Godzilla – Roland Emmerich
Godzilla. 1998Origine : États-Unis
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Alors qu’il s’adonne à des analyses sur les vers de terre dans la région de Tchernobyl pour le compte de la Commission de régulation nucléaire des États-Unis, le scientifique Nick Tatopoulos voit sa mission perturbée par l’arrivée impromptue de soldats américains. Sans trop se soucier de son avis, les militaires l’héliportent jusqu’au Panama où le Colonel Hicks l’affranchit sur la nature du problème : une créature aux proportions gigantesques sème peur et désolation partout où elle passe. Baptisée Godzilla, ladite créature cherche un endroit pour nidifier. Et il semblerait bien qu’elle ait jeté son dévolu sur New York, et plus précisément sur l’île de Manhattan.
Consacré roi du box-office à la faveur de la déferlante Independence Day, Roland Emmerich peut désormais tout se permettre. S’il jette finalement son dévolu sur une version américaine du Godzilla de la Toho, le projet ne l’a pas toujours attiré. Il est approché une première fois par le président des productions de Columbia-Tri Star alors qu’il tourne Stargate. Il décline alors poliment, arguant qu’il n’est pas l’homme de la situation. En réalité, il ne voit surtout pas comment il pourrait intéresser le public suivant une recette qu’il juge trop kitsch. Un temps rattaché à Jan De Bont, qui demandait un budget bien trop important, le projet lui est à nouveau soumis quelques années plus tard. Il se montre alors moins obtus, prend le temps d’en discuter avec son vieux complice Dean Devlin, et finit par proposer un traitement au studio qui donne son aval. Ne reste plus qu’à convaincre les ayants-droits japonais, lesquels donnent leur approbation sans barguigner. Tous les feux sont donc au vert pour un film taillé pour être le succès monstre de cette année 1998.
Adieu le monstre pataud de la Toho et son comédien engoncé dans un costume inconfortable et bonjour la créature agile et véloce entièrement réalisée en images de synthèse. Jurassic Park et ses effets spéciaux “révolutionnaires” sont depuis passés par là et il semblait inimaginable à Roland Emmerich de revenir en arrière sous couvert de nostalgie. En dépit des nombreuses recherches du directeur artistique Patrick Tatopoulos, leque s’inspire de plusieurs animaux pour aboutir au résultat final, son Godzilla évoque immanquablement un dinosaure hypertrophié. Pleinement conscient de l’inévitable comparaison, Roland Emmerich entretient sciemment le duel à distance avec Steven Spielberg en jouant la carte qu’il affectionne le plus, celle de la surenchère. Celle-ci prend d’abord la forme d’un teaser sans équivoque où le squelette du tyrannosaure Rex exposé au musée d’histoire naturelle de New York se fait prestement écraser par le pied indélicat de Godzilla. Et cela se poursuit sur l’affiche même du film avec l’accroche « Size Does Matter » (« La taille est importante »). Une campagne promotionnelle pour le moins puérile qui colle parfaitement avec le ton du film. La menace représentée par Godzilla n’est jamais réellement prise au sérieux. D’ailleurs, passé son arrivée tonitruante en plein Manhattan durant laquelle Roland Emmerich s’efforce de masquer les victimes éventuelles (les informations télévisées, pourtant omniprésentes au cours du récit, ne rendront jamais compte du nombre de décès parmi la population civile), l’île est rapidement mise en quarantaine et donc expurgée de ses habitants. Seuls subsistent les forces militaires et une poignée de personnages annexes. Le récit se déroule sous la forme d’une traque, d’un mano a mano entre l’armée et la créature duquel découlent les nombreuses destructions. L’originalité tient au fait qu’elles sont davantage dues à la maladresse des militaires qu’à Godzilla lui-même dont l’agilité rend fou le Colonel Hicks et ses séides. Sur ce point, le réalisateur allemand prend le parfait contre-pied des élans pro-américains d’Independence Day où l’armée était magnifiée en sa qualité de dernier et vaillant rempart contre l’ignoble agresseur. Ici, il tend à la ridiculiser, notamment en accentuant son côté borné. Chacune des décisions émanant d’un gradé conduit invariablement à un échec. Les galonnés sont dépeints comme des va-t-en-guerre incapables de la moindre réflexion, ne voyant en Godzilla qu’un envahisseur qu’il faut coûte que coûte bouter hors du territoire. Le salut ne peut venir que de la sphère scientifique, ici représentée par le seul Nick Tatopoulos, les deux autres scientifiques qui lui sont associés ne servant que de décorum. Nick cherche avant tout à comprendre le comportement de Godzilla là où les militaires ne pensent qu’à l’annihiler. Une approche qui lui permet de mieux cerner les priorités dans leur combat contre la bête. Un combat qui se dote d’une portée symbolique puisque Roland Emmerich traite son monstre comme s’il s’agissait d’une catastrophe naturelle. La créature ne serait autre qu’un émissaire de mère Nature venu confronter l’Homme à ses errements.
