Mother’s Boys – Yves Simoneau
Mother’s Boys. 1993.Origine : États-Unis
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Alors qu’elle a abandonné son mari et ses trois enfants depuis 3 ans, Judith Madigan (Jamie Lee Curtis) refait irruption dans leur existence à l’aune de la demande de divorce dont elle fait l’objet. Elle ne vient pas dans l’idée de signer les papiers mais souhaite au contraire renouer avec sa famille et reprendre les choses là où elle les avait laissées. Robert (Peter Gallagher) s’y oppose, désireux de tourner enfin la page et de se consacrer pleinement à Colleen (Joanne Whalley), sa nouvelle petite amie. Obstinée et sans scrupules, Judith manigance afin de monter leur fils aîné contre eux.
Un seul film – Halloween, la nuit des masques – aura suffi pour faire de Jamie Lee Curtis une égérie du cinéma d’horreur en général et du slasher en particulier. Avec le personnage de Laurie Strode, elle aura réussi l’exploit de faire jeu égal avec Michael Myers, le croquemitaine qui la poursuit de ses assiduités, au point de lui contester sa cote de popularité. Une performance que n’aura par exemple pas réussi à accomplir Heather Langenkamp/Nancy Thompson face à Freddy Krueger en dépit des nombreux efforts consentis par Wes Craven. Par la suite, Jamie Lee Curtis a parfaitement su gérer sa carrière. Alors que le risque de rester cantonnée à un seul type de rôle pointait le bout de son nez (Fog, Le Bal de l’horreur, Le Monstre du train, Déviation mortelle, Halloween 2), sa participation à la comédie de John Landis Un fauteuil pour deux lui ouvre de nouvelles perspectives. Mother’s Boys participe de cette envie de diversification, d’autant plus intense qu’elle sort à ce moment là d’une décennie de personnages éminemment positifs et sympathiques (Un poisson nommé Wanda, My Girl). La tendance étant alors au thriller sulfureux dans le sillon de l’éclosion de Sharon Stone avec Basic Instinct, Jamie Lee Curtis s’engouffre dans cette voie avec appétit sous la direction d’Yves Simoneau, un autre réalisateur expatrié mais sans le talent et le style rentre-dedans de Paul Verhoeven.
Le point de départ de Mother’s Boys reprend peu ou proue le dernier tiers de Kramer contre Kramer, ce moment précis où la mère démissionnaire revient réclamer son dû, la garde de ses enfants. A ceci près que Yves Simoneau nous épargne les scènes de tribunal au profit d’échanges épars entre Robert, Judith et leurs avocats respectifs. Mother’s Boys n’a pas vocation à être un film dossier même si au détour desdits échanges, il questionne le statut de la mère. Quelque soit ses fautes ou ses manquements, la mère a la loi de son côté compte tenu des liens viscéraux qui l’unit à ses enfants. Seule une expertise psychiatrique à charge pourrait conduire la justice à trancher en faveur du mari. Dans le cas qui nous occupe, Robert part perdant d’avance. Quoi qu’il fasse, il devra composer avec le retour de son épouse et se partager la garde des enfants. Or Judith ne saurait se satisfaire de cette demi victoire. Il n’y a dans sa démarche ni repentir, ni amour, seulement de la vanité. Elle ne conçoit pas qu’elle puisse être remplacée, tout comme elle ne semble pas concevoir que son attitude ait pu blesser. Son retour est en partie motivé par l’envie d’écarter sa “remplaçante”, qu’elle prend un malin plaisir à rabaisser en permanence. Elle n’a finalement que peu de considération pour son mari, le falot Robert, qu’elle estime incapable d’être à l’origine de la demande de divorce. Le cheveu décoloré, les tailleurs cintrés, Judith s’emploie dans un premier temps à le “vamper” de nouveau. Sexuellement agressive, elle joue à la fois de son physique et de son ascendance sur lui afin de lui faire perdre pied, d’instiller le doute en lui. Mais Robert ne tombe pas dans le panneau, pas tant grâce à sa force de caractère que grâce à la puissance de la morale américaine, laquelle s’accommoderait mal de toute ambiguïté dans leurs relations, et encore moins d’un triangle amoureux. A ce titre, les quelques regrets que Judith exprime lors des premières scènes relèvent vite du simulacre, Yves Simoneau ne faisant guère mystère de ses intentions machiavéliques. Ainsi délesté de toute ambivalence, le personnage de Judith Madigan perd alors de son intérêt, sombrant dans une méchanceté gratuite teintée de rancœur. Une ligne de dialogue lors d’un échange entre la mère et sa fille tente maladroitement de donner une justification à son comportement sans que cela n’infléchisse son parcours. Du début jusqu’à à la fin, elle demeure cette psychopathe en talons aiguilles, capable de faire exploser la cellule familiale pour mieux en recoller les morceaux par la suite mais sans jamais non plus dépasser les bornes de l’acceptable. Du moins l’intrigue lui interdit-elle cette extrémité quand bien même toute sa stratégie s’oriente vers l’élimination pure et simple de sa rivale.
Robert Madigan prestement hors-jeu, Mother’s Boys se refuse pourtant à un affrontement direct entre les deux femmes. Si elles se jaugent sous l’impulsion de Judith, jamais elles ne se parlent franchement. Leur duel s’effectue à distance à travers Kes, le fils aîné des Madigan et celui qui a été le plus marqué par le départ soudain de sa mère. Kes est un garçon en souffrance depuis le départ de sa mère, état que la puberté n’arrange guère. Il nourrit à son endroit des sentiments contradictoires où se mêlent amour et détestation. Que ce soit devant son père ou sa mère, il joue les durs pour mieux masquer son désarroi. C’est finalement autour de lui que se concentre le nœud de l’intrigue, comme une sorte de symbole de ce que peut provoquer le déchirement d’un couple lorsqu’il y a des enfants au milieu. Sauf que le personnage du père étant relégué aux oubliettes, Kes n’est plus que le jouet de sa mère, le bras armé de son entreprise destructrice. Par ce choix, on sent poindre la volonté de créer le malaise avec en point d’orgue cette scène de bain où Judith se dévoile dans le plus simple appareil à son fils, l’enjoignant à contempler la cicatrice qu’a engendrée sa naissance. Une scène fondatrice du revirement de l’adolescent sans que l’atmosphère du film ne s’en trouve altérée. Le thriller pantouflard continue son petit bonhomme de chemin sans faire de vagues. Certes, Kes devient détestable en faisant sien le combat de sa mère. Cependant, les actes odieux dont il se rend coupable n’ont pas de conséquences fâcheuses au-delà du simple besoin de créer des rebondissements.
La réalisation sophistiquée de Yves Simoneau masque mal l’approche frileuse qu’il a de son sujet. Alors par souci de facilité, il se repose entièrement sur la prestation de son actrice vedette. Néanmoins, si Jamie Lee Curtis excelle dans ce contre-emploi, elle ne peut sauver le film à elle toute seule, la faute à une adversité par trop effacée. Et il va de soi qu’en dépit de ce qu’annonçait en exergue l’affiche originale ou de ce que promettent les illustrations du dos de la jaquette du dvd, ce thriller ne dispense qu’un érotisme léger entièrement dû au total engagement de Jamie Lee Curtis et n’a rien de provoquant ni de sulfureux.