau marche dans ses pas, jouant tout à la fois de l’anachronisme, de l’irrévérence et du loufoque. D’emblée, il annonce la couleur : tout est permis. Elle voit des nains partout ! use de la métalepse narrative, notre quotidien s’immisçant régulièrement dans la fiction (le car de touristes japonais, le joggueur). La voix du narrateur elle-même est entendue des personnages, lesquels réagissent à ses propos pas toujours frappés du coin du bon sens (le Roi ne rate d’ailleurs pas l’occasion de le lui faire remarquer). Si l’histoire de Blanche Neige sert de colonne vertébrale au récit, le film convoque de nombreux autres figures emblématiques de la littérature. Ainsi croiserons-nous le Petit Poucet, Jean Valjean, les Thénardier et Cosette, le Petit Chaperon Rouge, les trois petits cochons et même Tarzan dont la fidèle Cheetah est confondue avec Blanche Neige bébé. Tout cela confère un côté pot-pourri au film qui accumule les “noms” sans pour autant que chacun bénéficie d’un traitement particulier. La plupart ne font que passer ou sont réduit à la paillardise qui domine l’ensemble. Le film semble n’avoir d’autre horizon que celui d’une pochade grivoise où les personnages féminins se balladent le plus souvent les seins à l’air, prises d’un appétit insatiable pour les choses du sexe. Tout tourne ainsi autour du plumard et des envies de chacun de s’y secouer les plumes. Ainsi, les trois petits cochons sont à prendre ici au sens littéral. Il s’agit du patronyme de trois frères dont nous ne verrons que les bicoques respectives et conformes au conte, attendant patiemment que Blanche Neige vienne leur rendre visite pour une partie de zizi-panpan. Le loup n’est quant à lui plus qu’un homme sous un costume, seul moyen que Mère-grand a trouvé pour être encore émoustillée. Un sens de la comédie très Collaro show (on s’attend à tout moment que l’une ou l’autre des actrices se déshabille au son de la fameuse mélodie) qui rappelle l’indéfectible fidélité de Philippe Bruneau aux pitreries télévisuelles de Stéphane Collaro. L’humour vole bas et les séquences s’enchaînent mollement, pâtissant d’un flagrant manque de rythme. Quant au côté iconoclaste du film, il ne tient guère sur la longueur, Jean-Claude Sussfeld s’appuyant sur les mêmes gimmicks sans proposer quelque chose d’un tant soit peu consistant. A l’image de Blanche Neige, les personnages féminins restent confinés dans leurs stéréotypes. Sous couvert d’une grande liberté à jouir sans entrave, la fin du film tient à rappeler que quoiqu’elles fassent, les femmes doivent malgré tout se conformer au bon vieux sacrement du mariage. Comme si sans bague au doigt, point de salut !
Dans le cadre de l’humour non-sensique dans lequel excellaient les Monthy Python et Mel Brooks, Elle voit des nains partout ! fait bien pâle figure. Tout cela manque singulièrement d’inventivité et d’une touche un tant soit peu originale. Et surtout de personnages qu’on prendrait plaisir à suivre. Cette Blanche Neige olé olé ne revêt finalement pas plus d’intérêt que l’oie blanche d’antan. Dans un registe similaire, Jean Yanne s’en était mieux sorti avec Deux heures moins la quart avant Jésus Christ, son péplum parodique, notamment parce qu’il savait offrir de belles partitions à ses acteurs. Dans Elle voit des nains partout !, les comédiens n’ont pas mieux se mettre sous la dent qu’un plat réchauffé et piteusement assaisonné.