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La Passion Béatrice – Bertrand Tavernier

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La Passion Béatrice. 1987

Origine : France / Italie
Genre : Drame passionnel
Réalisation : Bertrand Tavernier
Avec : Bernard-Pierre Donnadieu, Julie Delpy, Niels Tavernier, Monique Chaumette…

Cinéaste singulier, Bertrand Tavernier virevolte au gré de ses envies d’un genre à l’autre et d’une époque à une autre. Après avoir rendu un vibrant hommage à la musique jazz et à ceux qui la jouent dans Autour de minuit, film qui plonge le spectateur dans le New York de la fin des années 50, Bertrand Tavernier change complètement de registre pour son film suivant, un drame qui se déroule durant la Guerre de 100 ans. Toujours dans le souci d’ausculter la France à travers son histoire, Bertrand Tavernier met cette fois-ci son goût du naturalisme au service d’un récit plus intime autour de la relation plus qu’orageuse entre un père et sa fille dans un contexte médiéval qui fait bien peu de cas de la figure féminine.

Alors que la guerre de Cent Ans fait rage, nombreux sont les domaines qui périclitent faute d’une gestion efficace. Il en va ainsi du domaine des Cortemart depuis que François et Arnaud, le père et le fils, sont partis au combat. Restée seule avec sa grand-mère et une poignée de servantes fidèles, la fille de François -Béatrice de Cortemart- éprouve bien des difficultés à conserver l’intégrité des terres familiales. Faute de serfs pour les cultiver et ainsi nourrir les pensionnaires du château, elle est contrainte de revendre des parcelles ainsi que du mobilier. Il est plus que temps que son père et son frère, dont elle attend le retour avec passion et impatience, rentrent de leur exil et reprennent les affaires en main.

