La Tour sombre I : Le Pistolero – Stephen King
The Dark Tower: The Gunslinger. 1982Origine : Etats-Unis
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Roland, le dernier pistolero d’un monde dévasté, traverse un immense désert à la poursuite du mystérieux homme en noir. Cette quête est commencée depuis de nombreuses années maintenant, et elle touche à sa fin. Ou du moins sa première partie touche à sa fin, puisque retrouver et abattre l’homme en noir n’est que la première partie d’une quête qui devra le mener à la Tour sombre.
La Tour sombre est le marronnier de Stephen King. Comptant à ce jour 7 romans, quelques nouvelles s’y rattachant plus ou moins directement (“Les Petites sœurs d’Éluria” dans Tout est fatal, “Crapules de bas étages en manteau jaune” dans Cœurs perdus en Atlantide), des allusions dans d’autres romans (Le Fléau, Les Yeux du dragon, Le Talisman des territoires…), sans compter une série de comics, cette saga sans fin n’est pourtant pas née au moment de la publication du Pistolero, le premier roman. Celui-ci n’est que la compilation de 5 épisodes parus entre 1978 et 1981 dans The Magazine of Fantasy and Science Fiction (et dans le magazine Fiction en France). Pas exactement un feuilleton cependant, puisqu’aucun de ces épisodes ne s’achève sur un suspense insoutenable, et que l’aventure y joue un rôle relativement réduit. Davantage concentré sur l’introspection de son personnage principal, Le Pistolero n’est rien d’autre qu’un produit d’appel pour un concept qui reste entièrement à être développé. L’idée d’une saga interminable s’est imposée à Stephen King avant même de commencer le premier épisode, ce que l’auteur explique dans une postface qui aurait très bien pu être une préface. Cela aurait été moins vendeur, cela dit… Car King, en évoquant le procédé créatif à l’origine de La Tour sombre (assez ancien, car datant de sa seconde année de fac, où il étudia un poème romantique de Robert Browning intitulé Le Chevalier Roland s’en vint à la Tour noire) admet qu’il n’a encore aucune idée sur la direction dans laquelle le portent toutes les pistes qu’il vient de lancer. Le passé de Roland, ses proches désormais disparus, sa quête pour la Tour sombre, les différents univers, tout cela est posé mais ne mène encore à rien. Et il ne fut pas difficile de s’en apercevoir, puisque c’est le défaut majeur du livre. Le Pistolero est un livre creux… Ce qui aurait pu et probablement dû aboutir à une furieuse envie de découvrir la suite, Les Trois cartes, est manqué dans les grandes largeurs, faute de perspectives suffisantes pour se sentir immergé dans le récit. Ne sachant pas où il va, King ne donne que très peu d’informations sur la quête de Roland, ce chevalier des temps modernes (le cow-boy remplaçant le chevalier du poème de Browning). Les flash-backs sont pourtant fort nombreux, mais soit ils concernent des épisodes récents de la vie de Roland, qui se trouvait alors déjà dans le désert -ce qui du coup ne révèle aucune info sur la nature de sa quête- soit ils évoquent subrepticement un passé qui lui même, pour être davantage appréhendé, aurait nécessité que l’on s’attarde sur les évènements encore antérieurs. Tout cela laisse augurer d’une saga confuse qui n’aura de cesse de bondir entre différentes époques du passé pour reconstituer le puzzle de la vie de Roland. Avec comme grand désavantage de rendre le présent (la quête vers la Tour sombre) futile. Le procédé aurait pourtant pu s’inscrire dans ce que l’on devine, à savoir que la quête de Roland l’amènera à voyager dans différents mondes et différentes époques, mais ce serait oublier que dans Le Pistolero il n’y a aucun bond temporel… juste de simples flash-backs. Au moins, à défaut d’avoir donné envie de connaître les futures péripéties de Roland, ce tome d’ouverture peut donner envie de s’attarder sur Les Trois cartes au niveau technique : King arrivera-t-il à se dépêtrer d’une structure qui ne laisse augurer qu’un vaste foutoir ?
En attendant, pour revenir au présent, il n’y a pas grand chose à se mettre sous la dent… La plupart des épreuves vécues par Roland, quand il ne s’agit pas de remplissage bâclé (dans le chapitre “Les lents mutants”), est surtout pour lui un moyen de se concentrer sur son passé et sur des questions morales. Par exemple Jake, le gamin que Roland croise dans le désert et prend sous son aile, renvoie le pistolero à sa propre éducation (d’où les flash-backs). Le compagnon de route devient un confident, ce qui encore une fois donne l’impression que le temps présent est complètement stérile. D’autant plus que les relations entre l’enfant et son protecteur sont développées au minimum syndical. L’absence de données concernant l’homme en noir provoque également l’absence d’enjeu tangible à la course-poursuite que le livre retrace et par conséquent ne donne nullement l’impression d’ampleur que l’on était en droit d’attendre pour la fin d’une époque voire d’un monde pour le personnage principal… Difficile dans ces conditions d’avoir envie d’en lire plus. On est en outre bien loin de l’image du héros de western spaghetti, que pourtant Stephen King évoque comme influence pour le personnage de Roland. Certes, le pistolero est taciturne, certes il manie le revolver comme un chef, mais le fait que le lecteur soit amené à rester dans ses pensées plutôt qu’à être témoin de ses actes en fait l’antithèse de l’homme sans nom joué par Clint Eastwood. Et c’est là le second reproche à adresser à King : le style sérieux et très premier degré du livre. Ce qui apparaît comme vraiment surfait, compte tenu de l’opacité de l’ensemble. Lors des intermèdes métaphysiques, surtout concentrés à la fin au moment où la poursuite s’achève (car il devient évident que le final ne sera pas plus dynamique que le reste), les tournures de phrases se font même d’une lourdeur peu commune, la faute à un homme en noir qui doit plus au sage Yoda qu’à la brute Lee Van Cleef : “Son œil voit-il le moineau quand celui-ci n’est pas un atome d’hydrogène séparé de ses congénères et dérivant dans les profondeurs de l’espace ?“. Quand même très pompeux pour conclure un livre aussi aride que le désert traversé par ses personnages.
On ne peut reprocher au Pistolero de ne pas avoir cherché à créer un univers de fantasy. Au contraire, les pistes y foisonnent, tellement qu’elles finissent par écraser le plaisir immédiat de la lecture du livre. Celui-ci n’est en fin de compte qu’une bande annonce littéraire : plein de visions nous sont montrées hors contexte, on n’y apprend rien si ce n’est que La Tour sombre mêlera western (si King s’y tient), science-fiction façon 2001 l’Odyssée de l’espace, fantasy pure et dure (l’homme en noir a recours à la magie et aux prophéties) et références bibliques. Conscient de ces défauts, King révisera Le Pistolero en 2003 pour y ajouter davantage de “liant” et épaissir un peu le profil psychologique de ses personnages. Je ne sais pas quel en est le résultat, mais pour ce qui est de la version 1982, elle est poussive et barbante au possible. En espérant malgré tout une bonne surprise avec Les Trois cartes, la fantasy ne semble décidément pas être le fort de King, puisque Les Yeux du dragon et Le Talisman des territoires étaient déjà plutôt fumeux…