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Top Gun : Maverick – Joseph Kosinski

Top Gun : Maverick. 2022.

Origine : États-Unis
Genre : Tom 2
Réalisation : Joseph Kosinski
Avec : Tom Cruise, Miles Teller, Jennifer Connelly, Jon Hamm, Glen Powell, Monica Barbaro, Lewis Pullman, Charles Parnell.

Nous avions quitté un Pete “Maverick” Mitchell triomphant sur le pont de l’USS Enterprise, enterrant la hache de guerre avec son concurrent direct Tom “Iceman” Kazansky et promis à une belle carrière d’agent instructeur au sein de la Top Gun qui l’avait consacré. Une trentaine d’années plus tard, la Top Gun n’est plus qu’un lointain et cuisant souvenir. Il continue néanmoins de travailler pour l’armée en tant que pilote d’essai pour le projet d’avion hypersonique baptisé Darkstar. Un projet qu’il mène à bien au grand dam du contre-amiral Chester Cain, venu expressément pour signifier la fin des subsides. Une fois de plus dans le collimateur d’une hiérarchie qui en a soupé de son attitude bravache, Maverick ne doit son salut qu’à son vieux compagnon Iceman. Ce dernier, devenu le commandant de la flotte américaine du Pacifique, demande son transfert à la Top Gun avec pour mission d’encadrer l’élite des pilotes d’avions de chasse de l’armée américaine. Il doit s’assurer qu’ils puissent accomplir une mission hautement périlleuse, la destruction d’une installation de fabrication d’uranium enrichi dans un état hostile aux États-Unis. Fidèle à lui-même, il dispense un enseignement qui va à l’encontre des codes en vigueur mais qui réussit le plus important, souder une équipe. La sécurité du pays est à ce prix.

Lorsque sort Top Gun en 1986, les États-Unis se trouvent dans une phase de réaffirmation de leur toute puissance suite à la politique agressive et protectionniste de Ronald Reagan. Le 40e président américain se donne pour mission de redorer l’image du pays et trouve en Hollywood un allié de poids. Un an avant le film de Tony Scott, Rambo II : La Mission rejouait la guerre du Vietnam pour cette fois-ci en sortir victorieux, mettant au passage la défaite sur le dos de technocrates trop complaisants avec l’ennemi. Si l’idée d’un Top Gun 2 était déjà dans l’air à la suite de cet impensable succès, mais Tom Cruise refuse les 10 millions de dollars proposés par Don Simpson et Jerry Bruckheimer ne trouvant pas à l’époque le concept de suite très valorisant, elle revient avec plus d’insistance à la fin de l’année 2010. Au départ, un retour de la star n’était pas encore envisagé. Il devient une condition sine qua non à la mise en route de cette suite lorsque Adam Goodman, le président de la Paramount, veut également l’accompagner du retour de Tony Scott à la réalisation et de Jerry Bruckheimer à la production. Le suicide de Tony Scott en 2012 met un temps le projet sur pause avant qu’il ne prenne un tour plus concret lorsque Joseph Kosinski est désigné pour lui succéder. Ayant déjà dirigé Tom Cruise sur le tournage de Oblivion, il ne lui faut pas longtemps pour le convaincre de reprendre le manche, moyennant quelques exigences comme celle de filmer les scènes de vols sans l’aide de fonds verts. Prévu pour sortir à l’été 2020 – soit en plein mandat de Donald Trump, autre adepte du protectionnisme à tout crin – Top Gun : Maverick doit ronger son frein deux années durant à cause de l’épidémie du COVID. Un mal pour un bien puisqu’à l’aune de la reprise difficile de l’exploitation en salles, ce film porté par une star a pris des allures de sauveur inattendu d’une industrie plus que jamais bousculée par les plateformes. Du pain bénit pour Tom Cruise et son égo surdimensionné.

