Splice – Vincenzo Natali
Splice. 2009Origine : Canada / Etats-Unis / France
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Le monde a découvert le canadien Vincenzo Natali avec son désormais fameux Cube, petit film au scénario retors et à la mise en image très habile, primé dans de nombreux festival (dont celui de Gérardmer en France) et qui a connu un succès public plutôt conséquent. La suite de sa carrière a été plus discrète, et ses deux films suivants, Cypher et Nothing, ont fait moins de bruit, même si les quelques échos qui me sont parvenus sont en général très positifs. Natali est de retour aujourd’hui sur les écrans de cinéma avec son petit dernier, Splice, dont le pitch (il s’agit d’un film de monstre !) couplé au nom illustre de son réalisateur a de quoi m’allécher. Il ne m’en faut pas plus pour me décider a aller voir le film à l’avant première organisée dans ma ville.
Et c’est l’esprit vierge de toutes autres informations sur le film que je rentre dans la salle, j’ai à peine lu le synopsis et entr’aperçu quelques visuels de la créature (pourtant la communication autour du film est principalement axée sur ces visuels…) et je ne sais finalement pas trop à quoi m’attendre. La salle se remplit petit à petit, de nombreux fans de films de genre semblent être présents et après un petit mot de l’organisateur de l’avant première, le film commence. Suite à un très beau générique, les premières images sont projetées sur l’écran: teintes bleutées, objectif fish-eye qui déforme l’image, on comprend que le tout est filmé en vue subjectif d’un fœtus, c’est beau, ça met un peu mal à l’aise, c’est efficace. Cette entrée en matière sublime me donne la certitude que je vais assister à quelque chose de grand. Les premières images n’ont pas menti: la suite est du même niveau, et c’est tout retourné que je sors de la salle à la fin de la séance.
« Splice » est un mot qui derrière sa phonétique gluante (ça ne vous évoque pas un truc rampant et liquide? Un peu comme « Slither », non?) signifie à peu près « fusion », appliqué au monde de la génétique. Il sera donc question d’une fusion entre des ADN provenant de différentes bestioles. Ces expériences sont menées par le couple formé par Adrien Brody et Sarah Polley, qui jouent deux nerds subventionnés par une grosse boîte de produits pharmaceutiques. Le couple mixe les ADN et finit par aboutir à la naissance de deux créatures bizarres à la forme vaguement phallique (rires dans la salle, auxquels je me joint, surtout parce que les bestioles m’évoquent l’irrévérencieux Bad Biology de Henelotter) mais dont les gènes contiennent pleins d’enzymes et autres produits exploitables par l’entreprise. La PDG est d’ailleurs très emballée et décide de passer sans plus attendre à la production en masse de tout ces produits à forte valeur ajoutée. Mais ceci n’enchante guère notre couple de héros, qui préfère aller encore plus loin dans les expériences. En cachette, ils décident donc de franchir le pas et de « splicer » les ADN des créatures avec de l’ADN humain. Il en résulte une créature étonnante à laquelle nos deux scientifiques vont très vite s’attacher…
Ceci a plutôt l’air d’un synopsis très classique pour un film de monstre, c’est vrai. La génétique est un thème qui a déjà été traité par pleins de films qui surfent sur la vague des avancées scientifiques, et le thème de l’expérience scientifique qui dégénère est presque aussi vieux que les premières expériences scientifiques justement. Le thème de l’attachement du créateur à sa créature monstrueuse est lui aussi très vieux (je dirais que cela date de 1817 précisément, avec la publication du Frankenstein de Mary Shelley). Enfin le film en lui même évoque beaucoup les différentes adaptations du mythe de Frankenstein justement, mais aussi le cinéma de David Cronenberg (La Mouche surtout), le premier Alien, The Thing et d’autres choses encore…
Jusqu’ici rien d’original certes, mais tous les films et livres cités ont en commun leur excellence. Et voilà qui n’est pas un hasard : force est d’avouer que le scénario (signé Vincenzo Natali) ne souffre pas une seule seconde de la comparaison avec ces autres œuvres, si abouties qu’elles soient.
« Abouti » c’est le mot. Natali rumine en effet son histoire depuis plus de dix ans maintenant, il a donc eu le temps de développer tout cela. De l’aveu même de son réalisateur, Splice est né dans son esprit le jour où il a vu une image de la souris de Vacanti (cette image désormais très célèbre d’une souris avec une oreille humaine lui poussant sur le dos, expérience médicale qui consiste à développer des cultures cellulaires sur une souris, afin de reconstituer des organes). Mais associé à cette image dérangeante, il y a l’amour manifeste et immodéré pour le cinéma de genre de Vincenzo Natali.
Inévitablement, Splice est un film de fanboy. C’est d’ailleurs Guillermo del Toro qui produit le film, et l’on sait l’amour du réalisateur mexicain pour les films de genre. Mais en cette époque où le cinéma de fanboy constitue généralement en l’amoncellement désordonné de références à pleins de films très connus qu’ils ont adorés, Vincenzo Natali au contraire s’efforce à chaque instant d’orienter son histoire vers des situations inattendues, nouvelles et surprenantes, tout en conservant à l’esprit le fil directeur de son intrigue.
