La Tour sombre V : Les Loups de la Calla – Stephen King
The Dark Tower V : Wolves of the Calla. 2003Origine : Etats-Unis
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Le village de Calla Bryn Sturgis a la particularité de ne voir naître pratiquement que des jumeaux. Cela l’expose aux loups venus de Tonnefoudre, qui tous les 23 ans environ viennent au village pour séparer chaque enfant de son jumeau, qu’ils amènent alors avec eux pour y subir on ne sait quelle opération avant de les renvoyer “cranés” à la Calla. Par “cranés”, les habitants entendent vidés de toute intelligence au point de n’être plus bons à rien si ce n’est à servir de bœufs de labour, puisque les cranés deviennent anormalement forts en grandissant. Pour mettre fin à cette situation, plusieurs villageois soutenus par le père Callahan décident de demander l’aide d’un groupe de pistoleros passant à proximité du village. Il s’agit bien entendu du ka-tet de Roland, toujours en route vers la Tour Sombre.
En quatre tomes, pas évident de trouver les racines westerniennes de La Tour sombre. Le Pistolero partait dans trop de directions pour que son intrigue soit véritablement évocatrice du genre, et il fallut attendre Magie et cristal pour s’en approcher d’un peu plus près. Mais King restait malgré tout à bonne distance… Avec Les Loups de la Calla, il se sacrifie enfin à l’exercice, en citant en postface des références convenues qui n’auront échappé à personne : Sergio Leone mais aussi Les Sept samouraïs, qui à défaut d’être un western en a inspiré un vrai, réalisé par John Sturges et joué par Yul Brynner (le nom Calla Bryn Sturgis ne sort pas de nulle part). Mais n’est ce pas un peu trop tard ? Après six ans de silence, King revient à sa saga, avec cette fois un planning bien établi. Il reste donc trois livres, écrits en peu de temps. On peut donc rester sceptiques sur son initiative… Car encore une fois, l’auteur semble vouloir gagner du temps en consacrant son roman à un épisode anecdotique quant à la fameuse Tour sombre. Le sacripant avait déjà eu recours à cette parade en consacrant la quasi intégralité du volet précédent au récit de Roland sur son passé. Quoique Magie et cristal pouvait au moins se justifier par la nécessité de répondre aux questions posées par le premier tome. Les Loups de la Calla ne peut en dire autant : les loups et Calla Bryn Sturgis n’avaient jamais été mentionnés et je doute que cette étape soit déterminante dans la saga. Ce qui pour autant n’en fait pas un mauvais livre : toutes les fois où King a semblé vouloir gagner du temps, il s’en est sorti honorablement et a même réussi après Les Trois cartes à raccrocher ses apartés au cadre général, quoiqu’en se posant de nouveaux casses-têtes. Mais ici, la façon de faire est un peu fallacieuse : Roland et ses amis se promènent, ils sont contactés par les émissaires des villageois, et acceptent leur mission parce que c’est le rôle des pistoleros que de prêter main forte aux âmes en détresse. A ce rythme, King pourrait prolonger artificiellement et indéfiniment sa saga (à l’heure où j’écris ces lignes, il rédige d’ailleurs le huitième tome, qui chronologiquement devra se dérouler entre Magie et Cristal et Les Loups de la Calla)… Enfin bon, bien qu’on commence à se sentir quelque peu agacés par les temporisations du pseudo “Jupiter du système solitaire de son imagination” (comme King définit La Tour sombre), il faut bien dire que Les Loups de la Calla parvient malgré tout, à sa façon, à faire progresser l’intrigue. Car même si concrètement les personnages n’avancent pas d’un pouce, King profite de la longue attente jusqu’à l’arrivée des loups pour actualiser quelques dossiers en souffrance : la grossesse de Susannah consécutive à son accouplement avec un démon, la rose et le “restaurant spirituel” du New York de Jake (deux éléments évoqués dans Terres perdues), le Roi Cramoisi et les briseurs dont il est fait mention dans l’une des nouvelles de Coeurs perdus en Atlantide et dans Magie et Cristal, l’histoire des boules magiques… Il en créé également d’autres, comme l’arthrite naissante de Roland, la cité de Tonnefoudre, et même un qui arrive de nulle part : l’errance du père