Messe noire – Eric Weston
Evilspeak. 1981Origine : Etats-Unis
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Au XVIème siècle, le père Esteban (Richard Moll) est exilé d’Espagne vers le Nouveau Monde pour ses pratiques satanistes. De nos jours, le nouveau monde est devenu les Etats-Unis, et la chapelle d’Esteban a été oubliée, reléguée dans les sous-sols labyrinthiques de la plus respectable chapelle d’une académie militaire. Forcé de mettre de l’ordre sans ces couloirs obscurs, Stanley Coopersmith (Clint Howard), le souffre-douleur de l’académie, va retrouver la chapelle sataniste et tenter d’invoquer le Diable pour punir tous les fils à papa qui se payent sa tête.
Oh, certes, une telle histoire ne paye pas de mine. Coincé entre Carrie et La Malédiction à une époque où le slasher prenait son envol, réalisé par un débutant, Messe Noire aurait pu n’être qu’une série Z de plus. Surtout que plusieurs éléments de son scénario peuvent faire tiquer : le remplacement d’un livre de magie noir par un ordinateur descendu dans le sous-sol, le vocable stéréotypé des incantations, l’attaque d’une fille dans sa douche par une meute de porcs en colère, sans compter le sempiternel acharnement sur la tête de turc, qui aboutit généralement à tourner un peu plus en dérision un pauvre bougre qui ne demandait que la compassion. Malgré son budget réduit le forçant à avoir recours à des porcs pas très convaincants dans les plans d’agressions, Eric Weston évite tous ces écueils en se gardant bien de tout humour et en développant un minimum ses personnages. Pour Stanley Coopersmith, il choisit bien un acteur au physique ingrat (Clint Howard, frère de Ron et lui aussi ancien de chez Roger Corman) mais il attribue une vraie raison à sa mise à l’écart. Orphelin placé dans cette académie militaire pour de sombres raisons sociales déplorées par les administrateurs gradés, il n’est pas comme les gosses de riches qui ont fait la réputation de la maison. Son principal tourmenteur est d’ailleurs le fils du Sénateur, qui avec ses petits camarades n’hésite pas à rappeler à Stanley que personne n’est là pour venir le voir, et qu’il peut donc zapper les fêtes collectives sans inquiéter personne. Les camarades de Stanley sont soutenus en douce par le coach de leur équipe de foot (ou plutôt de soccer), qui aimerait bien que Stanley, décidément trop mauvais, ne participe pas au prochain match. Le règlement l’oblige pourtant à l’aligner à un moment où un autre du match, mais si d’aventure la brebis galeuse venait à se blesser… Cette académie est régie par un mode de pensée aristocratique d’un autre temps, comme en témoigne le discours du chef de l’établissement, un Colonel qui regrette à demis-mots que la sélection ne se fasse plus comme naguère, selon la position sociale. L’armée, “colonne vertébrale du pays”, est bien trop glorieuse pour être confiée à des pauvres types comme Stanley. Cette suffisance que l’on retrouve chez tous les élèves ainsi que chez le personnel (le révérend, les profs, la secrétaire du Colonel…) s’exprime par la vanité d’avoir formé un nombre de haut gradés, par l’élection profondément machiste de “miss artillerie lourde” (!) et puis bien sûr par le rejet de Stanley, qu’on confine dans les noirs sous-sols sous le contrôle d’un sergent alcoolique. La noirceur de ce sous-sol reflète bien l’opinion que se font de la plèbe tous ces réactionnaires vivant en vase clos. Seul un homme à tout faire et dans une moindre mesure un élève à la peau noire témoignent de la sympathie pour Stanley, le premier lui permettant même d’adopter un chiot et de l’élever dans le sous-sol… jusqu’à ce que le fils du Sénateur et sa bande (moins leurs petites amies, qui bien entendu n’ont pas leur mot à dire) ne le trouvent et le massacre. Le satanisme apparaît donc comme la seule issue de secours à Stanley, qui adopte les rites de feu père Esteban davantage sous le coup de l’impulsion que par une vraie croyance. L’adoration de Satan offre à lui la vengeance sur ce monde à deux vitesses, et le souffre-douleur de s’identifier à Esteban, lui aussi exclu par une société inquisitrice…
Avec toute l’installation de ce contexte, l’argument purement fantastique tarde à arriver. C’est que Stanley hésite encore un peu, notamment sur l’apport du dernier ingrédient dans le rituel apte à réveiller Satan : du sang humain. Weston affiche tout de même de belles promesses : une plongée au milieu des porcs furieux dans un enclos boueux, des écrans d’ordinateurs qui s’emballent (on dirait un jeu vidéo !), le développement de l’atmosphère noire et satanique du sous-sol, qui contraste avec le modernisme de l’académie, et puis cette agression des porcs sur la secrétaire, plutôt gore (les entrailles de la dame sont de sortie !). C’est autant en donnant de la substance à son histoire qu’en n’envoyant pas immédiatement ses hordes sataniques aux fesses de ses personnages que Weston parvient à éviter le Z. Il permet à la tension de s’accumuler, et de la faire exploser dans un final anthologique, véritable carnage commis par Stanley (possédé par Esteban) dans la chapelle de l’académie. Pris au piège, les élèves et professeurs se font dévorer par les porcs, grillent dans les flammes et se font décapiter par leur ennemi, qui reste dans les airs et avance lentement, un peu à la manière du Leviathan plus tard utilisé dans Hellraiser II. L’enfer prend possession de la chapelle depuis le sous-sol (reflétant ainsi la cosmographie chrétienne), Esteban se venge de la religion qui l’a exclus et Stanley assouvit sa propre vengeance. Carrie n’a qu’à bien se tenir ! Messe noire est assurément l’une de ses meilleurs copies. Encore un film injustement oublié.