CinémaDocumentaire

That Guy Dick Miller – Elijah Drenner

 

That Guy Dick Miller. 2014.

Origine : États-Unis
Genre : Documentaire
Réalisation : Elijah Drenner
Avec : Dick Miller, Lainie Miller, Roger Corman, Joe Dante…

L’un des poncifs concernant Dick Miller est que n’importe qui d’un tant soit peu cinéphage est capable de reconnaître sa trogne, même sans savoir placer un nom dessus. D’où le titre de ce documentaire. Mais de nos jours, il faut bien admettre que ce n’est hélas plus trop le cas. L’âge avançant, disons à partir de Small Soldiers en 1998, ses apparitions se sont faites moins fréquentes et dans des productions de moins en moins bien distribuées. En cela la disparition progressive de Dick Miller des écrans a épousé le lent déclin de la carrière de Joe Dante, son principal promoteur depuis les années 70… La familiarité du visage de Dick Miller n’a donc pas été transmise à la nouvelle génération, et seuls pourront le découvrir ceux qui se sentiront attirés par des productions désormais anciennes, et pas toutes aussi aisément dénichables que ne peuvent l’être New York, New York, les Gremlins ou Terminator. A moins que Shout ! Factory, éditeur auquel Corman a vendu son catalogue New World / New Concorde en 2010, n’ait l’idée lumineuse de se lancer dans le streaming (ce qui serait d’autant plus judicieux que les DVD Shout ! Factory peinent à traverser l’Atlantique)…

That Guy Dick Miller ne tente nullement de combattre des moulins à vent et s’adresse quasiment exclusivement aux amateurs de Dick Miller. Lesquels ont d’ailleurs été mis à contribution, puisqu’il s’agit d’un financement participatif. A l’initiative du projet se trouve un documentariste du nom de Elijah Drenner, spécialisé dans la série B et le cinéma d’exploitation, dont les œuvres sont typiquement le genre de choses que l’on peut trouver dans des bonus DVD : interviews, making of, portraits d’acteurs ou de réalisateurs… Après American Grindhouse en 2010, That Guy Dick Miller n’est que son second long-métrage documentaire. Mais pour le concevoir, c’est toute une armada qui débarque face caméra : réalisateurs (Roger Corman et Joe Dante, mais aussi Allan Arkush, Jonathan Kaplan, Fred Olen Ray…), acteurs (Jonathan Haze, Mary Woronov, Robert Picardo…), producteurs (Jon Davison, Julie Corman), scénaristes (John Sayles), directeurs photo (John Hora), monteurs (Mark Goldblatt), spécialistes d’effets spéciaux (Chris Walas)… Tout ce petit monde vient témoigner de son attachement à l’homme et à l’acteur Dick Miller et raconter diverses anecdotes de tournage qu’ils ont pu vivre en sa compagnie. Si certains grands noms sont absents (Martin Scorsese, James Cameron, Jack Nicholson…), et si on aurait aimé en voir d’autres hélas décédés avant ce documentaire (Kevin McCarthy, Paul Bartel, Charles Griffith, Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson…), on peut toutefois remarquer que Elijah Drenner est allé chercher des gens peu ou pas liés à la galaxie cormanienne : le critique Leonard Maltin, les réalisateurs Michael Schlesinger et Ernest R. Dickerson, le producteur Gilbert Adler….