L’histoire tient désormais de l’anecdote. Top Gun a connu un tel retentissement auprès de la jeunesse américaine que celle-ci s’est précipitée en masse au service de recrutement de la Fighter Weapons School dans les mois qui ont suivi sa sortie. Un raz-de-marée sans précédent qui laissera bouche-bée les pilotes de la marine en exercice, perçus désormais comme des superstars. Mais sur un plan strictement cinématographique, le film n’a pas laissé de traces notables, parfait reflet de l’inconséquence des années 80, capables de transformer la guerre en spectacle. Tout au plus a t-il permis à Tony Scott de définir un style visuel qui se retrouvera dans bon nombre de productions Simpson-Bruckeimer à venir. Pour Tom Cruise, Top Gun est le film de la consécration, celui qui a fait de lui la star mondiale qu’il s’évertue à être encore aujourd’hui. L’étape nécessaire qu’il s’était fixée dans l’accomplissement de son métier. Mais à quoi bon y revenir plus de 30 ans après ? Personnage particulièrement inintéressant et arrogant filmé comme un jeune Apollon qui ne vit que pour la vitesse, Pete Mitchell avait vaincu ses démons à la fin du film, à la fois réconcilié avec la figure paternelle qui le hantait et avec son sentiment de culpabilité suite à la mort accidentelle de son ami Goose. Top Gun : Maverick a donc tout du projet régressif, participant de cette tendance à revisiter les années 80, nouvelle acmée du cinéma hollywoodien. Joseph Kosinski joue le jeu à la perfection, épousant le style de Tony Scott avec une évidente délectation. A tel point que les quelques plans du porte-avions en exercice qui ouvrent le film semblent directement extraits du premier Top Gun (mais peut-être le sont-ils réellement ?). Le réalisateur pousse le vice jusqu’à l’illustrer musicalement avec un morceau issu de sa bande-originale, Danger Zone de Kenny Loggins. Bien que nombreux à avoir participé à l’écriture, les divers scénaristes ne font pas montre d’une grande originalité dans leur approche. Les scènes emblématiques du premier film subissent soit une légère variation (la partie de beach-volley qui prolongeait la rivalité entre Maverick et Iceman cède la place à une partie de football américain dont le but est de créer un esprit d’équipe), soit sont reprises en d’insistants flashbacks (la mort de Goose). Plutôt qu’aller de l’avant, d’explorer de nouvelles pistes, les scénaristes préfèrent axer tous les ressorts dramatiques autour de cette scène angulaire, comme l’éternel ressassement d’une erreur qui n’en était pourtant pas une. Le personnage de Pete Mitchell sonne tellement creux qu’ils n’avaient plus que ce vieux trauma à ressortir. Autant dire que les atermoiements de l’as du pilotage qui cherche constamment à renouer le dialogue avec son défunt ami lorsqu’il entre dans un cockpit ennuient franchement. La présence dans l’intrigue du fils, Bradley Bradshaw, se justifie en partie par cette idée d’un fil à renouer. Il est aussi là pour rejouer en sourdine le parcours liminaire de Maverick avec au programme sa petite rivalité contre un pilote surdoué (Jake “Hangman” Seresin) et sa romance – en mode chaste et peu assumée – avec sa consoeur Natasha “Phoenix” Trace. Dans le rôle, Miles Teller n’a donc même pas l’opportunité d’incarner son propre personnage, condamné à n’être qu’un décalque. De Nick Bradshaw jusque dans son allure physique et de Pete Mitchell par son parcours. Sa seule présence doit concentrer l’essentiel du versant émotionnel du film, autrement dit replonger Maverick dans ses plus douloureux souvenirs. Ainsi, lorsqu’on voit le fiston jouer au piano le Great Balls of Fire de Jerry Lee Lewis, morceau que reprenait également Nick à tue-tête en compagnie de Pete, ce n’est pas tant dans le but d’une communion au travers de l’un de ses rares moments passés avec son père que dans celui de titiller la sensibilité de Maverick en mode madeleine de Proust.

