Nomads – John McTiernan
Nomads. 1986Origine : États-Unis
|
Une nuit, aux services des urgences d’un hôpital de Los Angeles, l’interne Eileen Flax est convoquée au chevet d’un patient qui vient tout juste d’être admis. Visiblement hystérique et baragouinant des phrases incompréhensibles en français, il meurt non sans avoir murmuré quelques mots à l’oreille d’Eileen. Les jours suivants, encore sous le choc, elle perçoit avec de plus en plus d’intensité des flashs dont elle ignore au début l’origine, pour vite s’apercevoir qu’ils émanent des souvenirs du patient décédé, qui s’avère être un fameux anthropologue. A son corps défendant, elle est donc amenée à revivre les derniers instants du scientifique pour une raison qu’elle ignore.
Dans un bel élan laudatif, cette année a vu la cinémathèque française puis le 40e festival de Deauville rendre hommage à John McTiernan, qui à la suite de ses déboires avec la justice américaine semble avoir soudain acquis une aura respectable en France qui lui échappait jusqu’alors. Un constat un peu amer pour un réalisateur qui, après avoir posé d’importants jalons du cinéma d’action contemporain (Predator, Piège de Cristal, Une journée en enfer), a progressivement perdu de sa superbe suite aux déboires qu’il a connu sur le tournage du 13e guerrier, film brillant en dépit de ses imperfections. A force de remakes au mieux inutile (Thomas Crown) au pire inepte (Rollerball) ou de thriller lambda au titre révélateur (Basic), John McTiernan est rentré dans le rang, ne parvenant plus à transcender son matériau de base qu’en de trop rares fulgurances. Un basculement dans la médiocrité qu’il n’a jamais donné l’impression de vouloir enrayer, laissant comme un goût de renoncement.
A l’époque de Nomads, il en allait tout autrement. Après avoir signé quelques spots publicitaires au début des années 80, John McTiernan décide de passer au long-métrage. Et plutôt que d’attendre qu’on lui propose un sujet, il en rédige lui-même le scénario, chose qu’il ne fera plus jamais par la suite. A l’aune de ses films suivants, Nomads apparaît comme une curiosité, même s’il entretient d’évidents liens avec le reste de sa filmographie, notamment par cette manie de marier les idiomes en une polyphonie multiculturelle. Ainsi, s’amusera t-on de l’accent à couper au couteau de Pierce Brosnan qui campe un anthropologue français au patronyme pour le moins sans équivoque, et dont les premiers mots prononcés – proprement incompréhensibles – nous place dans la même expectative que Eileen Flax. Détail amusant, Jean-Charles Pommier parle allemand dans la version française, ce qui laisse deviner de manière plus précise sa région de naissance.
Singulier, Nomads l’est aussi au sein d’une décennie qui consacre un cinéma fantastique plus démonstratif. A contre-courant de cette tendance, McTiernan opte pour une approche plus feutrée et une absence d’effets autres que ceux de sa mise en scène. Il construit davantage son film sur le modèle d’un thriller qui repose sur un double suspense : savoir comment Jean-Charles Pommier est mort, et pourquoi son esprit hante celui d’Eileen Flax. Ce qui ne va pas sans un certain déséquilibre puisque la partie consacrée à l’anthropologue s’avère plus passionnante que celle dédiée à Eileen, qui souffre de son caractère redondant et plus ouvertement surnaturel. Curieusement, c’est dans sa dimension fantastique que Nomads convainc le moins, même si John McTiernan réussit quelques belles séquences à l’horreur sourde, comme au détour de cette rencontre entre Jean-Charles et une vieille bonne-sœur dans les entrailles d’un couvent désaffecté. A tout baser sur l’illustration d’un mythe inuit autour d’esprits hostiles qui apportent malheur et folie à ceux qu’ils rencontrent, McTiernan tend à banaliser son propos. Nomads n’est jamais meilleur que lorsque l’intrigue colle aux basques de Jean-Charles Pommier et adopte son regard scientifique. Voilà un homme de terrain qui par amour, a consenti à se sédentariser. Or cette sédentarisation s’effectue non sans mal, Pommier rechignant à défaire tous ses cartons, ce qui serait synonyme de renoncement. Tout juste a-t-il accroché au mur quelques photos des peuplades qu’il a étudiées, comme le souvenir lancinant de cette vie aventureuse qu’il laisse derrière lui. Les incivilités dont il fait l’objet – des graffitis sur la porte de son garage – lui offre l’opportunité de renouer avec l’adrénaline du terrain, au mépris de toute considération pour son épouse qu’il laisse sans nouvelles plusieurs jours durant. Très vite, il nourrit une forte fascination pour cette bande de marlous sur laquelle il appose sa grille analytique. Il dresse un parallèle entre ces individus et ces peuplades nomades qui vivent en marge de la société, n’agissant que selon leurs propres lois. Son enquête lui sert d’évidente échappatoire à une existence qui sombre dans un effrayant conformisme. Une fuite en avant aux conséquences aussi incertaines que périlleuses qui prend place dans un Los Angeles nocturne et désert où tout paraît pouvoir arriver. Sans ostentation, McTiernan joue les funambules entre onirisme cauchemardesque et réalisme social, dessinant en creux l’image de mégalopoles tentaculaires emplis de laissés pour compte, et dans l’anonymat desquelles les pires atrocités peuvent être commises dans l’indifférence générale.
La conclusion se veut confortable dans le sens où l’aspect fantastique jusque là sous-jacent prend définitivement le dessus, suivant une imagerie punk dont McTiernan se sert de manière opportune, avec une pointe de diabolisation assumée. Mais le film est avant tout le récit du renoncement d’un homme qui n’a pas la force de lutter contre son moi profond. Pour alambiqué qu’il puisse paraître, voire abscons, Nomads demeure un objet fascinant, à l’ambiance ensorcelante. Certaines images brillent par leur étrangeté, immortalisées par les apparitions de Mary Woronov, silhouette presque androgyne à la sensualité bestiale et inquiétante.