CinémaScience-Fiction

The Creator – Gareth Edwards

The Creator. 2023.

Origine : États-Unis
Genre : SF sans queue ni tête
Réalisation : Gareth Edwards
Avec : John David Washington, Gemma Chan, Ralph Ineson, Allison Janney, Ken Watanabe…

(Pour vous éviter tout spoiler qui gâcherait votre expérience – si tant est qu’il y en ait une -, je vous recommande chaudement de lire ce texte après avoir vu le film.)

J’étais plutôt enthousiaste à l’idée de voir le nouveau film de Gareth Edwards, The Creator, car sa courte carrière (3 films) présentait des signes très encourageants pour lui donner enfin les clés d’un grand blockbuster à gros moyens doublée d’une véritable liberté de création. Mais au fur et à mesure que la pellicule se déroulait devant mes yeux dans l’obscure salle de cinéma aux fauteuils rouges inconfortables (à vrai dire, c’était très certainement une projection numérique, donc sans pellicule…), je me questionnais sur mes choix de vie, et plus particulièrement sur la question philosophique fondamentale que tout être humain digne de ce nom doit se poser régulièrement : “Mais qu’est-ce que je fais là ?”

The Creator nous raconte un futur où les intelligences artificielles (IA) – sous forme de robots – et les humains, vivent ensemble en toute harmonie, jusqu’à ce qu’une bombe atomique efface Los Angeles de la carte. Cette explosion est imputée par les États-Unis aux IA à qui ils déclarent la guerre partout dans le monde, et plus particulièrement en Asie où semble-t-il elles sont mieux acceptées qu’ailleurs. Certainement parce qu’Edwards veut faire son propre film sur la guerre du Vietnam, et autant le dire de suite, ce n’était pas l’idée du siècle.

Pourtant, le film avait tout pour me plaire. D’abord, son approche cinématographique : Edwards refusant de tourner en studio, traine ses équipes dans des décors naturels. Ses équipes, d’ailleurs, il les réduit. Il n’a pas besoin de centaines de techniciens pour tourner ses scènes et coupe ainsi les difficultés logistiques et le budget (80 millions de dollars hors marketing, presque rien pour un tel film). Ce “modeste” budget lui permet aussi d’avoir plus de liberté créative, ce qui lui donne l’occasion de partir sur un sujet brûlant : l’intelligence artificielle. Edwards est clair dans son propos : les méchants militaires doivent contrôler ces IA ou les détruire. Un binarisme qui va hélas accompagner le récit tout au long du film. Ainsi, les IA représentent des victimes très gentilles, et les militaires des méchants très méchants, le tout sans jamais aucune nuance. Si le réalisateur co-scénariste essaie justement d’intégrer un peu de nuance à son récit à travers son personnage principal, Joshua, incarné par John David Washington, un soldat américain chargé de retrouver le Créateur, une arme mystérieuse qui pourrait bien faire perdre la guerre aux États-Unis, il ne motive son personnage que par l’amour, si bien que toute nuance est interdite. Et si son personnage – mais on l’a vu venir dès le début – finit par changer de camp, les absurdes retrouvailles avec son amour à la fin du film, lui font perdre tout bon sens. On s’étonnera aussi que Joshua, blessé à Los Angeles et ayant perdu un bras et une jambe remplacés par des prothèses mécaniques, ne soit pas plus fort ni augmenté, ces prothèses n’ayant aucun intérêt tout au long du film.

