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New York ne répond plus – Robert Clouse

newyorknerepondplus

The Ultimate Warrior. 1975

Origine : Etats-Unis
Genre : Science-fiction post-apocalyptique
Réalisation : Robert Clouse
Avec : Yul Brynner, Max Von Sydow, William Smith, Joanna Miles…

En l’an 2012, la civilisation n’est plus. La crise du pétrole et une vague d’épidémies en sont venues à bout. Les survivants se sont regroupés en petites communautés qui, comme à New York, s’entredéchirent. Le Baron (Max Von Sydow) est à la tête de l’une d’entre elles et il s’en est jusqu’ici sorti assez honorablement grâce aux talents de jardinier de son gendre, Cal. Celui-ci est parvenu à faire pousser quelques variétés de légumes que l’on pensait éteintes. Mais cette réussite toute relative (la nourriture continue à être rationnée) vaut à la communauté d’être en proie à la menace des hommes de Carrot (William Smith), chef du gang voisin. Le Baron sait cette attaque imminente, et c’est officiellement pour ça qu’il a contacté cet étrange guerrier nommé Carson (Yul Brynner), qui depuis quelques jours avait élu domicile à quelques rues de là, restant immobile et refusant de parler à quiconque. Finalement rallié au Baron, Carson apprend que son véritable emploi sera surtout d’escorter le Baron, sa fille enceinte et Cal à travers les galeries souterraines pour les mener eux et les précieuses graines dans un endroit moins hostile à la nature.

Sa relative notoriété, Robert Clouse la doit avant tout à ses films d’arts martiaux, ou du moins à l’un d’entre eux : Opération Dragon, avec Bruce Lee. Son nom est également associé à ce monument funéraire qu’est Le Jeu de la mort, montage opportuniste de scènes réalisées par Bruce Lee lui-même et agrémenté de scènes tournées par Clouse après la mort de l’acteur, remplacé par des sosies douteux. Pourtant, la carrière de ce réalisateur peut également s’enorgueillir de New York ne répond plus, film post-apocalyptique pré-Mad Max 2 tourné entre Opération Dragon et Le Jeu de la mort et qui compte à son casting des acteurs de renom, à savoir l’exorciste bergmanien Max Von Sydow, le biker réac William Smith (vu chez Milius dans Conan et L’Aube rouge) et le mercenaire de l’ouest Yul Brynner. La tête d’affiche étant chauve, c’est le style associé à Brynner qui s’impose au film de Clouse, qui comme bon nombre de ses descendants “post-nuke” ressemble à s’y méprendre à un western. La communauté dirigée par le Baron n’est rien d’autre que l’équivalent des petits villages isolés dans le désert, Carrot est le bandit sans foi ni loi qui cherche à faire main basse sur les richesses de cette communauté (d’ailleurs s’appeler Carrot et chercher à voler des légumes est assez saugrenu pour un grand méchant, quand bien même ce sobriquet est justifié par la rouquinerie de son acteur) et Carson représente le pistolero apportant son aide providentielle au camp des gentils. L’esthétique du film est quant à elle un mélange ma foi pas maladroit entre l’urbanisme de New York et la désuétude du vieil ouest, représentée par les tenues vestimentaires et par l’allure générale de l’appartement du Baron, digne de celui des notables du siècle passé. Les fameux légumes, denrée rare dans cette grosse pomme dévastée, font écho à l’élément moteur du western, l’or. Sur ce point précis, la plupart des post-nukes nés dans la foulée des films de George Miller trouveront un autre symbole faisant écho à la crise des années 70, le pétrole. L’or noir n’est dans le film de Robert Clouse qu’une des origines de la disparition de la civilisation, et ne dispose d’aucun intérêt une fois l’humanité divisée en tribus antagonistes. Faire des graines et des légumes les ingrédients que tout le monde s’arrache, faire d’un jardinier le nouveau messie est une démarche qui s’inscrit nettement plus dans des préoccupations aux relents hippies et renvoie à la douce naïveté de films écolos comme le peu connu mais excellent Silent Running de Douglas Trumbull ou le réputé mais surestimé Soleil Vert de Richard Fleischer. La détresse que ressentent Cal et le Baron devant les menaces qui pèsent sur leurs précieux sésames aboutit à des scènes à la gravité quelque peu abusive, comme dans ce plan où Von Sydow se fait juge d’un tribunal organisé autour d’une tomate censée avoir été volée par une de ses ouailles ou encore cette scène où Cal admet compter les graines une par une tous les jours, pendant que Clouse filme lesdits granulés en gros plan dans la paume de Von Sydow.

