CinémaHorreur

La Fiancée de Frankenstein – James Whale

fianceefrankenstein

Bride of Frankenstein. 1935

Origine : Etats-Unis
Genre : Horreur
Réalisation : James Whale
Avec : Boris Karloff, Colin Clive, Ernest Thesinger, Elsa Lanchester…

Quoiqu’aujourd’hui considéré comme un classique, au point que même la bibliothèque du congrès américain l’ait intégré à ses listes de films “d’importance culturelle, historique ou esthétique”, le Frankenstein de James Whale ne fut perçu à sa sortie que comme un simple film d’horreur, même avec des critiques positives. Et qui dit film d’horreur dit film populaire et recettes faciles. D’où la volonté d’Universal, alors en plein développement, de tourner une séquelle au chef d’œuvre de James Whale, quand bien même celui-ci jugeait son film comme se suffisant à lui même. Toutefois, Carl Laemmle Jr., patron du studio, n’était pas aussi impatient que certains producteurs récents, et il fut bien conscient de la nécessité de garder le même réalisateur et la même équipe. Ainsi, il toléra le marchandage de James Whale (la séquelle contre la liberté de tourner le drame conjugal Sur l’autre rivage) et ses fréquentes demandes de réécriture du scénario, tant et si bien que la séquelle tant attendue depuis 1931 ne vit le jour qu’en 1935. Le jeu en valut la chandelle, puisqu’outre un autre succès commercial, James Whale fournit à la Universal une œuvre qui allait passer à la postérité autant du point de vue populaire (Jack Pearce répétant ses prouesses pour rendre indissociable Boris Karloff et la créature qu’il incarne) qu’académique (retenu à la bibliothèque du congrès comme son prédécesseur) ou cinéphilique (on ne compte plus les films inspirés de La Fiancée de Frankenstein).

Qu’a donc fait James Whale pour transformer une séquelle qu’il ne voulait pas faire, l’estimant redondante vis à vis du premier Frankenstein, en un film qui pour pas mal de monde surpasse ce glorieux prédécesseur ? Et bien il a tout simplement repris plusieurs éléments du livre de Mary Shelley en les raccordant au dénouement de son Frankenstein sur lequel La Fiancée de Frankenstein vient d’ailleurs se greffer presque directement. “Presque”, car à l’instar du premier film, qui s’ouvrait sur la présentation de l’histoire par un forain illustrant l’image de “monstre de foire” de la créature, la séquelle a recours à une nouvelle introduction, qui cette fois nous présente les époux Shelley et Lord Byron (la fine fleur du mouvement romantique anglais) en train d’évoquer le roman de Mary Shelley par une nuit d’orage. Whale fait comme si son premier film avait été parfaitement fidèle au roman, et cette introduction qui s’achève par le récit de Mary inventant une suite aux évènements déjà racontés permet de lier ce qui va suivre à ce qui a précédé. Ainsi, Whale affirme d’emblée que l’inspiration de cette séquelle se trouve non pas dans son propre imaginaire mais bien dans le roman qu’il était censé avoir déjà adapté.

Par le biais des dialogues, on peut également percevoir que cette seconde couche se rapprochera davantage d’un thème central au roman mais qui fut largement ignoré en 1931 : l’idée de défi lancé à Dieu au nom de la science. Malgré tout, là encore, la fidélité au livre de Mary Shelley n’est pas pointilleuse. La Fiancée de Frankenstein représente un modèle parfait pour l’adaptation de la littérature à l’écran : ne recherchant jamais à suivre scrupuleusement le déroulement du récit littéraire et se refusant également à tout transformer, Whale ne retient que ce qui lui plait, et l’agence de manière à respecter et Mary Shelley et lui-même, avec ses propres motivations. Ainsi, le duo de films peut apparaître comme un tout (en faisant sauter les introductions, les deux films s’enchaînent sans ellipse ni temps mort puisque le début de l’un enchaîne sur le dénouement de l’autre) parvenant à reproduire la profondeur du livre Frankenstein sans pour autant s’être enfermé dans l’exercice vain de la transposition littérale. James Whale n’est pas un simple exécutant récitant sa leçon par cœur : sans lui, sans sa capacité à synthétiser les écrits de l’œuvre adaptée, il y a de fortes chances pour que le binôme Frankenstein / La Fiancée de Frankenstein aurait été une œuvre certes globalement plus fidèle, mais aussi moins authentique pour ce qui concerne les préoccupations de Mary Shelley, que Whale s’est réapproprié comme n’a par exemple pas su le faire Kenneth Brannagh.

