Rock All Night – Roger Corman
Rock All Night. 1957Origine : Etats-Unis
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Milieu des années 50: le rock’n’roll révolutionne la mode, notamment au cinéma, avec Rock Around the Clock (en fait un véhicule pour la chanson du même nom chantée par Bill Haley) qui entraîna dans son sillage de nombreux films faisant la part belle à la musique. Il y eut des films connus, tels ceux d’Elvis Presley, mais il y eut aussi les films d’exploitation… Il était inenvisageable que Roger Corman et les pontes d’American International Pictures, grands pourvoyeurs de drive-in, ratent l’occasion d’y aller de leur petite contribution. Budget réduit, temps de tournage limité, Corman ne s’en souciait pas, il était déjà rompu à l’exercice. Il fit donc acheter les droits de The Little Guy, un téléfilm d’une demi-heure se déroulant dans un bar que Chuck B. Griffith, le fidèle scénariste de Corman, transforma en café-concert rock’n’roll. Toujours à l’affût d’un bon coup, Corman réussit également à attirer deux groupes professionnels, dont l’un est passé à la postérité: The Platters, connus pour leurs interprétations de “Only You” et de “The Great Pretender”. Problème: en cours de route, Roger et ses amis apprirent que leur groupe vedette (élément clef de la réussite commerciale du film) était alors en tournée et qu’il ne pouvait donc pas participer au tournage en même temps que tout le monde. Solution: les faire venir à un autre moment pour enregistrer deux chansons en play-back avant de les laisser retourner pousser la chansonnette dans des vrais concerts. The Blockbusters, l’autre groupe professionnel du film, s’occuperait donc du reste de la musique, en compagnie d’un compositeur.
C’est qu’il ne fallait pas faire l’impasse sur la musique: parvenant visiblement mal à étirer le téléfilm d’origine sur une heure entière (soit la durée de Rock All Night), Chuck Griffith réserva ainsi la première demi-heure aux chansons, avec uniquement quelques intermèdes dévolus aux vrais acteurs et à l’histoire. Il va sans dire que pour qui n’apprécie pas les Platters et les Blockbusters, le spectacle n’a durant cette première moitié de film que peu d’intérêt. Corman filme ses musiciens de façon classique, assez semblable à ce que l’on pouvait voir dans les émissions télévisées de l’époque du type Ed Sullivan Show. Davantage qu’à du rock’n’roll pur et dur à la Elvis et à la Chuck Berry (certainement pas le style des Platters), c’est au doo wop qu’a recours Corman. Une musique rythm’n’blues blues sous influence gospel qui donnera tout de suite au film une ambiance assez chaleureuse, décuplée lorsque Shorty, le personnage principal (interprété une fois n’est pas coutume par Dick Miller) s’en ira au bar de son pote Al après avoir été expulsé d’un café bourgeois pour avoir insulté son méprisant voisin de table. Chez Al, l’humble barman qui cherche à éviter les ennuis, la clientèle est peu nombreuse mais diversifiée: deux jeunes qui dansent, un journaliste se prenant pour un écrivain, un solide camionneur et sa femme, le racketteur de Al, un boxeur accompagné de sa copine et de son manager, une jeune chanteuse et son manager, puis enfin, deux bandits sortant d’un braquage ayant mal tourné venant faire irruption au bar pour se planquer de la police qui ratisse les rues.
Cette petite faune est l’occasion pour Corman de décrire des rapports humains, chaque groupe étant composé d’un personnage dominant et d’un autre (ou deux, dans le cas des trios) dominé. Cette relation systématique prend pourtant des formes diverses: nous verrons ainsi le camionneur chercher à jouer les gros bras face à sa femme qui se moque de lui, Al subir passivement les menaces de son racketteur, Julie la chanteuse choyée par un manager aussi inefficace que bien intentionné… L’arrivée des bandits ne fera en réalité que soumettre toute la clientèle à la domination de ces deux fuyards armés, eux-même formés par un leader et un subalterne. Et Shorty dans tout cela ? Shorty est le fauteur de trouble, l’anti-héros solitaire toujours prêt à balancer une méchanceté. Ne se laissant certainement pas abattre par les moqueries portant sur sa petite taille, il n’hésite pas à railler, à insulter, à menacer avec un cran d’arrêt. Dick Miller se rappelle ainsi qu’il fut entre autre boxeur avant d’être acteur, et il se glisse sans problème dans la peau de ce petit gars hargneux qui pourrait au premier abord sembler antipathique. Mais c’est avant tout un observateur qui en chevalier rock’n’roll prend la défense du plus faible face au plus fort. En fin observateur qu’il est, Shorty parvient à mettre à jour les faiblesses de ces mâles dominants, qu’il peut donc provoquer, humilier voire frapper publiquement. Il se confrontera ainsi à tous les “meneurs” de la clientèle, auxquels il s’opposera un par un. La comédie ne se trouve pas vraiment dans les dialogues, qui auraient d’ailleurs beaucoup gagné à être davantage “audiardesques”, mais dans le fait que plus un personnage est autoritaire, plus l’humiliation que lui infligera Shorty sera grande. Corman ne ne soucie pas trop de la crédibilité, et n’hésitera pas à nous montrer Shorty réussir à faire pleurer un bandit armé en le regardant dans les yeux et en le traitant de lopette. Le petit Shorty, qu’on devine habitué aux luttes, montrera ainsi l’exemple à tous ceux qui sont brimés, piquant au vif leur fierté et leur permettant de s’affirmer voire de s’affranchir. Il aura bien mérité les charmes de la jolie chanteuse timide, tiens…
Et pendant ce temps-là, la musique doo-wop et rock’n’roll, chantée ou instrumentale, fait office de bande sonore permanente, entretenant l’aspect convivial de ce petit café en même temps que la légèreté de ce très sympathique petit film.