Godzilla n’est donc plus cette créature mythologique rendue encore plus dangereuse par les retombées radioactives des essais nucléaires de l’armée américaine qui l’ont réveillée mais une simple aberration de la nature engendrée par d’autres essais nucléaires, français ceux-là. Merci Jacques Chirac ! Même s’il n’y a pas à proprement parler de méchants dans le film, Godzilla n’étant qu’une bête apeurée qui cherche avant tout à protéger sa progéniture, la France en prend pour son grade. Sous couvert de son statut de co-vedette du film, Jean Réno incarne en réalité toute la duplicité d’un pays qui tente par tous les moyens de cacher son implication dans cette affaire. Philippe Rocher est un patriote qui n’oublie jamais son devoir, même au plus fort de la menace. Pour Roland Emmerich, l’intérêt de ce personnage est multiple. Tout en dédouanant les américains de toutes responsabilités dans l’affaire, il lui permet d’apporter sa petite touche d’humour coutumière, ici à base de caricatures grossières. Fin gourmet comme tout bon français, Phillipe Rocher n’apprécie guère le café infect et les donuts trop gras que les américains consomment abondamment. Et comme chacun sait, pour se faire passer pour un bon américain, rien de mieux que de mastiquer du chewing-gum. Roland Emmerich a la main lourde mais au moins l’a t-il avec tous ces personnages, lesquels oscillent entre bêtise (les militaires) et arrivisme (le présentateur vedette Charles Caiman) voire cumulent les deux (le maire Ebert). Mais comme il demeure un indécrottable optimiste, il ménage une petite bulle de romantisme au milieu des décombres. L’une de ces romances improbables comme Hollywood les affectionne entre deux anciens amants – Nick et Audrey – que les circonstances réunissent à nouveau. Et comme si leur idylle ne suffisait pas, le passage de Godzilla permet à leur carrière respective de prendre une nouvelle ampleur, justifiant in fine tout ce bazar.
Roland Emmerich a perdu son pari. Loin d’avoir dépoussiéré la figure du monstre, il l’a au contraire totalement édulcorée. Entre ses mains, Godzilla agit comme les extraterrestres d’Independence Day en détruisant tout sur son passage sans véhiculer le moindre message ou générer la moindre vision d’horreur. Et comme lassé par la répétitivité du spectacle proposé, Roland Emmerich délaisse carrément son monstre au profit de sa pléthorique progéniture pour un huis-clos dans les entrailles du Madison Square Garden qui n’est pas sans évoquer le final de Jurassic Park, le savoir-faire de Steven Spielberg en moins. Spectaculaire, le film l’est mais à force de n’être que ça et de pousser le bouchon toujours plus loin, l’intérêt finit par se déliter. Une suite était envisagée, comme en atteste cette fin ouverte, mais compte tenu de résultats plus que mitigés, celle-ci ne verra jamais le jour. Il faudra attendre 2014 pour qu’un studio américain sorte un nouveau Godzilla pour un résultat moins désastreux, tout du moins dans sa représentation du monstre, mais toujours aussi laborieux.
Bonne analyse du film, j’ai bien aimé la petite pique à l’encontre du film de 2014, que j’ai trouvé plus pretentieux que le film de emmerich