L’Homme qui rétrécit – Jack Arnold
The Incredible Shrinking Man. 1957Origine : États-Unis
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Scott Carey et son épouse goûtent une semaine de vacances bien méritées à bord d’une modeste embarcation. Le soleil resplendit et ses rayons réchauffent les cœurs. Tout se déroule à merveille, et même le curieux brouillard qui submerge Scott ne suffit pas à ternir le tableau. Ce n’est que six mois plus tard que ce dernier se noircira, lorsqu’il paraîtra évident que Scott rétrécit à vue d’œil.
La miniaturisation de l’être humain n’a eu de cesse de fasciner le petit monde du cinéma. Des êtres humains à la taille lilliputienne apparaissent occasionnellement au sein de la production cinématographique. De La Fiancée de Frankenstein au Dr. Cyclops, en passant par Les Poupées du diable, le lilliputien apparaît tour à tour simple ornement d’une histoire aux enjeux différents, victime des noirs desseins d’un illuminé, ou bien simple outil d’une basse vengeance. En s’appuyant sur le scénario que Richard Matheson a tiré de son propre roman, Jack Arnold aborde la miniaturisation de l’homme sur un mode plus réaliste.
Scott Carey ne rétrécit pas du jour au lendemain. Sa transformation s’effectue progressivement, ce qui la rend d’autant plus insupportable. Publicitaire dynamique et plutôt bien de sa personne, Scott vit beaucoup du regard des autres. Son travail nécessite qu’il séduise ses interlocuteurs, à la fois par ses idées, mais aussi par sa manière de les présenter. Cela requiert une forte assurance qui naît de l’image qu’il projette. Scott aime lire du respect dans le regard de ses interlocuteurs, et du désir dans celui de son épouse. Une épouse bien dans la tradition des femmes des années 50, qui garde le foyer et apporte un soutien indéfectible à son époux. Plus Scott rapetisse, plus le regard que les gens portent sur lui change. Et ça lui est intolérable. Jack Arnold procède méticuleusement pour bien rendre compte de chacune des étapes qui jalonnent la transformation de Scott.
Tout démarre de façon anodine : des vêtements sur mesure subitement trop grands, une épouse qui n’a plus besoin de se hisser sur la pointe des pieds pour embrasser son mari, autant d’indices d’un malaise naissant. Scott multiplie les visites à son médecin, jusqu’à ce que ses impressions trouvent enfin un réel écho : il rapetisse bel et bien. Ce constat, aussi terrible qu’attendu, entraîne l’effondrement progressif de son petit univers. Réduit à la taille d’un enfant tout en gardant son corps d’adulte, Scott perd son travail. L’homme reste intellectuellement le même, mais son allure physique ne correspond plus à certains impératifs de son métier. Son employeur, qui est aussi son frère aîné, ne peut plus le maintenir à son poste. Uniquement jugé sur le physique, Scott n’inspire plus la confiance nécessaire pour inciter un client à investir, alors même que ses qualités demeurent intactes. Ceci marque la première cassure avec son existence passée. Sans revenu et acculé financièrement, Scott est contraint de vendre son histoire à la presse pour assurer à son couple quelques rentrées d’argent. Vivant déjà très mal son état, les choses ne font qu’empirer une fois que la presse s’empare de son histoire. Il devient une bête curieuse que tout le monde veut interroger, voir et photographier. Sa vie ne lui appartient plus, et il souffre de plus en plus de sa condition. Il se renferme petit à petit sur lui-même, devient irascible, et il s’en prend constamment à son épouse, alors qu’elle reste fidèle au poste, et le soutient tant qu’elle peut. En fait, il ne supporte plus son inactivité et la nouvelle image qu’il transmet. Il est blessé dans sa virilité, lui qui devient plus fragile à mesure qu’il décroît. Il a perdu sa position dominante au sein du couple et il le vit très mal. Et, par delà sa vie de couple, c’est sa place dans la société qu’il a perdue. Son unique contact avec le monde extérieur se résume à une jeune femme naine qu’il a rencontrée lors d’une escapade. Avec elle, il se sent à nouveau vivant. Non pas par la façon optimiste qu’elle a de voir les choses, mais parce qu’avec elle, il traite d’égal à égal. Mieux, il est plus grand qu’elle. Pour un temps, il retrouve l’homme qu’il a été.
Toute cette partie, la moins spectaculaire, constitue le meilleur d’un film qui change radicalement de ton à partir du moment où Scott est devenu suffisamment minuscule pour entrer dans une maison de poupées. Du drame, L’Homme qui rétrécit vire à l’aventure à taille microscopique. De la stature de Tom Pouce, Scott est amené à se débrouiller seul dans l’immensité de ce qui n’était auparavant que sa cave. Chat, araignée, représentent des dangers inédits mais bien réels. Petit à petit, la réflexion laisse place à l’instinct. Il se mue en animal, devant se battre pour se nourrir. Il en vient à accepter sa nouvelle condition et fait le deuil de son autre lui. Lors de cette deuxième partie, Jack Arnold égrène les séquences obligées de ce genre de sujet, sans parvenir à leur donner un souffle nouveau. Sur le plan des effets spéciaux, L’Homme qui rétrécit ne révolutionne en rien ce qui a pu être fait par le passé dans des films comme ceux cités plus avant. Sa force, L’Homme qui rétrécit la tire de sa minutieuse description du désarroi d’un homme qui perd pied à mesure qu’il se rapproche du sol. Conformément à son époque, la radioactivité est désignée comme la cause unique de l’état de Scott. Mais ici, personne n’est pointé du doigt. Le calvaire de Scott se veut apolitique et, toutefois, porteur d’espoir. Plutôt que se lamenter sur son existence réduite à néant, Scott s’ouvre à sa nouvelle vie avec ferveur et une grande curiosité. Tout petit qu’il soit, il existe, et rien que pour ça, cela vaut le coup de s’accrocher à la vie. Un message que l’on peut trouver un brin naïf, mais qui confère tout son charme au film.