Moonfall – Roland Emmerich
Moonfall. 2022.Origine : États-Unis, Royaume-Uni, Japon
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Théoricien du complot, K.C. Houseman découvre en piratant le compte d’un éminent scientifique, que la Lune est sorti de son orbite. Il tente alors d’alerter la NASA, en vain. En tombant sur un article de journal, il décide d’entrer en contact avec Brian Harper, un ancien de la NASA destitué après un accident survenu 10 ans plus tôt lors d’une mission en orbite. Essuyant un nouveau camouflet, K.C. diffuse l’information sur les réseaux sociaux alors même que Jocinda Fowler, directrice adjointe de la compagnie spatiale, vient d’en prendre connaissance et qu’elle souhaitait garder cela secret pour ne pas créer de mouvements de panique. Peine perdue. La population s’embrase, s’affole et fuit. En se rapprochant de la Terre, la Lune entraîne une succession de catastrophes, prémices à leur collision. Suite à l’échec d’une mission de reconnaissance, qui aura tout de même prouvé l’existence d’une intelligence extraterrestre particulièrement belliqueuse, Jocinda n’a d’autre choix que s’en remettre à Brian, dont elle l’était l’amie et la collègue, pour mener une mission de la dernière chance. Entretemps, l’ancien pilote s’est rallié à K.C. C’est donc en trio qu’ils vont s’efforcer de sauver la Lune et, partant, la Terre.
Catalogué “cinéaste de la destruction”, Roland Emmerich doit désormais se confronter à la concurrence déloyale des super-héros et des robots en tous genres (Pacific Rim, Transformers), lesquels ne lésinent pas sur le chaos à grande échelle. Il tente d’ailleurs de se diversifier à partir d’Anonymous en 2011, drame autour de la réelle paternité des oeuvres de William Shakespeare. Il enchaîne par la suite avec White House Down (2013), un film d’action qui reprend le canevas éculé de Piège de cristal ; Stonewall (2015) qui revient sur les émeutes de 1969 dans le cadre de la lutte LGBT et enfin Midway (2019), un film de guerre. Et intercalé au milieu de tout ça, Independence Day : Resurgence, la suite que personne n’attendait et pour laquelle pas grand monde ne s’est déplacé en comparaison du raz-de-marée engendré par le premier volet. C’est que Roland Emmerich reprend peu ou proue les mêmes recettes au service des mêmes archétypes avec en guise d’unique nouveauté, cette fin en suspend, promesse d’une suite où, lassée d’être toujours la proie d’extraterrestres belliqueux, l’humanité se mue en chasseur. Il y a dans cette fin ouverte la marque d’une confondante naïveté ou l’expression d’une certaine suffisance, comme si Roland Emmerich pensait qu’il lui suffisait de revenir à l’un de ses vieux standards pour électriser les foules. Or c’est oublier que ses films reposent avant tout sur une idée, un concept, plus que sur les personnages (un accès direct vers une autre planète dans Stargate, un monstre antédiluvien coincé à Manhattan dans Godzilla, les déréglements climatiques dans Le Jour d’après, la fin du monde dans 2012, …). Et le côté bis repetita de la manœuvre n’a guère convaincu. Seulement, Roland Emmerich ne peut se résoudre à se détourner durablement des films à grand spectacle. Il aime soumettre l’humanité à des périls aussi imminents qu’explosifs. Et si un troisième Independence Day se déroulant entièrement dans l’espace paraît plus qu’hypothétique, il se console avec Moonfall et sa virée de la dernière chance au-dessus de la Terre.
Roland Emmerich a de la suite dans les idées. Et ce faisant, il n’est jamais bien loin de la redite. Il a déjà fait subir tant d’outrages à la planète Terre au cours de sa carrière, qu’il lui devient difficile de se renouveler. Les catastrophes qui se succèdent (raz-de-marée, tremblements de terre, chutes d’astérides, …) relèvent du déjà-vu et sont d’ailleurs traités avec un certain je-m’en-foutisme. Visuellement, le film est très laid, dispensant un rendu factice de bout en bout, jusqu’aux plans les plus insignifiants comme l’arrivée de Brian Harper à l’observatoire. Plutôt que magnifier ces scènes de destructions massives, Roland Emmerich les filme comme des passages obligés justes bons à nourrir la bande-annonce en scènes spectaculaires. La nouveauté tient aux perturbations générées par le changement d’orbite de la Lune qui, de déréglements ponctuels de l’apesanteur en raréfaction soudaine de l’oxygène, compliquent la fuite des proches de Jocinda et Brian. Bien qu’orphelin de son vieux complice Dean Devlin, Roland Emmerich reconduit la même structure narrative qu’à leurs plus belles années. A partir du décollage de la navette Endeavour pour la mission de la dernière chance, le récit se scinde en deux intrigues parallèles qui se répondent l’une-l’autre. Dans l’espace, on s’efforce de sauver le monde quand sur Terre, on survit coûte que coûte afin que le combat qui se mène en orbite ne soit pas vain. Au passage, Roland Emmerich reprend de vieilles marottes comme tuer le nouveau conjoint de l’ex femme du héros (déjà fait dans 2012), en plus radical néanmoins, puisqu’ici, il ne s’agit plus de permettre la reformation d’un couple mais bel et bien de sanctionner le choix d’une épouse, coupable d’avoir abandonné son premier mari au moment où tout le monde lui tournait le dos. Cette misogynie latente s’étend à Jocinda, coupable de ne pas avoir soutenu la version de Brian Harper alors même qu’elle lui devait la vie. En dépit de ses hautes fonctions à la NASA, elle n’a guère les faveurs d’un scénario qui nous la dépeint ayant toujours un train de retard. Elle ne semble exister que pour ce renvoi d’ascenseur à la fin du film, acte qui achève sa longue séquence de contrition à l’égard de Brian. Cela tend à confirmer l’incapacité de Roland Emmerich à conférer de l’épaisseur à ses personnages féminins. Une fatalité contre laquelle Halle Berry, dont l’étoile à Hollywood n’en finit plus de perdre son lustre depuis l’Oscar obtenu pour A l’ombre de la haine (2001), ne peut rien. Elle hante le film plus qu’elle ne l’habite. Patrick Wilson n’est pas mieux servi avec son personnage d’homme bafoué que les circonstances placent en homme providentiel d’une humanité chancelante. Ils forment un duo à l’alchimie inexistante, simples passe-plats du troisième larron de la bande, et finalement personnage le plus important du lot, K.C. Houseman. Inévitable caution comique du film, il est également représentatif du fond problématique véhiculé par le film.