Callahan, devenu impur depuis la fin de Salem, après avoir bu le sang du vampire Barlow. Il a depuis gagné le monde de Roland, via de longues aventures qu’il nous narre par le menu et qui constituent encore une histoire dans l’histoire. Le monde de la Tour sombre a plusieurs niveaux, ce qui en clair signifie que la Tour sombre n’est autre que l’imaginaire de Stephen King, dont les personnages peuvent glisser d’un niveau / roman à un autre. Pour l’heure, cela reste très limpide, mais la fin à tiroirs des Loups de la Calla promet pour les tomes suivants une complexification qui sera pour le moins ardue à gérer par l’auteur, lequel est d’ailleurs appelé à devenir lui-même un personnage. Car s’il fait avancer plusieurs dossiers et en ouvre d’autres -celui de la mise en abimes est le plus notable-, King ne résout encore rien et se permet donc de remplir son cinquième tome de nombreuses sous-histoires héritées ou non des livres précédents et qui malgré le ton parfois pompeux employé ne dépassent jamais vraiment le stade des péripéties (à titre d’exemple, la quête pour sauver la rose, cette représentation de la Tour dans le monde contemporain décrite avec emphase, prend l’allure d’un combat contre de mafieux de bas étages). Ce qui rend le livre palpitant, certes, mais n’est-on pas en droit d’attendre davantage de La Tour sombre qu’une compilation d’aventures, aussi agréables à lire soient-elles ? Depuis cinq livres maintenant, on attend toujours patiemment que toutes ces aventures finissent par se raccorder une bonne fois pour toute, laissant la voie à un livre qui sans être forcément linéaire ne s’amuserait pas à s’éparpiller. En l’état, si ce n’est potentiellement la mise en abîme qui n’en est qu’à ses prémices, rien ne vient justifier la comparaison de King entre La Tour sombre et la planète Jupiter. Il n’y a pas de souffle épique, pas de profondeur, juste une profusion d’aventures -souvent bien rédigées, d’accord- à travers le temps et l’espace. Parvenir à la Tour sombre signifie sauver non seulement le monde, mais aussi tous les mondes (tous les niveaux), et à vrai dire, cette profusion de pistes laisse plutôt à penser que King confond la densité “feuilletonnante” avec l’ambition. Dès le départ, il admettait ne pas avoir de ligne directrice, et il continue encore à ramer pour combler les vides de ses précédents livres. Tout en ne pouvant s’empêcher encore une fois de se disperser. Alors oui, comme d’autres avant lui, ce tome de La Tour sombre est plaisant à lire, mais plus les pages défilent, plus le risque d’en avoir marre de la saga entière s’intensifie.
Pour ce qui est de l’histoire westernienne en elle-même, pas grand chose à signaler et pas de quoi réveiller Leone ou Sturges. C’est un western suffisamment basique pour permettre de lui incorporer tout ce qui vient d’être mentionné. Quelques pistoleros préparant un combat contre une horde de méchants malgré quelques habitants sceptiques et même très certainement un traître… Ajoutons à cela quelques touches d’innovations : les loups sont clairement rattachés au fantastique, et la présence d’un mystérieux robot dans un bled aussi reculé que Calla Bryn Sturgis apporte une touche de science-fiction à suspense (et aussi une autre énigme vers la Tour sombre, tiens, on n’est plus à ça près). L’amitié de Jake pour un garçon de son âge, et le déchirement qui surviendra inévitablement à la fin de l’histoire -le départ ou la mort- sert quant à elle essentiellement de caution morale (ce gamin commence d’ailleurs à devenir irritant, servant aussi de bonne conscience à Roland), chose qu’on aurait difficilement pu retrouver chez les habitants eux-mêmes, plutôt quelconques. Inutile de s’étendre : truffée de digressions, la défense du village est une petite histoire limpide rendue erratique par la grande histoire brouillonne, et même si King essaie de démontrer que la venue du ka-tet de Roland à Calla Bryn Sturgis n’est pas un hasard (ils y trouvent Callahan et la terrible treizième boule magique, ainsi qu’une porte sur le monde de Jake pour faire l’allée et venue et protéger la rose), difficile d’y voir autre chose qu’un prétexte pour faire le point sur une saga richement bordélique.