C’est dans ce renouvellement constant que réside la principale qualité du film. Natali ayant eu l’intelligence d’emprunter non pas des situations ou des gimmicks à ses ainés, mais bel et bien des procédés de mise en scène qui ont prouvé leur efficacité. Et si Splice évoque Alien et The Thing ce n’est pas par des clins d’œil mal placés mais par une progression dramatique similaire notamment dans le dévoilement progressif du monstre. Et avec sa créature totalement nouvelle et mutante, Natali nous offre le même frisson que lors de la sortie du film de Ridley Scott : personne ne savait quelle serait la prochaine transformation de la créature. Bon, ceci est actuellement un peu gâché par cette nouvelle mode qui consiste à communiquer en montrant tout dans les affiches et les photos d’exploitation du film ; c’est pourquoi je vous enjoint à faire comme moi et à aller voir le film assez vierge d’informations sur la créature. Du reste je pense que malgré tout l’efficacité sans faille de la construction du film surprendra même les plus informés.
D’autant plus que ce n’est évidemment pas le seul domaine où le film se fait surprenant. Si l’apparence de la créature se fait mystérieuse, ses motivations et ses actions le sont encore plus. La créature semble avoir une intelligence très développée mais également très enfantine, et ses réactions se font avec la même démesure qu’un enfant. Il en résulte alors un comportement souvent incompréhensible pour les adultes, et donc plutôt terrifiant ! Il est en effet impossible de deviner vers quelle prochaine scène nous emmène Natali. Et cela faisait longtemps que je n’avais plus été confronté à cette sensation au cinéma, les films au scénario balisé, voire sans réel suspense devenant légions. A la vision de Splice c’est un délicieux sentiment d’incertitude totale qui s’empare de nous. Natali alternant avec malice les scènes très calmes et belles avec d’autres qui sont à vous glacer le sang !
La force du film étant non seulement d’alterner ces deux types de scènes, mais également de les mixer, avec une grande subtilité. Les sentiments du spectateur sont amenés à osciller constamment entre une grande tendresse pour la créature et une peur absolue de ce qu’elle va faire. Cette dualité dans les sentiments qu’inspire la créature est tout particulièrement bien rendu dans son apparence physique. Le design de la créature, qui pourtant ne paye pas de mine face à d’autres bestioles bien plus cinégéniques (l’alien de Giger notamment), est en réalité d’une subtilité et d’une efficacité sans limites : son aspect humanoïde garantissant une facilité à la prendre en affection, tandis que les quelques malformations apportées à sa silhouette (la forme du crâne, les pattes, l’absence de cheveux et les yeux un peu trop écartés surtout) parviennent à instaurer un malaise persistant qui devient vraiment puissant dans certaines scènes clés, où il devient absolument terrifiant de fixer le regard insondable de la créature (notamment lors de cette scène horrible ou la créature, encore enfant, est au fond d’une baignoire, les remous de l’eau déformant la silhouette et accentuent encore la peur que son regard provoque). Un regard assez similaire à celui de Barbara Steele en somme. La créature étant en outre très gracieuse (bien plus que les humains) avec sa queue et sa silhouette de danseuse, il est difficile de détacher son regard d’elle, même quand le malaise est très fort (comme lors d’une scène digne de figurer parmi des plus belles scène de sexe du cinéma !).
Les effets spéciaux sont très soignés, ce qui ne gâche rien : la créature possède une vraie présence physique à l’écran, malgré les images virtuelles. Cette réussite est due je pense d’une part au design de la bestiole, tellement réussi qu’il ferait oublier n’importe qu’elle imperfection dans les effets spéciaux, d’autre part à l’excellence de l’interprétation de cette créature par l’actrice Delphine Chanéac, et enfin à la réussite en elle même des images de synthèse qui sont très soignées et ne paraissent jamais artificielles, malgré le relativement petit budget dont à bénéficié le film.
Si le film arrive à susciter tant de sentiments contradictoires c’est que tout un travail a été fourni de la part du réalisateur pour arriver à cela. Ça commence par une caractérisation psychologique des personnages assez poussée, tant dans l’écriture des personnages que dans l’intrigue elle-même dont la trame est très œdipienne. Natali prend soin de dresser un portrait réaliste et sensible des deux personnages principaux, dont les réactions et les attitudes sont toujours très crédibles. Ces deux personnages deviennent alors assez rapidement très attachants, même s’ils sont aussi différenciés. Entre l’approche scientifique et terre à terre de Clive (Adrien Brody) et les sentiments maternels et affectueux de Elsa (Sarah Polley) le spectateur peut faire son choix et s’identifier plus à l’un ou plus à l’autre. Sachant que dans les deux cas le personnage référent pour le spectateur finira par franchir la limite et commettre des actes condamnables, ce qui est toujours très perturbant au cinéma.
