Alien, le huitième passager – Ridley Scott
Alien. 1979Origine : États-Unis
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Le Nostromo est un vaisseau commercial qui rentre sur terre avec a son bord sept employés d’une grande société et une importante cargaison de minerais. Le vaisseau dévie de sa route originelle pour répondre à un appel de détresse provenant d’un vaisseau écrasé sur une planète déserte. Alors que les membres de l’équipage explorent le vaisseau, l’un d’eux se fait attaquer par une étrange créature arachnéenne qui se colle à son visage…
A l’origine de ce film il y a le scénariste prolixe Dan O’Bannon. C’est lui qui imagine toute cette histoire de monstre dans l’espace, infectants les corps dans lesquels il loge. Cependant cette trame n’est pas vierge d’influences. On peut ainsi citer les monstres spatiaux de La Planète des vampires de Mario Bava, ou encore les parasites organiques de Frissons de David Cronenberg. Signalons aussi que le scénariste livre un premier jet de son histoire pour Dark Star, le film d’étudiant de Carpenter tourné cinq ans avant le film de Ridley Scott.
Si le film est tributaire de ces influences, il va cependant bien plus loin. Alien n’est absolument pas une copie sans intérêt de films antérieurs, mais un excellent film qui développe au contraire un univers inédit et une histoire passionnante à plus d’un titre.
Alien sort en 1979, période où la science fiction est un genre éminemment rentable : le succès mondial de Star Wars deux années plus tôt est encore présent dans tous les esprits. Mais là où l’argument science-fictionnel du film de Lucas sert à raconter une histoire d’aventure et d’action, Alien lorgne beaucoup plus vers l’horreur la plus brute. Le film de Scott se distingue du « space opera » par bien des points et en prend même le contre pied : à l’intérieur des vaisseaux fait de métal aseptisé, lisse et lumineux, Alien oppose un Nostromo, sombre, et étouffant. Le film est un huis clos inquiétant : les couloirs sombres et les réduits obscurs rendent très vite les spectateurs claustrophobes. Le film installe une ambiance oppressante totalement opposée au souffle vertigineux de l’aventure et de la liberté que prône Star Wars. De même, il n’y a pas de vaisseaux capables de voyager à la vitesse de la lumière, au contraire le film est caractérisé par la lenteur et une quasi-immobilité : les vaisseaux spatiaux sont lourds et patauds, les voyages sont difficiles et longs. En cela Alien s’inscrit dans une optique beaucoup plus réaliste, les voyages spatiaux sont contraignants de même qu’au XVIIème siècle la conquête de l’océan et les voyages transatlantiques étaient longs et dangereux. Enfin la lenteur est aussi présente dans les actions humaines, engluées dans des procédures administratives lentes. Les héros de Alien appartiennent à la catégorie la plus basse de la société et sont soumis à de nombreux règlements coercitifs.
Le film explore ainsi une part beaucoup plus sombre de la science fiction.
Alien reprend tout de même le thème galvaudé de la peur de l’inconnu (pensons à tous ces films de monstres des années 50, allégories de l’autre dont on a peur). Le titre du film, et donc le nom donné à la créature est tout à fait explicite : alien signifiant « étranger » dans la langue de Shakespeare. L’alien est donc une créature inhumaine, autre, et effrayante car mystérieuse. La créature fait peur par sa morphologie autant qu’elle nous fascine. Protéiforme, la créature mue au fur et à mesure de sa croissance, et Ridley Scott exploite terriblement bien cette caractéristique : si le look de l’alien est aujourd’hui connu de tous, n’oublions pas qu’à sa sortie très peu d’images de la créature en question avaient été montrées. Il s’agissait alors de deviner quelle sera la prochaine forme que prendra la créature, et les spectateurs allaient de surprise en surprise. La mise en scène n’est pas non plus pour rien dans ce procédé : Scott utilise très avantageusement les décors et les zones d’ombres pour nous montrer le moins possible de la créature. Ce n’est qu’une forme sombre et menaçante, qui surgit de l’obscurité pour dévorer ses proies. L’alien est un prédateur. Sa conception a été effectuée par l’artiste suisse H R Giger, célèbre pour ses œuvres où se mêlent éléments mécaniques et organiques. Il crée sa bête à partir d’ossements et de tubes, lui donnant un look élancé à mi-chemin entre l’humain et le canidé. L’alien est aussi doté d’une tête à l’occiput allongé. Sa peau est sombre et visqueuse. C’est une vraie créature de cauchemar, noire et luisante, aux contours indéfinis.
Et si la bête semble parfaitement se sentir à l’aise dans les décors du film, il n’en est pas de même pour les humains. Les décors du Nostromo sont l’œuvre de Michael Seymour, et il arrive à rendre effrayant aussi bien les salles de commandes aux parois glacées que les « caves » du vaisseau, aux murs noirs et suintants.
A ce titre le film prend la dimension d’un véritable survival spatial. Le Nostromo devient un milieu hostile dès lors que l’alien l’infeste, et les personnages doivent alors tenter de survivre dans ce milieu. Les acteurs se révèlent excellents à ce jeu là. Tous nous livrent une prestation très crédible, Sigourney Weaver en tête. Ce n’est pas pour rien si son personnage de Ripley deviendra mythique.
La peur dans Alien fonctionne donc sur plusieurs niveaux : la peur de la créature, très viscérale, la peur du vaisseau et du danger qu’il cache, plus diffuse et enfin une peur très moderne qui agit à un niveau plus social : Car on finit par apprendre dans le film que le véritable ennemi n’est pas tant la créature, mais plutôt la société commerciale qui emploie l’équipage du Nostromo. Kafkaïenne, inhumaine, invisible et toute puissante, elle est prête à sacrifier l’équipage du vaisseau pour obtenir l’alien et en tirer profit. Les personnages du film deviennent « sacrifiables », ils ne représentent plus rien. Et c’est finalement là que réside la peur moderne, celle d’être exclus, éjecté du système et de ne plus rien représenter.
A ce titre Alien est un film résolument actuel, à la fois dans les thèmes qu’il brasse que dans ses effets spéciaux irréprochables. Presque trente ans après, le film n’a toujours pas vieilli et reste une référence incontournable du genre.
Plus pragmatiquement on constate qu’au niveau de sa forme, le film reste d’une redoutable efficacité. Les teintes du film, très sombres, ainsi que sa narration délibérément lente en font un film d’ambiance très impressionnant. Ridley Scott crée des personnages attachants et humains, puis les plonge sans pitié dans une atmosphère glauque et noire, où l’obscurité a une densité quasi organique. Sa mise en scène très précise ne souffre d’aucun défaut et le réalisateur se révèle être un maître dans la gestion de ses effets : la créature est dévoilée progressivement, lentement, sans toutefois que les scènes chocs manquent ( pensons au passage particulièrement gore du repas !).
Bref, l’intelligence de son propos, la maîtrise de la mise en scène et le caractère universel des peurs qu’Alien suscite en font un chef d’œuvre du film d’horreur.