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Vendredi 13 – Arthur Lubin

vendredi13

Black Friday. 1940

Origine : Etats-Unis 
Genre : Policier / Science-fiction 
Réalisation : Arthur Lubin 
Avec : Boris Karloff, Bela Lugosi, Stanley Ridges, Anne Nagel…

Alors qu’il traverse la rue sous les yeux de ses amis, le professeur George Kingsley (Stanley Ridges) se retrouve au milieu d’un règlement de compte entre gangsters. Il est renversé par la voiture du célèbre bandit Red Cannon, qui finit avec lui dans le décor. Si Cannon s’en sort paralysé, Kingsley est à l’agonie. Pour sauver son ami autant que pour récupérer les 500 000 dollars planqués par Cannon, le docteur Dr. Ernest Sovac (Boris Karloff) décide en toute illégalité de transplanter un bout de cerveau de Cannon dans le corps de Kingsley. Il emmène alors un Kingsley schizophrène à New York, sûr de pouvoir maîtriser son versant “Red Cannon” et le supprimer lorsque l’argent sera en sa possession. Cela ne va pas être une sinécure, puisque le gangster est bien décidé à se venger de ses ex-complices (dont Bela Lugosi) qui l’ont trahi. En fait, tout cela se terminera même très mal, puisque le film est en fait un récit au passé illustrant les notes laissées par Stovac à un journaliste avant de passer sur la chaise électrique.

Si leurs films ne sont plus aussi brillants que par le passé, Boris Karloff et Bela Lugosi demeurent tout de même deux têtes d’affiche toujours très vendeuses à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale. Suffisamment pour que Universal construisent de nouveaux films sur leurs épaules. Dans le cas de Vendredi 13 (que nous appellerons Black Friday pour ne pas faire de l’ombre à un sympathique hockeyeur attardé), il s’agit même d’un film hybride, à cheval entre le fantastique et le film noir. Ce qui n’alla pas sans quelques soucis, puisque Boris Karloff, d’abord engagé pour interpréter le double rôle de George Kingsley / Red Cannon fut rapidement démis de ses fonction en raison d’un jeu jugé peu convaincant. On lui attribua alors le rôle du docteur Sovac, initialement prévu pour Bela Lugosi, lequel échoua dans le petit rôle de Marnay, ex-ami de Cannon à l’origine de l’accident de ce dernier. Bien qu’Universal conserva le nom de ses deux acteurs en haut de l’affiche du film, le rôle principal échut par conséquent à un second couteau, Stanley Ridges. Un rôle en or, qui lui permet de voler la vedette à Boris Karloff et à Bela Lugosi. Fortement inspiré par le mythe de Jekyll et Hyde, Black Friday lui offre deux personnages : le poussiéreux George Kingsley, avec ses cheveux gris, ses petites lunettes et sa timidité, ainsi que Red Cannon, l’exact opposé aux cheveux noirs, au regard dur et au comportement violent. Deux antagonistes vivant dans un même corps et qui ne sont jamais amenés à se croiser. La transition entre les deux se fait sans règle précise : elle peut intervenir pendant le sommeil autant que pendant la journée, que Sovac l’ait volontairement provoqué ou non. Ca laisse la surprise !

Le réalisateur Arthur Lubin s’inspire bien de l’œuvre de Stevenson mais n’en reprend pas la substance : il n’y a pas de luttes entre les deux personnalités pour prendre le dessus. Cannon n’est pas la face sombre de Kingsley, les deux demeurant très éloignés l’un de l’autre (Kingsley ne sait même pas que Cannon existe, et ce dernier est trop absorbé par l’aubaine qui lui est faite de passer incognito pour s’intéresser à la vie de Kingsley). Si bien qu’en fin de compte, il est difficile de dire si le Dr. Sovac a sauvé la vie de Cannon ou si il a sauvé celle de Kingsley. Il est en tout cas attaché aux deux personnages, le vieux prof par amitié et le gangster par cupidité, et c’est finalement lui qui développe l’ambiguïté de Jekyll et Hyde à travers sa “créature”, dont l’existence hérétique rattache également Sovac au bon vieux Victor Frankenstein. Le personnage de Boris Karloff s’inscrit bien dans la tradition des savants fous de la Universal, à laquelle Lubin rajoute une louche de situations qui auraient été dignes des “screwball comedies” à la Howard Hawks si toutefois le film n’avait pas été aussi sérieux. Le fameux secret que tente de préserver Sovac l’entraîne peut-être à claquer les portes au nez des proches de Kingsley (sa femme ne tarde pas à se pointer à New York), mais cela se fait dans un climat de secret fort légitime, qui a de plus le mérite de faire monter la tension. Tout son temps étant pris à tenter de sauver les apparences et à maintenir le vrai George Kingsley dans l’ignorance, Sovac est le personnage qui rattache le film à ses racines de science-fiction (à noter une scène d’hypnose dans laquelle Karloff nous ressort son fameux regard hypnotique digne de La Momie). En contrepartie, Red Cannon dispose de sa propre vie, voire même de son propre film. Jusqu’à ce que le moment soit venu de récupérer le magot, le docteur ne met pas les pieds dans la vengeance du gangster. Tout comme ce dernier n’a aucun lien avec le vrai Kingsley, la partie “film noir” ne se mélange pas avec la partie science-fiction, les malfrats conduits par Bela Lugosi (qui ne figure jamais dans la même scène que Karloff) ne se rendant jamais compte que cet homme qui les assassine un à un n’est autre que leur ancien chef.

Pratiquer autrement aurait été une maladresse de la part de Lubin. Il se concentre donc sur son intrigue policière comme si elle était aussi importante que l’autre versant, sans hélas y réussir aussi bien. Le scénariste Curt Siodmak n’est pas aussi doué que son frère Robert, grand nom du film noir, et d’ailleurs une bonne partie de sa carrière se fera dans la science-fiction. Le règlement de compte de Red Cannon se résume donc aux poncifs : une femme fatale, les gangsters en costume ou en imperméables, des assassinats dans le secret de la nuit, des scènes de crimes hâtivement désertées… Dans le rôle de Marnay, le toujours théâtral Bela Lugosi se montre peu inspiré. Notons tout de même une jolie scène d’action sur les toits de la ville, qui vient justifier le retrait de Karloff (pas exactement la souplesse incarnée) dans le rôle du prof gangster. Construit tout de même dans le but de se rapprocher in fine du destin du Dr. Sovac, ce mini-film noir prend parfois le pas sur tout le reste. Boris Karloff déserte l’écran pendant de longues minutes, et c’est ainsi que Stanley Ridges peut s’imposer comme le vrai personnage principal de Black Friday. Tant que nous y sommes, précisons que ce titre de Black Friday ne fait nullement référence aux jours historiques connus sous ce sobriquet peu flatteur, pas plus que le titre français ne revêt une quelconque importance (George Kingsley est bien renversé un vendredi 13, mais c’est la faute à pas de chance).

Sans toutefois être un chef d’œuvre de la Universal, Black Friday reste un film solidement construit : son histoire divisée donne presque l’impression d’assister à deux films montés en un seul. Pour un peu, la faiblesse du film noir mise à côté de la réussite de la science-fiction accroitrait encore le sentiment d’avoir assisté à un vrai film de schizophrène. Finalement pas très étonnant de la part d’un réalisateur dont la filmographie est un gigantesque composite de genres (du western musical au documentaire, de la comédie au film d’aventure exotique, d’Abbott et Costello au film d’horreur, du policier au drame historique…).

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