Viva la vie – Claude Lelouch
Viva la vie. 1984.Origine : États-Unis
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Michel Perrin, riche industriel, et Sarah Gaucher, comédienne, disparaissent de conserve trois jours durant alors qu’ils ne se connaissent pas. A leur retour, ils ne se souviennent de rien, au grand dam de leurs proches. Quelques jours plus tard, rebelote ! Ils disparaissent encore mais reviennent cette fois avec le haut du crâne enturbanné, présentant les traces d’une intervention chirurgicale. Soumis à de nombreux examens, ils finissent par retrouver la mémoire : ils auraient été enlevés par des extraterrestres, lesquels exigeraient la fin de la Guerre Froide. Rien de moins.
Claude Lelouch n’est pas homme à s’appesantir sur ses échecs. Il adore filmer et à ce titre, il ne craint pas d’enchaîner les tournages, bénéficiant en outre d’une belle côte d’amour parmi les comédiens, toujours prêts à participer à ses projets, même pour des rôles mineurs. C’est ainsi qu’un an seulement après le longuet et modérément apprécié Edith et Marcel, il retrouve son Edith – Evelyne Bouix – pour lui faire jouer le rôle d’une comédienne saluée par la critique et promise à un grand avenir alors qu’elle venait justement d’être égratignée par la presse pour son interprétation de la Môme. Un pied-de-nez dont Claude Lelouch est coutumier, spécialiste de la mise en abîme comme en atteste la tribune qu’il offre à Didier Barbelivien, compositeur de la musique de Viva la vie et de la chanson-titre, lequel se félicite des bonnes ventes de la bande originale à l’occasion d’une émission radiophonique dont la station appartient à Michel Perrin, le personnage principal du film. Claude Lelouch s’y invite également, priant les spectateurs à ne rien dévoiler des tenants et des aboutissants de son dernier film en un geste hitchcockien révélateur de sa malicieuse cinéphilie et qui promet quelques rebondissements prompts à nous refaire reconsidérer l’intégralité du récit.
Derrière ce titre aux allures d’hymne enjoué, Claude Lelouch partage sa crainte d’une Troisième Guerre Mondiale à l’heure où, sous l’impulsion de la politique du quarantième président américain Ronald Reagan, la Guerre Froide connaît un regain de tension. La menace nucléaire hante les esprits et s’invite en unes des journaux et aux grands titres des informations télévisées et radiophoniques. Claude Lelouch amplifie ce climat anxiogène en ouvrant son film par un exercice d’alerte à la bombe atomique au milieu des immeubles démesurés et sans charme du quartier de La Défense à Paris, auquel succède la visite d’un entrepreneur chez un particulier afin de transformer la piscine du jardin en abri antiatomique. Néanmoins, la vie continue semble nous dire Claude Lelouch, qui se refuse à verser dans le pessimisme outrancier. Ainsi, sous couvert de drames conjugaux aux tonalités insolites, il tend vers la fable humaniste. Cependant, il se garde bien de nous donner toutes les clés de son récit, lequel emprunte de nombreux chemins de traverse avant de révéler sa véritable nature. Ainsi pourrons-nous longtemps nous interroger sur le rôle joué par le personnage incarné par Charles Aznavour, que l’on retrouve à intervalle régulier dans son salon suivre les soubresauts de l’intrigue à la faveur des informations télévisées pendant que deux enfants jouent à la guerre avec leurs jouets. Du fait de son aura (le critique musical Stephen Holden aimait à le décrire comme la divinité de la pop française), ses scènes donnent l’impression de voir un démiurge contemplant son œuvre, les enfants symbolisant alors les deux blocs qui s’affrontent. De même, le personnage interprété par Jean-Louis Trintignant apparaît de prime abord comme un simple narrateur avant de finalement faire partie intégrante de l’histoire. Cependant, c’est à son personnage que revient l’énoncé des réels desseins de Claude Lelouch. En sa qualité de professeur d’art dramatique, François Gaucher explique à ses élèves qu’il existe trois catégories de cinéastes : « ceux qui aiment raconter une histoire (Steven Spielberg), ceux qui refusent de raconter une histoire (Federico Fellini), et ceux qui expliquent comment raconter une histoire (Jean-Luc Godard) ». Avec Viva la vie, Claude Lelouch s’amuse à naviguer entre ces trois catégories, conférant à son film une forme labyrinthique. Pour cela, il use de nombreuses astuces narratives jusqu’au dénouement de l’intrigue, un ultime rebondissement qui laisse comme un goût d’inachevé. Il y a là comme un renoncement, ou une incapacité à conclure de manière satisfaisante un récit qui lorgnait jusqu’alors du côté de la science-fiction. Et c’est bien dommage tant Claude Lelouch, sans renoncer à ses marottes habituelles, parvient à nous tenir en haleine avec cette improbable histoire d’individus kidnappés par des extraterrestres pour ensuite délivrer un message de paix à ce monde qui s’entre-déchire. Avec une économie de moyens qui laisse toute sa place à l’imaginaire (lesdits enlèvements et expériences qui s’en suivent ne sont relayés que de manière orale, jamais visuelle), Claude Lelouch nous place d’emblée dans la peau de ceux qui restent. A l’instar de Catherine Perrin et François Gaucher, on en vient à s’interroger sur la véracité des propos de Michel et Sarah, lesquels pourraient n’être que le paravent théâtral d’un banal adultère. Car l’amour et ses vicissitudes ne sont jamais bien loin (tout comme le placement produit pour une grosse marque d’eau minérale), Claude Lelouch n’ayant pas son pareil pour déchaîner les passions de ses personnages. Pendant une bonne partie du film, sa réussite tient donc dans ce savant mélange de prosaïsme et d’extraordinaire, propice à toutes les interprétations. En bon funambule, Claude Lelouch se maintient vaillamment sur le fil, oscillant entre naïveté et ridicule, célébrant la première sans jamais sombrer dans le second.
Claude Lelouch aime profondément le cinéma et son pouvoir de suggestion. Mais il aime aussi beaucoup les clins d’œil et les faux-semblants. Pour décevante qu’elle puisse être, la fin de Viva la vie est du pur Lelouch. A la fois évocation du travail du scénariste dans sa partie v.r.p et éloge discret sur la naissance du sentiment amoureux, la conclusion du film agit en ultime pied-de-nez d’un réalisateur facétieux dont la promesse d’un film de science-fiction ne résiste pas longtemps au plaisir de disserter sur les petites choses de la vie. On peut le regretter ou simplement profiter du spectacle tout en louant la cohérence de la démarche.