Comme il le prouvera par la suite avec La Vie et rien d’autre (1989) et Capitaine Conan (1996), deux films qui se déroulent dans les années suivant l’armistice de la Première Guerre Mondiale, Bertrand Tavernier ne s’intéresse pas tant à la guerre en elle-même qu’à ses conséquences sur les êtres et la société. De cette guerre qui oppose les français aux anglais, nous n’en aurons que les échos lointains et n’en verrons que les stigmates qu’elle laisse sur les corps et les esprits. Objet de fascination pour les gens qui n’y ont pas participé, la guerre devient obsession pour ceux qui l’ont faite. Le repas qui scelle les retrouvailles entre François, son fils Arnaud et Béatrice, témoigne de ce fossé qui existe entre les vétérans et les autres. A un auditoire avide de récits héroïques et guerriers, François de Cortemart répond d’abord par le mépris avant d’accéder à leur requête en leur narrant ses bien peu glorieux faits d’armes. Ce récit d’un échec -François et son fils ont été capturés sans même avoir eu à combattre- marque la fin des illusions d’un homme dont toute l’existence a eu à souffrir de la guerre. Cette guerre lui a déjà coûté son père, son innocence et, désormais, sa fierté de chevalier. Il n’éprouve aucun mérite d’être allé au combat, se sentant même floué de l’avoir fait au nom d’un roi couard qui n’a pas hésité à abandonner très tôt ses troupes. C’est en homme brisé qu’il est revenu des geôles anglaises, incapable de tout autre sentiment que la colère et la rancœur. Ce repas, censément festif, ne lui sert qu’à cracher sa rage et à régler ses comptes devant un auditoire complètement interdit. Féroce et dur, il l’est d’autant plus lorsqu’il parle de son fils dont la faiblesse de caractère ne suscite en lui aucune forme de pitié. Un fils qu’il se plaît à railler et à mettre plus bas que terre tant son attitude au combat n’a pas rendu honneur au nom des Cortemart. François a perdu plus qu’une bataille, il a perdu son humanité. Incapable de se défaire de ce qu’il a vécu sur les champs de bataille et en prison, il est revenu en sa demeure entouré de soudards, compagnons d’infortune qui n’ont nulle part où aller et qui, comme lui, n’ont plus que de la violence et de la haine en eux. Scène clé du film en ce sens où elle pose les jalons de la confrontation à venir entre François et Béatrice, le repas donne en outre l’occasion à Bernard-Pierre Donnadieu, grand acteur trop souvent cantonné aux seconds rôles au cinéma, d’esquisser les grandes lignes de son personnage, une sorte d’ogre autoritaire qui ne pourra plus jamais être heureux en ce monde, si tant est qu’il l’ait été un jour.
Pour Béatrice, qui a attendu le jour de leurs retrouvailles avec tant d’ardeur, le coup est rude. Elle se retrouve en porte-à-faux entre son frère qu’elle adore et ce père qu’elle admirait. Néanmoins, elle ne peut se résoudre sur la foi de cette seule soirée à rejeter un père dont elle attendait le retour depuis si longtemps. Elle prouve une nouvelle fois sa détermination en continuant d’aimer ce père qui ne fait pourtant rien pour l’être, mais son obstination à conserver foi en cet homme rongé par la guerre se heurte à un mur. Dés lors, Béatrice se retrouve sans cesse ballottée entre l’amour qu’elle voue toujours à son père et ce sentiment de haine à son endroit qui se fait jour au plus profond de son être. Un trouble qui va de pair avec sa condition d’adolescente et des tourments qui en découlent. La dualité est au cœur du récit. C’est d’abord celle de Béatrice, véritable garçon manqué qui n’aime rien moins que vagabonder dans la nature, grimper aux arbres, chevaucher et chasser, alors qu’à cette époque la place des femmes se trouvait au château à cuisiner ou à coudre en fonction de leur statut. Et puis l’âge avançant, elle ressent ses premiers émois envers la gent masculine en la personne de ce jeune prince qui vient régulièrement au château lui réclamer l’argent que les Cortemart lui doivent. Capable de la plus grande dureté à l’égard de son père et de ce qu’il est devenu, elle redevient une petite fille qui, à l’abri des regards, fond littéralement en se remémorant les mots doux que le jeune prince lui a adressés. Jeune femme à la peau diaphane et au frêle aspect, Julie Delpy passe allègrement de la dureté à la fragilité avec un égal talent, ne cédant pas un pousse de terrain à l’ogre Donnadieu lors de confrontations à l’intensité de plus en plus marquée.
François de Cortemart est lui aussi un être tourmenté. Il a quitté une enfant et il retrouve une jeune femme au caractère bien trempé qui lui fait regretter qu’elle ne soit pas née homme. Incapable de sentiments paternels et encore moins de chaleur humaine, il rejette, en outre, tout ce dont en quoi il croyait : son roi et dieu. Plus rien n’a désormais d’importance pour lui. Il a tout perdu jusqu’à son prestige et ne s’astreint à aucune limite. Comme fasciné par la force de caractère de sa fille, il s’éprend d’elle au point de vouloir l’épouser en dépit des règles édictées par la sainte Eglise. Mais au-delà d’un amour à la véracité plus qu’incertaine, cette attitude traduit la volonté de François de réaffirmer son autorité envers une fille qui le défie sans cesse et de crier son dégoût d’une société de laquelle il s’exclut volontairement. Et puis il y a ses envies de suicide dont ne sait trop si elles proviennent des relents de la guerre ou si elles témoignent de regrets quant aux violences infligées à sa fille. Quoiqu’il en soit, François de Cortemart est un homme empli de douleur et de contradictions, à l’image d’une société en plein chaos. A travers lui et son rejet du christianisme, qui passe par l’appropriation de la virginité de sa fille, Bertrand Tavernier rend compte des profonds bouleversements que subit la société du Bas Moyen Age, période durant laquelle la chrétienté est durement mise à mal. Plutôt que de se concentrer uniquement sur la confrontation père-fille, thème qui peut être retranscrit à n’importe quelle époque, Bertrand Tavernier multiplie les personnages comme autant d’instantanés d’une période dont il veut nous faire partager toute la complexité. Ainsi, en arrière-plan de ce conflit familial se mêlent magie noire et méthodes inquisitrices sans que cela ne vienne phagocyter le cœur du récit. Bertrand Tavernier enrichit à loisir un récit parfaitement maîtrisé qui ne souffre que de l’interprétation approximative de Niels Tavernier, le propre fils du cinéaste, dans le rôle de Arnaud.

D’une grande beauté plastique, La Passion Béatrice peut cependant dérouter les tenants d’un cinéma ultra réaliste en dépit du souci du détail qui caractérise le réalisateur. Volontairement vague dans sa datation, ce film se veut avant tout la vision d’un cinéaste avec tout ce que cela présuppose de subjectivité et de partis pris. Néanmoins, il parvient à mes yeux à l’essentiel, capter l’essence même d’une période trouble et à la rendre tangible à l’écran. Alors même si l’interprétation n’est pas toujours à la hauteur du duo Donnadieu-Delpy et que certaines scènes sonnent un chouïa trop théâtrales, Bertrand Tavernier confirme ici son aisance à aborder tous les genres ainsi que la justesse de son regard.

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