Voyage au bout de l’horreur – Terence H. Winkless
The Nest. 1988Origine : Etats-Unis
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La New World Pictures a été vendue, mais la Concorde lui a succédé. Roger Corman n’est pas là pour assurer la production, mais sa femme Julie s’en charge bien volontiers. Il y a quelques années déjà que Joe Dante est parti sous d’autres horizons, mais quoique débutant à la réalisation, Terry Winkless, le co-scénariste d’Hurlements, fera très bien l’affaire. Bref si l’écurie Corman n’a plus son lustre d’antan, elle reste fidèle à ses traditions. C’est après tout dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes (aux navets, dirons certains). Et Voyage au bout de l’horreur en est incontestablement un autre, de vieux pot. Il est même usé jusqu’à la corde.
Sur la petite île de Northport, la saison touristique s’amorce. Un gamin du coin ainsi qu’une touriste ont déjà disparu, mais cela n’émeut guère le shérif Tarbell (Franc Luz), qui a le plaisir de retrouver son ex petite amie Elizabeth (Lisa Langlois), partie quelque temps pour tenter sa chance à Los Angeles et certainement aussi pour oublier le décès de sa mère dû à un empoisonnement suspect. Elizabeth n’est pourtant pas revenue pour se remettre avec Tarbell, qui a d’ailleurs une nouvelle petite amie, mais pour renouer avec son père Elias (Robert Lansing, déjà aux prises avec des insectes méchants dans L’Empire des fourmis géantes), le maire de la ville, qui a bien des soucis en ce moment. Plein de bonnes intentions, il avait autorisé la société Intec à s’installer sur l’île pour y effectuer des recherches génétiques destinées à éradiquer les cafards, véritables plaies de Northport. Pas sot, notre vaillant élu se doute bien que ces expériences ont mal tournées. Comment expliquer autrement qu’un chien soit retrouvé en charpie sur le terrain appartenant à Intec ? Il en a la confirmation auprès du Dr. Hubbard (Terri Treas), la scientifique d’Intec : les cafards génétiquement modifiés sont allés au-delà des espérances. Agressifs, carnivores et stériles, ils étaient censés tuer leurs congénères avant de disparaître. En revanche, ils n’étaient pas censés s’en prendre aux humains ni aux animaux, et encore moins assimiler l’organisme de leurs victimes. Sans parler de leur résistance aux pesticides. Pour l’heure, le maire réussit à éloigner le shérif de l’affaire, prétextant que cela ne concerne que Intec. Ca va être dur de couvrir ce scandale très longtemps, surtout avec Elizabeth qui passe son temps avec Tarbell.
Un canevas très classique pour une histoire qui aurait très bien pu être contée quinze ans plus tôt… ou plus tard. C’est que les animaux belliqueux n’ont jamais cessé d’être une source d’inspiration pour la série B. Dans le fond, qu’ils soient géants ou non, qu’ils soient nés de la radioactivité ou de bidouillages scientifiques, tous se ressemblent. Si ce n’est pour quelques exceptions inspirées par le Godzilla japonais, ils interviennent tous au milieu d’une petite communauté tranquille à chaque fois surprise d’être en proie à de telles difficultés. Et à chaque fois, tout le monde est tellement surpris que les bestioles peuvent commettre leurs méfaits en toute impunité, du moins jusqu’à ce qu’un valeureux héros et éventuellement quelques acolytes (dont l’indispensable héroïne) se rendent compte de l’ampleur de la réalité et prennent les choses en main pour finalement triompher de l’adversité qui menaçait leur petit monde bien gentil. Voyage au bout de l’horreur n’est pas conçu autrement. Par contre, selon les époques, quelques points de détails viennent actualiser ce schéma classique. Et c’est là que beaucoup de monde est redevable à Steven Spielberg et à ses Dents de la mer, qui en surfant sur la vague de suspicion post-Watergate et en désignant clairement des coupables humains, de préférence comploteurs, ont donné du grain à moudre à tous les scénaristes adeptes de bestioles méchantes. On ne compte plus les salopards d’industriels qui n’ont pas hésité à rejeter leurs déchets toxiques dans la nature au