L’un des principaux mérites de Whale pour cette séquelle est sans conteste d’avoir repris le personnage de Boris Karloff là où il en était resté après avoir été laissé pour mort dans les décombres du moulin en flammes. Le retour de la créature de Frankenstein n’est pas une résurrection comme celles qui frapperont des personnages comme Freddy Krueger ou Jason Voorhees plus tard, ni même comme celle de Dracula dans les films de la Hammer, qui avaient tous en commun de refaire peu ou prou la même chose entre le nouveau film et le précédent. Ici, la créature continue son chemin de croix face à l’hostilité hystérique qu’elle entraîne. Le film de 1931 nous la présentait sous la facette de la petite enfance : sa violence ne faisait que réagir à celle de son orgueilleux créateur Victor Frankenstein, coupable de l’avoir rejeté dans un monde où l’instinct prime sur la compréhension. Avec son physique disgracieux, avec le handicap de son ignorance sociale, la créature ne pouvait s’intégrer dans cette société. La scène la plus marquante était celle de la petite fille, seule à ne pas avoir été effrayée par la créature. Elle se terminait par la mort de la gamine, jetée à l’eau par la créature qui croyait bien faire en envoyant la délicate gamine à l’eau, comme celle-ci y envoyait ses fleurs tout aussi délicate. Preuve de la grande bonté que le pseudo-monstre ne demandait qu’à exprimer, mais aussi de sa totale inaptitude sociale, imputable à la désertion de Victor Frankenstein face à ses responsabilités. Par la suite, la haine populaire couplée à la politique de l’autruche de Frankenstein faisait de la créature une bête traquée, d’autant plus pitoyable que son corps jugé monstrueux abritait une âme malgré tout innocente, enfantine. La Fiancée de Frankenstein nous montre une créature spirituellement toujours rejetée (par la foule, mais aussi par une bergère esseulée à laquelle elle vient pourtant de sauver la vie), toujours pourchassée et toujours réduite à la violence, seule chose que cette société lui a appris. Mais elle n’est pas encore perdue, et c’est là qu’intervient la scène clef du présent film, faisant écho au passage de la fillette dans le premier film. Il s’agit d’une scène où encore une fois la créature rencontre un potentiel ami. Un vieil aveugle, dont la sympathie pour la créature ne vient pas tant du fait qu’il ne peut percevoir son physique que de la simple présence d’un compagnon, fût-il muet, dans sa vie d’ermite menée apparemment malgré lui. La nuit de leur rencontre est certainement le moment le plus intense du film, peut-être même plus que le dénouement, compte tenu qu’il règne ici une franche camaraderie, non seulement à l’initiative de la créature mais également de celle de l’ermite, dont la joie est à la mesure de celle de son nouveau compagnon. Ce sont deux marginaux qui ne demandent pas mieux que de rester entre eux, même loin de la société humaine, et qui expriment avec leurs faiblesses (le monstre muet et l’aveugle très pieux) leur joie imprévue, et dans le cas de la créature jamais ressentie. Que cette rencontre se termine par l’arrivée des villageois en colère ne peut que renforcer la sympathie pour les deux parias en même temps que la haine pour l’intolérance, et parallèlement accroître l’impact émotif d’un film qui se dirige tout droit vers la tragédie.