Car si le film de Tony Scott pouvait, sur sa simple dénomination, cultiver un doute raisonnable, celui de Joseph Kosinski préfère quant à lui mettre les points sur les “i” d’emblée. Tom Cruise n’a pas repris son personnage pour partager la vedette. Il n’y a pas de place pour deux dans l’Olympe qu’il occupe. Ici, c’est lui et les autres. Et dans un souci de précision, on pourrait même affirmer, lui contre les autres. Bien que de l’eau ait coulé sous les ponts, Maverick demeure ce pilote impétueux et sûr de son fait. Son entrée en matière en tant qu’instructeur – jeter à la poubelle le mode d’emploi du F/A-18 – agit comme un bras d’honneur adressé à son supérieur hiérarchique, le vice-amiral Beau Simpson. S’il a besoin de lui, l’inverse n’est pas vrai et il agira donc à sa manière, que ce soit dans l’encadrement des pilotes ou l’établissement d’un plan d’attaque dans le cadre de la mission. Dans ce contexte, tout le temps de la formation revient pour lui à démontrer qu’il est toujours le meilleur et que le poids des ans n’a aucune prise sur lui. Il prend un malin plaisir à donner la leçon à ces jeunes loups – dont une louve pour marquer l’ouverture de l’école aux femmes depuis 1993 -, en une allusion évidente à la place de l’acteur au sein de Hollywood face aux nouvelles générations de héros d’action. Car Tom Cruise ne se définit plus que par ça, l’action et les prouesses physiques. A tel point que cela fait désormais partie intégrante de la communication autour de chacun de ses nouveaux films. Ou plutôt de ses nouveaux exploits. Quitte à prendre pour cela quelques libertés avec la réalité. Malin, Tom Cruise s’essaie à l’introspection le temps d’une scène lors de laquelle il avoue à un Iceman diminué (ce qui était vraiment le cas de Val Kilmer, tout juste opéré d’un cancer de la gorge) qu’il a du mal à lâcher le manche. Un aveu sans conséquence à l’échelle du film – lui seul peut mener cette mission à bien – dont la portée métacontextuelle se trouve limitée. Conscient de son image publique qu’il a pour partie façonnée, il révèle des failles pour mieux les surmonter en poussant le curseur de ses exploits toujours plus loin. Sauf que cette attitude jusqu’au-boutiste tend à banaliser l’exceptionnel qui ne l’est plus vraiment puisque attendu à chaque film. Cette banalisation se retrouve dans la mise en scène des scènes de combats aérien. Joseph Kosinski filme Tom Cruise piloter son avion comme Christopher McQuarrie le filmait conduisant sa voiture dans Jack Reacher, dans un mélange de gros plans sur ses pieds et ses mains actionnant manche et pédales et de manœuvres osées (le coup du cobra). Mais de suspense, point. Son parachutage en urgence – au terme d’une action héroïque ! – puis son sauvetage par Bradley ne nourrissent d’autre but que d’amener le personnage à reprendre les commandes de l’avion qui a fait sa gloire dans Top Gun, toujours dans ce souci de rappeler le bon vieux temps aux fans de la première heure. La photo de sa réconciliation avec Bradley sur le pont du porte-avions participe de cette foire aux souvenirs et vient rejoindre opinément l’album de famille qui recense ses plus beaux exploits.

De tous les personnages que Tom Cruise a incarné c’est finalement celui de Pete Mitchell qui lui ressemble le plus. Pas étonnant qu’il ait finalement consenti à cette suite dont le succès démesuré ne peut que le conforter dans ses choix égocentriques. Parfait représentant de ces années 80 tape-à-l’œil et hypocrites (l’ennemi n’était pas nommé même si tout portait à croire que ces jeunes soldats combattaient contre le péril communiste), Top Gun avait au moins pour lui d’imposer un style. 36 ans plus tard, Top Gun : Maverick se contente d’en être qu’une pâle resucée et fier de l’être. La seule trace d’évolution tient à l’évocation de l’usage des drones par l’armée qui tendrait à mettre peu à peu les pilotes d’avions sur la touche. En creux, le film peut donc se lire comme le combat de Tom Cruise contre cette poussée vers la déshumanisation. Ce qui ne manque pas de sel pour un acteur qui ne cherche plus qu’à incarner des stéréotypes.

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