Et puis surtout, il y a Dick Miller, alors âgé de 86 ans, qui demeure encore le mieux placé pour parler de lui-même. Légitimement, il dispose de loin du plus grand temps parole, le plus souvent tranquillement installé dans son canapé avec sa femme à ses côtés et son chien sur les genoux. Un véritable cadre de retraité qui s’avère propice à l’évocation non seulement de sa carrière, mais aussi de sa vie en général, liée ou non à son travail. Pour aborder ce sujet, le plus méconnu de sa personne, on peut également compter sur sa femme Lainie, qui ne l’a pas suivi dans ses pérégrinations cinématographiques (c’est d’ailleurs à peine si elle a travaillé dans le milieu du cinéma, son plus gros fait d’armes demeurant son rôle non crédité de strip-teaseuse dans Le Lauréat de Mike Nicholls en 1967), ainsi que de Bill et Gene, les deux frères de Dick Miller. Notons tout de même l’absence de ses enfants. C’est ainsi que l’on découvre sa jeunesse, ses parents vite séparés, avec une mère chanteuse d’opéra, la relation entretenue avec eux jusqu’à leur décès, ses goûts cinématographiques (la rencontre avec Boris Karloff fut l’un de ses moment les plus exaltants), ses études chaotiques, ses multiples petits boulots, les années de galère, son mariage… Pour être une icône, Dick Miller n’en est pas moins homme ! Tout cela est richement illustré par les archives de la famille Miller : photos, vidéos, traces écrites… et même le tatouage de sa femme nue sur le biceps ! Des passages obligés certes, mais qui ont aussi le mérite de laisser parfois la place à la subjectivité, notamment lorsqu’interviennent les proches de l’acteur, qui n’hésitent pas à parler de leurs propres ressentis. Ainsi son épouse, qui le met gentiment en boîte en mentionnant sa période de confinement à domicile lorsqu’il ne voulait prendre le risque de manquer un rôle pour ne pas avoir répondu à un appel téléphonique. Ou son frère qui évoque la séparation de leurs parents et les relations problématiques de Dick avec son père… Mais enfin bon, il n’y a aucune gravité dans toutes ces révélations. Le documentaire se veut enjoué quel que ce soit le sujet, et pour cela il peut compter sur la très taquine Mme Miller, jamais avare d’ironie (leur lune de miel sur le tournage d’un western…) et bien différente de Jackie Joseph incarnant la femme de Dick Miller à plusieurs occasions à l’écran, à commencer dans les Gremlins. Ces entretiens dans l’intimité sont également l’occasion pour Lainie, peut-être plus encore que pour Dick, d’évoquer les projets et hobbies de Dick Miller en dehors de ses films. On apprend ainsi qu’il aurait d’abord souhaité être écrivain, avant que le hasard ne le conduise au cinéma. Mais bien qu’il ait fini par se considérer prioritairement comme un acteur, il n’en a pas moins rédigé toute une pile de scénarios jamais exploités et qui restent bien rangés dans un tiroir. Seuls trois de ses scripts ont fini par servir, encore que parfois “révisés” : le western Four rode out, la comédie de Jerry Lewis Ya, ya mon général ! et la blaxploitation kung-fu cormanienne TNT Jackson, le plus “préservé” du lot. En outre, madame Miller tient à préciser que l’Internet Movie DataBase a tort lorsqu’elle crédite Dick Miller de la réalisation d’un épisode de Deux flics à Miami : c’est un homonyme et non le véritable Dick Miller, qui lui n’a jamais franchi le pas de la réalisation. En revanche, à ses heures perdues, Dick Miller est un dessinateur doué, et c’est pour cela qu’il a été embauché par George C. Scott lorsque celui-ci réalisa le téléfilm judiciaire The Andersonville Trial dans lequel il lui confia le rôle d’un dessinateur d’audience. Mais généralement, cette activité est restée en dehors de sa carrière au cinéma. Il a par contre de nombreux croquis en stock, souvent sur des sujets mêlant fantastique et érotisme, et il ne rechigne pas à les montrer.

Si la vie privée de Dick Miller était un mystère pratiquement intégral, sa carrière cinématographique l’était déjà un peu moins. Les sources principales jusqu’ici étaient les livres de ou sur Roger Corman et Joe Dante (certes pas des best sellers non plus), dans lesquels l’acteur était évoqué ou apportait un témoignage. En rêvant un jour à une biographie papier si ce n’est à gros format de chez Taschen, le documentaire est l’occasion d’approfondir le sujet, de livrer une foule d’anecdotes et d’analyser pourquoi Dick Miller est devenu une figure révérée à la fois par un public “de niche” et par une flopée de cinéastes ou autres artisans du cinéma. Il fit ses premières armes à l’écran par hasard, invité par son ami de longue date Jonathan Haze (rencontré lorsqu’ils vivaient dans le Bronx) à passer une audition pour un Roger Corman qui en était encore à ses débuts. Le résultat fut le malheureusement introuvable La Femme apache (1955), dans lequel l’idole tient principalement le rôle d’un indien mais aussi celui d’un cow-boy. C’est le point de départ d’une collaboration qui perdurera longtemps, et qui imposera définitivement Dick Miller comme un inamovible second rôle, un temps en binôme avec le trop oublié Jonathan Haze. Seuls deux films lui ont offert le haut de l’affiche : Rock All Night, dans lequel il campe un rockeur qui ne s’en laisse pas compter, et surtout le satirique Un baquet de sang faisant de lui un timide serveur méprisé par l’intelligentsia beatnick qui trouvera la gloire en se faisant passer pour un sculpteur de génie, moyennant sur sa route quelques cadavres enrobés d’argile. Le rôle de sa vie ! Et pourtant, à en croire tout le monde, la véritable personnalité de Dick Miller est toute autre, bien plus proche de ce qu’il est dans Rock All Night. Avec son fort accent du Bronx, sa petite taille et son caractère affirmé, il fait merveille dans des rôles de teigneux aux réparties tonitruantes. A l’image du cinéma de Corman, Dick Miller est très second degré, voire pince-sans-rire, et c’est dans ce genre de compositions toutes personnelles qu’il a acquis l’admiration de toute l’écurie Corman. Y compris de ceux qui n’en étaient pas encore et assistaient à ses prestations en spectateurs. Il en va ainsi pour les Joe Dante, les Jonathan Kaplan ou les Allan Arkush. Grand prince, Dick Miller refusa l’offre de Corman de tenir le rôle principal de La Petite boutique des horreurs au profit de Jonathan Haze, par amitié et gratitude envers ce dernier, et replongea définitivement dans les profondeurs des castings, sans pour autant se faire oublier.