Le film souffre d’un manque cruel de cohérence. A l’aide de l’USS Nomad, un vaisseau géant qui scanne le monde à la recherche d’IA qu’il s’empresse de détruire à coups de missiles, les États-Unis entrent illicitement dans tous les pays d’Asie du sud-est sans jamais que cela n’ait de conséquences politiques. Dans cette zone du globe, humains et IA vivent ensemble, ce que refusent les USA, et alors, à coup de chars géants et de bombes en veux-tu en voilà, le pays de l’Oncle Sam s’en donne à cœur joie et tuent robots et humains sans que cela ne semble gêner personne (sauf les robots et humains tués). Alors certes, on pense à l’intervention des États-Unis au Vietnam, et peut-être que Gareth Edwards tente une critique de l’impérialisme américain, mais il passe à côté de son sujet, ignorant tout des enjeux géopolitiques de ces dix dernières années. Son univers manque cruellement de contexte, et son héros d’envergure. Vers la fin du film, on apprend – comme sorti du chapeau – qu’il y a des manifestations contre la guerre (mais il aurait fallu contextualiser dès le début !) et que d’un coup, on découvre qu’il y a des colonies sur la Lune (et qu’elles ne servent à rien au récit). De même lorsqu’au hasard d’une conversation, nous apprenons que la bombe qui a décimé Los Angeles n’a jamais été envoyée par des IA, mais découle d’une erreur humaine… cela ne change absolument rien à rien et le récit reprend son cours et nous emmène vers un dénouement prévisible et paresseux.

Le problème principal du film est un récit qui ne tient pas la route avec des enjeux scénaristiques qui manquent de sens et de profondeur, mais surtout un contexte historique et politique qui manque de liant, de réalisme. Edwards semble écrire un récit de science-fiction sans jamais se soucier de son époque et ses problématiques. Mais il a au moins le mérite d’essayer. Dans un Hollywood qui ne sait plus faire de la bonne science-fiction, Gareth Edwards essaie de nous raconter une histoire futuriste qui est sensée nous faire écho… Il le fait sans nuance, se perd dans une histoire d’amour qui ne sert pas le propos, et en appelle à nos sentiments face à un enfant robot qui pleure et qui renifle, mais qui n’est rien d’autre qu’un instrument au service d’une guerre. Là-encore, la nuance est oubliée…

On retiendra néanmoins de très belles images et des effets spéciaux réussis, si bien qu’on les oublie rapidement. Les références sont nombreuses, d’Apocalypse Now à Blade Runner en passant par Akira, mais ne servent finalement pas à grand chose, sinon à l’hommage (mais était-il utile ?). Et la frustration vient aussi sans doute du fait qu’il y avait tout pour faire un bon film : un univers intéressant, une approche cinématographique différente des blockbusters actuels, mais hélas, tout cela manque de profondeur et d’ambition.

Le cinéma parle des robots depuis 1900 et le Coppelia de Georges Méliès. En 1968, Stanley Kubrick s’interrogeait sur la relation à l’intelligence artificielle avec 2001 : L’Odyssée de l’espace. Puis vinrent Blade Runner, Terminator, Matrix, Ex Machina et j’en passe… The Creator hérite donc du poids de ses ainés qui nous prévenaient – déjà – des risques encourus à cause des IA. Edwards choisit au contraire de nous montrer un autre possible – pourquoi pas -, mais alors que nous sommes en pleine révolution IA en 2023, avec les peurs qui en résultent, Edwards choisit de construire un personnage de robot enfant messianique… un choix scénaristique déroutant qui interpelle sur la faible imagination du récit. Encore un messie ? Et en plus parmi les robots ? Ne sait-on pas raconter autre chose ?

Il manque aussi quelques scènes épiques qui nous scotchent au fauteuil, le réalisateur préférant peut-être ne pas laisser l’action prendre le dessus sur le sous-texte. Edwards ne rend pas pour autant la guerre sale, il y a une sorte d’indifférence aux sorts de chacun à cause d’un manque de développement contextuel. Les seuls humains que nous suivons sont soit le héros, soit les méchants militaires, le sort de ceux massacrés nous indiffère au plus haut point. Il y avait peut-être matière à faire quelque chose ici. En 2h15, Edwards aurait pu davantage parler du monde qu’il a créé, plutôt que de son personnage principal amoureux, transi de remords et en quête de rédemption.

The Creator est un film de science fiction déséquilibré, souffrant d’un scénario bancal manquant d’ambition politique, qui a du mal à développer ses enjeux, créant un ventre mou sur les 3/4 du film. Une œuvre faiblarde qui ne dit pas grand chose de plus de notre société contemporaine et qui donc passe à côté de son époque.

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