Le monstre lui aussi bénéficie d’une psychologie poussée. À la différence que la sienne est insondable (dès lors il est plus difficile de s’identifier à lui) mais bel et bien présente, ce qui crée tout de même une certaine empathie, assez proche de celle éprouvée pour la créature de Frankenstein d’ailleurs. Natali jongle habilement avec tout cela et parvient sans problèmes à emporter les spectateurs très loin dans son intrigue. Ce qui est forcément un peu douloureux dans ce type d’intrigues horrifiques et dramatiques. Ainsi un autre sentiment de mal être viendra s’ajouter à celui créé par les créatures : cette certitude croissante que le film épousera de plus en plus la structure d’une descente aux enfers au fur et à mesure de son avancement.
Enfin, la mise en scène joue sur ces sentiments contradictoires de cette très belle manière qui est propre aux plus grands films. Natali joue avec les cadrages, les angles, la musique, le montage etc. Tous les instruments propres à la mise en scène sont mis à contribution dans cette entreprise de création d’émotion. Ainsi on remarque que la couleur des images a fait l’objet d’un calcul et d’un soin très particulier : Le film commence par des images bleutées qui évoquent d’emblée un monde froid et clinique de science fiction, ces images sont vues au travers du regard du fœtus de la première scène, et de part la déformation de l’objectif, du travail sur le son et de la nature de la scène, cela apparaît comme très hostile au spectateur. Mais par la suite, au fur et à mesure que l’on découvre et s’identifie aux personnages, les teintes bleutées de leur laboratoire nous paraitrons bien plus agréables dans la mesure où elles constituent leur univers, l’endroit où ils sont le plus à l’aise. Tandis qu’au contraire les teintes chaudes de la grange de la deuxième moitié du film, domaine de la créature, mettent mal à l’aise, car chargées d’incertitude (incertitude qui n’avait pas sa place dans le monde bleuté du laboratoire ou tout est sous contrôle.) Le moindre détail est ainsi travaillé pour affecter le spectateur, et force est d’avouer que cela fonctionne très bien ! D’autant que Natali joue a fond la carte du paradoxal et de l’inattendu, et oriente sans arrêt son film vers une nouvelle direction surprenante. Un peu comme s’il s’agissait d’une chaine faite de maillons disparates mais qui conduisent tous vers une même direction. Et je me garderai bien d’évoquer toutes les surprises dont regorge le film, afin justement de ne rien gâcher.
De cette structure naît une thématique très riche, qui se nourrit de tous ces éléments surprenants dont regorge le film. Cela peut d’ailleurs paraître un peu frustrant, tant le film évoque à chaque fois une nouvelle dimension qui pourrait à elle seule constituer un nouveau film ou au moins un nouvel arc narratif, qui est immanquablement abandonné aussitôt pour rebondir sur un autre élément surprenant. Mais cela permet au film de ne jamais s’essouffler tout en ajoutant plus de matière à la trame principale. Loin d’être un défaut, cette frustration crée excite l’imagination du spectateur et permet au film de garder intact tout son potentiel.
Et c’est bien là la marque des grands films. Car Splice est assurément un grand film. La mise en scène précise et sublime du film, son pouvoir d’évocation incroyablement fort et surtout les émotions contradictoires qu’il fait naître chez le spectateur en sont la preuve. Il n’aura sans doute pas la portée immédiate d’un Saw tant le film est difficile d’accès de part sa richesse thématique et du véritable malaise assez indéfinissable qu’il crée. Splice est de ces films dont on ressort avec un sale goût dans la bouche. Mais ses qualités sont telles que le film survivra à son époque et je prends les paris que d’ici une dizaine d’années le titre du film sera évoqué aux cotés d’autres aussi prestigieux que L’Exorciste ou The Thing.
Enfin, pour toutes les raisons que je viens de citer, je tiens à saluer le courage du distributeur qui sort ce film au cinéma en France. Il s’agit d’un film exigeant qui ose sortir des sentier battus et emporter les spectateurs dans des endroits où ils ne voudraient pas êtres, mais je ne peux que vous exhorter à aller voir ce film au cinéma (c’est le printemps du cinéma en plus!), pour vous faire votre propre avis, pour soutenir ce genre de productions, mais surtout parce que c’est un film qui change un peu de la soupe qu’on nous sert habituellement.
Un des plus grand films de science fiction qu’il m’ait été donné de voir, intelligent, brassant beaucoup de thèmes sur la création de l’homme; il offre une vision originale et captivante qui malgré un faible budget, arrive à donner des leçons à d’autres films comme à l’aube du 6 jours, ou Blade Runner 2046, sans passer par la case divertissement abrutissant ou film soporifique faussement intello.
Je regrette que depuis ce film Vincenzo Natali n’ait pas eu l’occasion de réaliser d’autres films, se contentant de mettre son savoir faire au service d’autres dans des séries comme Hannibal ou American Gods.