C’est ainsi que lorsque les jeunes loups prirent la relève de Corman, ils n’auront de cesse de faire appel à ses services en remémorant à l’occasion ses succès passés (ainsi le nom de Walter Paisley, tiré d’Un baquet de sang, que Joe Dante fut le premier mais pas le dernier à ressusciter dans Hollywood Boulevard… précisons qu’il ne s’agit que du nom, et non du personnage). A commencer par Jonathan Kaplan qui dès 1972 et la comédie sexy Night Call Nurses fit une place à Miller qui devint l’acteur fétiche des jeunes pousses maison. Tant et si bien que Dick Miller n’était en fait plus engagé pour tenir des rôles, mais bien pour être là lui-même, emportant à chaque fois avec lui l’esprit des productions Corman. A vrai dire, et bien que cela ne figure pas dans le documentaire, il n’est guère étonnant que les disciples les plus fructueux de Corman (Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Jonathan Demme) aient assez tôt cessé de l’incorporer à leurs films. Devenus trop sérieux, trop personnels, leurs projets pouvaient difficilement être en phase avec cette incarnation de la série B qu’était Dick Miller. D’un côté on pourrait regretter de ne pas l’avoir vu à l’œuvre dans ce style, mais de l’autre il est difficile si ce n’est impossible de le percevoir autrement, et on ne peut que se féliciter qu’il soit resté fidèle à lui-même du début à la fin de sa longue carrière. Quand bien même Lainie aurait désiré le voir davantage entre les mains de réalisateurs non cormaniens, il est pourtant toujours retombé plus ou moins dans le même registre. Par exemple à l’occasion du Cavalier du diable, long-métrage de Ernest Dickerson issu des Contes de la crypte. Ou encore avec Cutaways, de Agnieszka Kurant, sa dernière prestation en date au moment de That Guy Dick Miller. Un documentaire sur… les acteurs habituellement coupés au montage, comme cela lui est arrivé pour Pulp Fiction. Même en intégrant pour deux épisodes le casting de la série Star Trek : Deep Space Nine, Dick Miller a véhiculé la même dérision, le même humour et le même style “petite teigne”. La polyvalence d’un acteur est souvent perçue comme un gage de talent. Mais le fait d’être singulier, toujours égal, et de transporter avec soi toute une époque, tout un esprit, cela l’est peut-être encore plus encore. Et c’est bien pour cela que l’on s’attache à Dick Miller et à un réalisateur tel que Joe Dante. Ou que du moins les amateurs de ce qu’ils incarnent y sont profondément attachés. That Guy Dick Miller est certes un documentaire de “niche”, mais en considérant qu’il ne pourra pas plaire au-delà de cette même niche, il fait incontestablement mouche. Même la mention d’anecdotes par définition anodines semble viser dans ce sens et relever d’un concept qui, in fine, n’est autre que le bébé de Roger Corman et qui hélas semble s’éteindre avec la génération des cinéastes, techniciens et acteurs ayant fait leurs armes pour la New World. Au-delà de la disparition d’un acteur apprécié, la mort de Dick Miller le 30 janvier 2019 marque ainsi la fin d’une continuité qu’il était le seul à incarner (malgré la survie à ce jour de Jonathan Haze ou de Jackie Joseph, bien moins actifs). Celle d’une histoire du cinéma de genre indépendant dont Roger Corman et Joe Dante ont été deux têtes de gondoles aux États-Unis.

Agrémenté de nombreux extraits de films plus ou moins rares, d’extraits de tournage ou de making-of complétant les archives personnelles, That Guy Dick Miller est comme signifié plus tôt porté sur la décontraction, à l’image de son sujet. En conséquence, en complément des témoignages jamais vraiment tragiques (la vie de Dick Miller ne le fut d’ailleurs visiblement pas), Elijah Drenner fluidifie son documentaire en ayant recours à des procédés habiles : musique discrète mais très 60’s, illustrations animées à partir d’affiches de films de Corman ou de typographie du même acabit. Le personnage est donc cerné non seulement personnellement et professionnellement, mais le documentaire qui lui est consacré -hagiographique en diable, mais comment pourrait-il en être autrement puisqu’il est fait par et pour des fans ?- s’orne du même esprit que celui qui animait la “famille” Corman dont il illustre d’ailleurs l’histoire, indissociable de Dick Miller. Tourné à un moment idéal, après le gros de sa carrière mais avant sa mort, That Guy Dick Miller s’avère indispensable, quoique réservé à des aficionados hélas, soyons lucides, trop peu nombreux…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.