Là est la grosse différence entre New York ne répond plus et les principaux post-nukes qui lui succéderont (outre Mad Max 2, mentionnons New York 1997 et même Les Guerriers de la nuit, qui sans être ouvertement rattaché au genre lui a fourni l’idée des gangs urbains) : le film de Robert Clouse est très loin d’être un incontournable du cinéma “radical”. Il n’y a pas une once de cynisme dans le film, et sa forme se fait alors logiquement académique. Quand bien même le film est un peu plus sanglant que les films de Miller, Carpenter ou Hill, sa violence est adoucie par ce qui tourne autour, mise en scène comme scénario. Au sujet de ce dernier, nous pouvons même parler de classicisme, puisque la plupart des moments clefs se jouent à un niveau émotionnel largement téléphoné. Ainsi, sitôt le plan du Baron mentionné, il est évident que l’accouchement de Melinda, fille du Baron, se déroulera au moment le plus inopportun. On le devine une heure avant l’instant fatidique, climax d’un film bien trop prévisible. De même, la personnalité de Carson est à des années lumières de celles de ses collègues Max Rockatansky ou Snake Plissken, malgré une première apparition faisant planer le doute l’espace de quelques secondes. Las, le Baron et ses hommes n’ont pas encore fait 50 mètres après avoir contacté Carson qu’ils se font agresser et que le “guerrier ultime” sort son couteau et de son mutisme pour les défendre et devenir alors le simple exécutant du Baron. Il a beau dire qu’il n’a pas rejoint la cause pour la noblesse du mode de vie choisi par la communauté (il dit que c’est parce le Baron lui a promis des cigares à volonté…), la réalité est qu’il profite peu de ses avantages et qu’il se fait un chevalier des temps modernes, entreprenant parfois de lui-même d’aller sauver la veuve et le futur orphelin en plein péril. D’ailleurs, ce ne sont pas une mais deux mères qui auront maille à partir avec Carrot. La première servant d’exemple pour la seconde, Melinda, en même temps que son sort (tomber sur les hommes de Carrot pendant qu’elle recherche désespérément du lait en poudre dans une boulangerie abandonnée) en appelle au pathos quant aux responsabilités d’une mère dans un monde où la nourriture est rare. Melinda est donc d’ores et déjà prévenue de ce qui l’attend, et c’est ce qui la poussera à obéir à papa lorsque celui-ci lui dévoilera ses plans d’évasion. Le Baron est l’unique personnage sortant un tant soit peu du manichéisme ambiant, même si Clouse a vraiment du mal à illustrer le dilemme moral auquel il est confronté : sacrifier son peuple pour permettre à quelques individus de s’enfuir discrètement avec Carson pour établir une colonie civilisée où les graines pourront être convenablement exploitées. Une nouvelle civilisation est à ce prix.

Un choix assumé, mais qui implique que le Baron trompe sciemment ceux qui ont placé leurs espoirs en lui. Une problématique pleine de potentiel que Clouse réduit à néant en se montrant particulièrement frileux. Ainsi, le procès du voleur de tomates et la sentence prononcée (jeter le fautif à la rue au milieu de sauvages qui le lyncheront) montre que ce peuple est lui-même gangréné par la violence. Surtout que le pauvre bougre fut condamné à tort, puisque la tomate à l’origine de sa disgrâce fut placée dans ses affaires par un homme jaloux, qui plus tard n’hésitera pas à pactiser avec l’ennemi. En ayant recours à ce raisonnement, et plus tard en montrant le peuple furibond et toujours prêt à sortir les fourches pour se venger dans le sang, Clouse justifie ainsi le choix du Baron et évite soigneusement d’approfondir le cas de conscience d’un chef qui fait de ses proches les seules perspectives de renouveau de l’humanité, considérant sans gaieté de cœur qu’il s’agit là de la seule solution. Il n’explique pas en quoi, et il limite sa vision du peuple à un troupeau compact et barbare, faisant ainsi passer l’idée qu’en homme bon mais pragmatique, le Baron n’a pas d’autre choix. Au nom de l’espèce humaine. Si le choix du sacrifice pouvait s’avérer porteur avec de bons arguments, l’utilisation fallacieuse de cette excuse disant que le peuple était d’ores et déjà perdu est pour le moins fort maladroite. En plus d’être politiquement puante, elle évite à Clouse d’avoir à trop fouiller la psychologie du personnage de Max Von Sydow. New York ne répond plus n’est pas seulement conçu comme un film à l’ancienne aux ficelles usées, il est également en marge des tendances de son époque, qui étaient à la remise en cause des élites. En suivant le mouvement du Baron, en ne remettant pas en question ses décisions et en refusant de jouer la carte individualiste comme l’auraient fait Mad Max ou Plissken, Carson se condamne à n’être qu’un personnage légèrement abruti, incapable de réfléchir par lui-même (ce malgré la performance physique de Yul Brynner, notamment dans la dernier partie située dans un tunnel de métro, qui débarrassée de tous les enjeux sociaux est excellente). Il aurait pu être un précurseur, et New York ne répond plus aurait pu apparaître comme fondateur d’un nouveau sous-genre. Malheureusement, Robert Clouse n’a pas pris le défi par le bon bout et a préféré verser dans un classicisme sentimental, formel et sujet à caution.

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