Pour les habitués de la filmographie de Roland Emmerich, Moonfall nous place immédiatement en terrain connu. Le réalisateur jongle continuellement avec les mêmes ressorts scénaristiques et dramatiques. En se focalisant ainsi sur la Lune, il ne fait que prolonger le plan d’ouverture d’Independence Day qui montrait une ombre menaçante recouvrir ce versant du satellite arpenté par la mission Apollo 11. Sauf que cette fois-ci, il pousse le bouchon si loin qu’il en arrive à faire d’un adepte des théories du complot le véritable héros de son film. Les secrets et mensonges d’état pourraient constituer une catégorie à part du cinéma américain. Roland Emmerich s’en amusait déjà avec la Zone 51. Moonfall lui permet de faire son beurre de toutes les théories complotistes autour de l’alunissage du 21 juillet 1969, accréditant qu’il y ait bien eu enfumage de la population mais pour une raison plus extraordinaire encore que la simple mascarade généralement évoquée. Les théories complotistes n’avaient d’ailleurs pas attendu l’alunissage diffusé en mondovision pour remettre en doute la véracité des recherches orchestrées par la NASA. Sauf que dans sa recherche du spectaculaire, Roland Emmerich dépasse cette vieille croyance pour remettre en cause la nature même de la Lune. Une Lune dépeinte ici comme un immense vaisseau conçu par des extraterrestres, mais pacifiques ceux-là. Cette vision personnelle de notre satellite n’est pas problématique en soi. De tous temps, la Lune a nourri les fantasmes de poètes, écrivains et réalisateurs. Elle le devient davantage lorsqu’elle donne raison à un illuminé. K.C. Houseman représente la sempiternelle figure du geek dont les relations sociales se limitent à celles de ses réseaux. Un passionné fanatique qui surveille la Lune comme le lait sur le feu et qui sera donc le premier à découvrir son changement d’orbite. En cela, il rejoint David Levinson, l’expertise en moins. Roland Emmerich le filme comme une sommité qui a réponse à tout – et qui ne se trompe jamais – alors qu’il tient uniquement son savoir de ses lectures particulièrement orientées. Un autodidacte 2.0, en somme, dénué de tout le recul nécessaire sur l’objet de son obsession. Son côté enfantin qui l’amène à s’émerveiller de tout est censé nous faire passer la pilule, tout en servant de référent aux spectateurs. Il est ce monsieur tout-le-monde invité à la table des puissants (en l’absence de la sphère politique, étonnamment absente du film, le sort de l’Humanité se joue dans les bureaux de la NASA). K.C. est un gentil bougre qui cherche seulement un peu de reconnaissance. Or cela rend le propos encore plus pervers en ce sens qu’il tend à conférer un visage angélique au complotisme. Comme à son habitude, Roland Emmerich avance à pas feutrés. Il masque son discours derrière un voile de dérision (les quelques hurluberlus qui répondent à l’appel de K.C.) mais le sort qu’il réserve à son personnage (le martyr devient l’Élu de tout un peuple) laisse peu de place à l’interprétation.
Un autre discours se fait jour dans le film, celui de la défiance vis à vis des intelligences artificielles, ou du moins de l’usage qu’on en fait. Sujet on ne peut plus d’actualité qui dans son illustration rejoint le propos de James Cameron dans Terminator. James Cameron qui est la principale influence de Roland Emmerich pour ce film puisqu’on retrouve par ailleurs un peu de Abyss dans la rencontre entre Brian Harper et l’intelligence extraterrestre. Moins écrasantes qu’éclairantes, ces références confirment le manque de renouvellement de Roland Emmerich. Les années passent et ses films se ressemblent invariablement, fruits d’une “formule” autrefois magique qui aujourd’hui n’enchante plus grand monde.