Midnight Express – Alan Parker
Midnight Express. 1978Origine : États-Unis
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Lorsqu’il réalise Midnight Express, Alan Parker n’est pas encore le réalisateur éclectique et reconnu qu’il sera à l’apogée de sa carrière. En effet il n’a encore réalisé qu’un seul long métrage, la comédie parodique et musicale Bugsy Malone. Le moins qu’on puisse dire c’est que ce début de carrière ne le prédisposait pas à réaliser une film tel que Midnight Express, œuvre qui se veut fortement politique et engagée en dénonçant les conditions de détention des prisonniers en Turquie. Le film est en effet l’adaptation du livre éponyme dans lequel l’auteur, William Hayes, témoigne de ce qu’il a vécu dans la prison de Sağmalcılar.
Alors qu’il s’apprête à rentrer de son voyage en Turquie en compagnie de sa petite amie, Hayes tente de passer la douane avec plus de deux kilos de haschich. Il est découvert lors de la fouille et condamné à 3 ans de prison par le tribunal d’Istanbul. Mais alors qu’il ne lui reste un peu plus d’un mois à passer dans un enfer carcéral, l’État Turc souhaite faire de Hayes un exemple pour montrer au monde qu’il lutte activement contre le trafic de drogue, et condamne William à la prison à perpétuité…
Alan Parker, alors futur réalisateur des autres films engagés que sont Birdy (sur les séquelles de la guerre du Vietnam) ou Mississipi Burning (qui dénonce les actes du Ku Klux Klan), est persuadé que le cinéma a un rôle politique à jouer. Mais si son film est finalement parvenu à avoir un retentissement international qui a aboutit sur des accords d’extraditions entre la Turquie et les États Unis, c’est moins en poussant les gens à la réflexion qu’en jouant sur la corde sensible. Le scénario, signé par Oliver Stone et William Hoffer, se base sur le témoignage direct de la “victime” et adopte donc uniquement le point de vue de Hayes afin de rendre le film plus poignant. De même, les scénaristes se permettent quelques écarts à la réalité afin d’accentuer le caractère dramatique et injuste des mésaventures turques du jeune américain. Ces quelques écarts ne concernent toutefois que des points de détails qui ne changent ni la trame principale de l’intrigue ni la portée que peut avoir ce témoignage. De plus le fait de miser sur l’impact émotionnel d’une telle histoire constitue un choix pas moins honorable qu’un autre. Mais on peut tout de même regretter que ce choix s’accompagne d’un usage parfois agaçant de grosses ficelles dans le scénario et la mise en scène, qui viennent quelque peu desservir le propos du film. Ainsi le scénario insiste beaucoup sur la séparation du héros avec sa copine (qui n’était en réalité pas présente lors de l’arrestation de William Hayes) en utilisant l’imagerie larmoyante du couple brutalement séparé. Ce qui revêt un coté mélodramatique un peu trop appuyé là où il aurait mieux valu insister sur la disproportion entre le délit et la peine.
De son coté, Alan Parker joue à fond la carte de l’identification du spectateur au héros via sa mise en scène. Ainsi dès le début, le scène de l’aéroport arrive à créer un effet de suspense en incorporant les battements de coeur du personnage principal dans la bande son. Le procédé est assez artificiel, pourtant cela fonctionne plutôt bien, puisque cette bande son, alliée à des cadrages serrés sur les regards de William et des douaniers, parvient à créer assez rapidement une tension réelle alors même que l’issue de la scène est connue des spectateurs. Tout au long du film, la bande son sera utilisée de la même manière, c’est à dire comme une sorte d’amplificateur émotionnel, la musique venant sans arrêt illustrer les émotions que le personnage principal, et théoriquement le spectateur, ressent. A ce petit jeu, Alan Parker se montre tout à fait compétant, voire même particulièrement doué…
Toutefois, au début du film, cette identification du spectateur au personnage principal se heurte à un écueil conséquent: la relative stupidité du héros. En effet, si l’idée de passer la douane turque avec deux kilos de drogue sur soi peut paraître stupide, que penser alors de sa fuite éperdue dans une ville qu’il ne connaît pas après avoir fait croire aux forces de police qu’il coopérait? En plus d’être stupide, le héros est clairement coupable et on est en droit d’émettre des doutes quant à “l’excuse” fournie par son manque manifeste d’intelligence. Dès lors difficile d’éprouver un quelconque sentiment d’injustice à l’égard de ce petit trafiquant qui s’est bêtement fait prendre.
Heureusement, le scénario se montre plus malin que ça, et passé cette introduction, Parker installe une ambiance assez lourde qui parvient à parfaitement illustrer la longueur de la peine. La vie de la prison nous y est décrite très théâtralement, et le film insiste beaucoup sur le chaos et la corruption qui semblent régir le quotidien des détenus. L’intérieur de la prison constituant en une sorte de micro société ou toute idée de solidarité semble inexistante, et où l’autorité des gardiens se mue souvent en sadisme. Assez complaisant, le film n’hésite pas à montrer dans le détail les sévices qu’on inflige aux détenus rebelles. Coups de bâtons et humiliations sont monnaie courante. Mais finalement la vraie force du film c’est cette langueur, cette impression qu’en prison le temps se fige pour ne plus s’écouler. Bien plus que les scènes de sévices et de violences, c’est l’impression d’être coincé et englué par la bureaucratie et la loi qui marque le spectateur. Et si l’injustice de la situation du héros n’était pas manifeste au début, elle le devient de plus en plus. Alors que son quotidien est rendu infernal par les conditions de vie dans les cellules insalubres, le héros se raccroche comme il peut aux maigres espoirs de sortie qu’il a, et aux quelques amitiés qu’il noue avec d’autres détenus. Espoirs qui seront chaque fois trompés, rendant la situation du personnage principal toujours plus insupportable au spectateur. Construisant un lent crescendo où l’espoir s’amincit chaque fois d’avantage, le réalisateur parvient à créer une atmosphère très sombre, accentuée encore par les décors bruns sales de la prison, et le film devient petit à petit véritablement étouffant.
Indéniablement efficace et finalement plutôt bien construit, Midnight Express n’est pas pour autant un film réussi. En optant pour cette théâtralisation, le film dénonce certes une injustice réelle et regrettable, mais il le fait avec maladresse et exagération. En effet tout cet arsenal de techniques cinématographiques dignes des meilleurs thrillers hollywoodiens rend le film tout à fait impressionnant, mais manque beaucoup de subtilité et de recul. Hors ces qualités sont indispensables pour susciter une vraie réflexion chez le spectateur, ce que devrait faire toute œuvre qui se veut politique.