CinémaPolar

Tir à vue – Marc Angelo

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Tir à vue. 1984

Origine : France 
Genre : Polar 
Réalisation : Marc Angelo 
Avec : Laurent Malet, Sandrine Bonnaire, Jean Carmet, Michel Jonasz…

Après avoir assisté Pierre Schoendoerffer (sur le multi-primé Crabe-Tambour notamment), Marc Angelo démarre une carrière de réalisateur de films policiers qui le conduira à écumer les écrans télévisés. Tir à vue reste pour l’heure le seul film cinéma qu’il ait réalisé, sa carrière se divisant en bon nombre de séries policières (B.R.I.G.A.D., Diane, femme flic) et en téléfilms plus ou moins bien reçus (sa dernière réalisation, le polémique Marie Humbert, le secret d’une mère l’ayant fait brièvement revenir sur le devant de l’actualité). En 1984, il n’en est pas encore là, et il commence sa nouvelle carrière en marchant sur les pas de Claude Berri et de son Tchao Pantin dépressif, auquel il adjoint une bonne louche de A bout de souffle et surtout de l’histoire du tandem criminel Bonnie Parker et Clyde Barrow.

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Lassé du monde civilisé depuis l’assassinat irrésolu de son frère, Richard (Laurent Malet) est attiré par le monde “libre” de la délinquance. Il franchit le pas et commence par agresser un armurier pour voler quelques pétoires. Il enchaîne dans la foulée avec de petits larcins violents qui ne passent pas inaperçus auprès de la police. Alors qu’il s’apprêtait à agresser un touriste dans le métro, il fait la connaissance de Marilyn (Sandrine Bonnaire), post-adolescente qui s’amusait à prendre des photos de charme dans un photomaton. Ensemble, ils vont escalader l’échelle de la violence tandis que les Inspecteurs Casti et Galo (respectivement Jean Carmet et Michel Jonasz) sont à leurs trousses et persécutent le seul témoin, un vieux maghrébin connu de leur service.

Alors que la sociale-démocratie mitterrandienne commence à ne plus trop faire illusion, le polar noir connaît un regain d’activité en France, reflétant un pessimisme ambiant allant à l’opposé du cinéma policier de l’Amérique reaganienne. Tir à vue, et Tchao Pantin avant lui, est à l’exact opposé d’un film comme Le Flic de Beverly Hills, en cela qu’il plonge sans hésiter dans les bas-fonds auprès des laissés pour compte. Le film de Marc Angelo ne tient pourtant aucun propos politique, et le spectateur est amené à considérer la police comme les bandits à un même niveau. Les deux camps sont ce qu’ils sont par le truchement de circonstances et de faits qui ne leur laissent pas d’autre choix que de transgresser les lois sociales. Ainsi, dans le duo de flics qui mène l’enquête, le plus vieux est profondément désabusé (Jean Carmet et ses allures de chien battu) et l’autre (le chanteur Michel Jonasz) passe ses nerfs sur ses témoins, faisant montre d’un racisme ouvert envers le témoin arabe et se plaisant à humilier un homosexuel prostitué qu’il fait volontairement poireauter à longueur de journée dans les couloirs du commissariat, en l’invectivant de temps à autres à coup de remarques homophobes -jusqu’à ce qu’il se suicide-. Leur incapacité à retrouver les criminels qui sévissent sont une première raison de leur comportement peu professionnel, et la mort d’une fille (pour Carmet) et d’une petite amie (pour Jonasz) en est une autre. Ainsi, si Angelo n’excuse aucunement leurs attitudes, il l’explique par des raisons concrètes et humainement compréhensibles. Il emploie le même schéma pour le couple criminel. Richard subit le contrecoup du meurtre de son frère et du manque de lien social qui s’en est suivi (son seul confident est un gamin des rues de dix ans). Marilyn, très jeune femme, est victime de l’abandon de ses parents. Tous deux sont privés de perspectives d’avenir et n’ont aucune base de vie. Ces manques sont comblés par des transgressions de l’ordre. Richard, d’un caractère romantique, rêve d’un casse grandiose qui le mettra à l’abri tout sa vie durant, tandis que Marilyn jusqu’à sa rencontre avec lui vivait une vie de délurée, couchant à tout va. Le crime constitue leur illusion, celle d’entrer enfin dans la vie de quelqu’un, même si ces quelqu’uns sont deux flics tout aussi paumés qu’eux-mêmes (ce qu’ils ne savent pas). Cette illusion se forge aussi sur l’amour qu’ils se portent l’un à l’autre, et qui les conduit d’abord à profiter pleinement de leur liberté morale en accentuant leurs délits, jusqu’au meurtre. Mais jamais cette nouvelle joie de vivre n’apparaît comme réelle. Marc Angelo à l’aide d’un découpage très bien composé, d’une mise en scène violente et de sa photographie réaliste d’un Paris pluvieux, gris et sale (sans oublier la triste chambre de bonne dans laquelle le couple a élu domicile et qui rend leurs ébats fort peu érotiques) parvient à engluer ses personnages dans une détresse qui tranche radicalement avec leur prétendu bonheur. Sandrine Bonnaire, 17 ans, en tout début de carrière et qui sortait déjà du sulfureux cinéma de Maurice Pialat, incarne excellemment une Lolita dont le rire est très proche des sanglots, tandis que Laurent Malet est dans la peau d’un homme hésitant, ne parvenant plus à enrayer un cercle vicieux que sa copine ne souhaite plus briser (c’est elle qui commet le premier meurtre). Poignant, le film l’est non seulement grâce au climat social qu’il décrit mais aussi via le ton retenu avec lequel le réalisateur traite un sujet qui aurait eut vite fait de verser dans le misérabilisme. Les dialogues restent superflus, et chaque conversation un tant soit peu sérieuse est vite brisée par l’un des deux amants, qui ne peut se résoudre à admettre oralement que leur pseudo-liberté les mène en fait à leur perte. De fait, les images sont bien plus évocatrices, et Angelo de placer ici où là de gros plans léoniens sur les yeux humides de personnages dont les illusions se transforment très vite en recherche d’une destinée : la mort, le suicide par police interposée.

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S’il n’évite pas quelques lourdeurs au niveau de ses personnages secondaires (les deux témoins, l’homosexuel sorti de la cage aux folles, et le vieil arabe dont les motivations criminelles trouvent leurs origines dans une volonté très caricaturale -c’est le seul moyen qu’il a trouvé pour ouvrir son étal de fruits !-), Marc Angelo réalise donc un film très noir, prenant ses distances avec les polars de droite ou de gauche qui généralement ne font que décrire les mobiles sociaux d’un seul des deux côtés qui s’affrontent (ceux de la police pour les polars de droite, ceux des bandits pour les polars de gauche). Dans Tir à vue, la pitié concerne tout le monde et de fait, ni la police ni les amants ne sont moralement condamnés. Des situations sociales difficiles motivent le crime, qui lui-même motive une société toujours plus renfermée qui refait naître d’autres vocations de criminels. C’est sans fin. Marc Angelo réussit brillamment son premier et unique film, un film très noir, et ce n’est sûrement pas son confinement au petit écran qui ont dû le sortir de sa déprime.

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