risque de traumatiser la faune. En 1988, évolution scientifique aidant, il ne s’agit plus de déchets toxiques, de radioactivité ou d’atomes, mais de manipulation génétique. Ce qui ne change rien à l’affaire : la compagnie Intec n’en est pas moins condamnable et les cafards n’en sont pas moins méchants. Par contre, le personnage ambigu du maire permet un chouïa d’originalité. Pris entre deux feux, celui d’Hubbard pour Intec et celui de sa fille et du shérif pour la société civile, l’élu ajoute un soupçon de piment dans les relations entre ces personnages. Dire que sa situation (dans laquelle on peut inclure la culpabilité du suicide de sa femme) permet de s’attacher aux protagonistes serait beaucoup dire, surtout que du côté du shérif comme du côté d’Intec on ne lésine pas sur les stéréotypes, mais en tout cas elle permet d’éviter le manichéisme aux gros sabots, et du coup de crédibiliser quelque peu le côté politique. Les films de ce genre ont trop souvent tendance à opposer simplement deux catégories (les gentils et les méchants) pour qu’on ne salue pas l’effort qui est fait pour montrer que l’enfer est parfois pavé de bonnes intentions, à savoir que le brave maire n’avait au départ en tête que la dynamisation de son île en encourageant les investissements de l’Intec, adaptés aux problèmes locaux (les cafards). Comme quoi, se montrer humain peut aussi aboutir à des drames, surtout dans une structure économique où les intérêts collectifs incarnés par le maire sont vite écrasés par les intérêts privés.
Mais l’essentiel n’est pas là… Alors, dans Voyage au bout de l’horreur, ils sont comment, les monstres ? Voilà ce que se demande le spectateur d’une telle production. Et bien déjà, ils sont naturels : à moins que les responsables des effets spéciaux aient été des génies, tous les cafards semblent avoir été réels. Ce qui provoque quelques scènes grouillantes fortement déconseillées aux entomophobes, telles que la mise à sac d’une maison ou encore l’invasion d’un bar pour le plus grand malaise de l’infortunée patronne (dont le père s’est fait dévorer de l’intérieur par les cafards… sans compter qu’elle est aussi la légitime petite amie du shérif et donc future cocue en puissance… c’en est trop pour la pauvre femme : elle court s’enfermer dans la chambre froide !). Le plus réjouissant n’est cela dit pas la vision des cafards en eux-mêmes, mais bien de leurs actes. Et c’est précisément le point fort du film de Terry Winkless : quand ils ne sont pas occupés à envahir les espaces domestiques par nuées entières, ils dévorent tout ce qui bouge. Le résultat ne se fait pas attendre : les chairs explosent et ne laissent qu’un ramassis de tripes peu ragoûtantes. Winkless ne lésine pas sur le gore, et pour plus de diversité il imagine même que les cafards sont capables de prendre l’apparence de leurs victimes. Ce qui nous donne donc des créatures repoussantes comme cette carcasse de chat sanguinolente qui revient à la vie via une hybridation contre-nature ou encore l’homme-cafard, toujours très classe dans un salon bien tenu. Le clou du spectacle étant bien sûr la reine des cafards, magma humanoïde à la vue duquel on se dit que Mimic n’était finalement pas très original. La très méchante scientifique d’Intec n’y est d’ailleurs pas insensible, elle qui était déjà aux limites de l’orgasme devant le spectacle de ses bébés dévorant sa propre main. Cela flatte légitimement son ego de savante folle.
Sans être révolutionnaire, Voyage au bout de l’horreur est une très honorable série B. Bien ficelé, largement gore, évitant toujours de se prendre au sérieux, le film est largement au dessus des productions du même ordre, généralement trop chiches à tous les niveaux (la preuve : TF1 ou M6 en sont friandes pour meubler des secondes parties de soirées). Respecter des codes à la lettre n’est pas forcément synonyme de médiocrité, pourvu que le réalisateur sache aller à l’essentiel comme l’a fait ici Terry Winkless. Il aura en tout cas convaincu les époux Corman, pour lesquels il travaillera encore régulièrement les années suivantes.