Pee Wee’s Big Adventure – Tim Burton
Pee-Wee’s Big Adventure. 1985Origine : États-Unis
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Tout premier long-métrage de Tim Burton, après avoir fait ses marques chez Disney, pour le compte desquels il tourna des courts-métrages d’animation, Vincent (1982) et Frankenweenie (1984), avant de se faire ejecter pour cause d’inspiration macabre non conforme à la politique maison. Pourtant, Pee-Wee’s Big Adventure, mettant en vedette ce qui était alors un personnage à succès tant à la télévision que dans les salles de spectacle, n’est pas tellement éloigné du style Disney. Paul Rubens, alias Pee-Wee Herman, envisagea même un temps de faire du film le remake d’une production Disney des années 60, Pollyanna, avant d’adopter cette histoire de bicyclette volée en observant les studios Warner, où le vélo semblait être le principal moyen de transport. Mais le style Disney demeure tout de même bien palpable, avec cet humour bon-enfant qui, justement, part d’un personnage lui-même enfantin. Pee-Wee Herman est né de l’imagination conjointe de Paul Rubens et de Phil Hartman, tous deux ex-membres des Groundlings, une équipe d’improvisation basée à Los Angeles (dont beaucoup des anciens membres font un caméo dans le film) et qui mirent donc à peu près 10 ans pour faire de leur invention un succès pouvant assumer à elle seul la mise en place d’un métrage reposant sur ses épaules. Avec Rubens comme indéboulonnable acteur et avec Hartman comme scénariste, le film raconte donc la quête de Pee-Wee à travers l’Amérique pour retrouver son vélo customisé, sa plus grande fierté en ce bas monde. Sous l’apparence d’un adulte, Pee-Wee est en réalité un enfant, et le monde dans lequel il vit lui ressemble : exubérant, chaleureux et formellement très marginal. On sent ici toute l’influence de Tim Burton, qui dès le départ place certains partis-pris visuels, ne serait-ce que de simples objets, qui réapparaîtront plus tard dans sa filmographie. Pensons notamment à la tarabiscotée machine servant le petit déjeuner de Pee-Wee, exacte modèle de la machine que l’on aperçevra plus tard dans le manoir de Vincent Price, père d’Edward aux mains d’argent. De telles références, Burton en use et en abuse, et le concept de Pee-Wee est véritablement fait pour lui : lui permettant de laisser parler son imagination autant inspirée par les cartoons de son enfance que par les productions horrifiques d’antant ou que part le style hérité des années 50 et du début des années 60 dans lequel il a vécu son enfance, le cinéaste s’approprie totalement l’univers de Pee-Wee.
L’harmonie entre le cinéaste et le personnage est palpable (du reste Burton noua une certaine amitié avec Paul Rubens, qui plus tard le poussa à lui donner un coup de main en lui offrant un caméo dans Batman, le défi après que la carrière de l’acteur fut brisée net lorsque Rubens fut découvert en train de se pignoler dans un cinéma porno gay) et la personnalité infantile de Pee-Wee donne l’occasion à Burton de placer à l’écran le premier des personnages de marginaux qui constitueront la marque de fabrique de son cinéma. Enfant dans un corps d’adulte, Pee-Wee possède à la fois un total manque d’inhibitions favorisant la sympathie, allié à un sens de l’humour puéril et naïf et, même, à ce côté égoïste et capricieux souvent attribué aux moutards. Une dualité se forge autour de Pee-Wee : à la fois attachant et insupportable, il entraîne tout le film dans son sillon. Haut en couleurs et uniquement concerné par son vélo (il repousse même les avances d’une fille), il vivra donc des aventures à sa mesure, qui le feront croiser des personnages eux aussi très marginaux, d’une façon pourtant très différente les uns des autres. Des motards, des clochards hobos dans les trains de marchandise, une brute épaisse au physique de Bud Spencer disproportionné et sa copine serveuse romantique, le fantôme d’une camionneuse, un gangster en cavale… Sans compter son principal ennemi : un autre enfant au physique d’adulte, un gosse de riche pourri gâté et véritable voleur du fameux vélo. Tout ce petit monde donne effectivement un film très rythmé, souvent amusant et visuellement très diversifié. En rencontrant d’autres personnes, Pee-Wee traverse également les genres cinématographiques en les parodiant plus subtilement qu’il n’y paraît : l’épouvante (les séquences oniriques sont incontestablement les plus belles du film, et serviront de base au film suivant de Burton, Beetlejuice), le western, le mélodrame, les films de bikers. Le tout sur une musique de Danny Elfman déjà au top, même si Burton finit un peu par en abuser. C’est fort logiquement que le film se terminera à Hollywood, dans les studios Warner : le film est né de l’observation de ces studios, et son déroulement touchait lui aussi aux divers genres cinématographiques. Burton se lâche dans ce final, évoquant tour à tour Godzilla, les Beach Movies des années 60 ou les sucreries du genre Annie. Il ironisera même sur la tendance Hollywoodienne à récupérer tout et n’importe quoi pour faire un film, les aventures de Pee-Wee à travers l’Amérique se retrouvant adaptées à l’écran comme un film estampillé James Bond, avec pour vedette James Brolin, exact opposé de Pee-Wee (et le caméo est significatif, puisque Brolin fut un temps candidat à la défroque de l’agent 007).
Pee-Wee’s Big Adventure est donc un premier film réussi. Burton, en s’appuyant sur le personnage de Pee-Wee et sur le tandem Paul Rubens / Phil Hartman, dont le mérite n’est pas non plus à oublier, réalise un film qui contient déjà en germes toutes les thématiques de sa carrière. Bien sûr, ici, tout est livré de façon brute de décoffrage, et il faudra attendre (pas si longtemps) pour que le cinéaste s’affine davantage. En guise de comparaison, on peut regarder Pee-Wee par rapport à Big Fish, réalisé presque 20 ans plus tard, et au sujet assez similaire. Le premier est un film très enfantin, très naïf, très exubérant, le second est plus posé, plus calme, et l’imagination, tout aussi présente, est traîtée de façon beaucoup plus subtile, de même que son propos. Entre les deux, une poignée de films viendront modeler les préoccupations de Burton, un cinéaste en quête d’affirmation et au cheminement logique, toujours cohérent.