Au sein de cette tragédie, Victor Frankenstein, le scientifique mégalomane et irresponsable, le véritable coupable des meurtres de sa créature, occupait une place de choix dans le premier film. Ici, James Whale ne répète pas exactement la même structure : de même que la créature, Victor Frankenstein réapparaît au même point émotionnel où nous l’avions laissé. Il continue à se voiler la face en rejetant sa responsabilité, même si au fond de lui cette lâcheté repose sur une fierté mal placée. Son implication dans le second film découle de la présence d’un autre scientifique, le docteur Pretorius, qui l’invite puis le contraint à participer avec lui à la création d’une autre créature, qui cette fois, en mélangeant leurs deux travaux, aboutirait à un résultat parfait. Pretorius est en quelque sorte ce que Frankenstein serait devenu si sa première expérience n’avait pas aussi mal tourné : c’est un homme tellement imbu de lui-même et tellement fanatique dans sa volonté de se prendre pour Dieu qu’il a accepté le rejet de la société. Il est donc moins humain que la créature de Frankenstein elle-même, qui ne s’est certainement pas auto-exclue du monde des hommes. Pretorius est d’ailleurs le seul à s’en être rendu compte, mais son cynisme le pousse à avoir recours à une forme de mépris que la créature n’avait encore jamais rencontré : la tromperie, ce qui accentue encore la pitié que l’on éprouve pour le personnage de Boris Karloff, amené à collaborer avec Pretorius qui lui fait miroiter la présence d’une future compagne en échange de “pressions” sur Victor Frankenstein pour l’inciter à se remettre au travail. Pressions qui prennent la forme de l’enlèvement de l’épouse Frankenstein et qui seront perçues par le “monstre” lorsque celui-ci se sera rendu compte de la tromperie dont il a été victime. L’humanité de cette créature aura été démontrée jusqu’au bout : oubliant l’infamie dont elle fut victime auparavant, elle cernera le malheur ressenti par le Baron Frankenstein et préférera lui venir en aide plutôt que de se venger.

Une leçon d’altruisme toute en subtilité et en non-dits, reposant en grande partie sur l’interprétation encore une fois exceptionnellement délicate de Boris Karloff, qui par ses gestes et ses regards parvient à humaniser une créature lourdaude et encore plus amochée que dans le premier film, du fait des blessures infligées lors de l’incendie du moulin. Au stade du dénouement, elle est pourtant capable de prononcer quelques mots appris auprès de l’ermite (ce qui prouve d’ailleurs le rôle décisif de l’attention et de l’éducation que Frankenstein refusa d’assumer), mais rien ne vaut le jeu physique de Karloff, qui s’opposa en vain à ce don de parole auprès de James Whale. Plus que la possibilité de parler, c’est bien l’apprentissage de la camaraderie qui a prévalu durant la seule nuit passée en compagnie de l’ermite : c’est de là qu’est née l’envie de la créature de disposer d’une compagnie permanente. Une fois ce contact social initié, elle ne peut l’oublier, et compte tenu de sa naïveté c’est donc fort logiquement qu’elle cède aux promesses de Pretorius sur une compagne semblable à lui. La fameuse fiancée est cependant prévue par le scientifique pour être un succès esthétique, qui au contraire de la première créature ne serait pas livrée à elle-même mais retenue en captivité comme le sont les humains miniatures déjà conçus par Pretorius. Et, outre le fait qu’on peut légitimement se poser la question du devenir réel de la créature de Frankenstein -il est probable que Pretorius s’en serait débarrassé, surtout que Victor Frankenstein lui-même ne demandait que ça- le résultat final aboutit à quelque chose d’encore plus tragique pour cette créature qui sera restée en dépit de tout le seul héros du film, réduisant sa compagne qui ne le sera jamais à la portion congrue. Car plus aboutie que son prédécesseur, la fiancée affiche en effet la même répugnance pour le “monstre” que ne le font les humains, et le plonge alors dans un désespoir noir, d’où émergent la tristesse (et même une discrète larme, pendant négatif de la larme d’espoir versée chez l’ermite) ainsi qu’une colère qui ne le prive pas de faire la part des choses : sa rébellion n’est pas adressée contre sa fiancée, il sait trop bien que celle-ci ne peut rien aux sentiments qu’elle éprouve, ni même contre le pantin Frankenstein victime d’un chantage, mais bien contre Pretorius et sa félonie, qui ferait passer pour presque humaine la haine des villageois, qui au moins n’était pas réfléchie.

Aussi incomprise que dans le premier film, la créature de Frankenstein s’agrémente ici d’une aura angélique, et même christique. Le sous-texte religieux est évident, et culmine lors de la traversée d’un cimetière, alors que la créature tente de libérer un Christ sur une croix. Elle était apparue précédemment chez l’ermite, non seulement parce que l’Ave Maria constituait la musique jouée lors de cette scène, mais aussi parce que l’ermite est lui-même un homme très pieux, remerciant Dieu pour l’ami qui vient d’arriver, et que leur rencontre s’effectue sous un crucifix pendu au mur. Ajoutons à cela des références moins ouvertes, par exemple en début de film la longue fuite de la créature pourchassée et les diverses tortures qui lui sont imposées, qui ne sont pas sans évoquer la passion du Christ. Impossible toutefois de taxer La Fiancée de Frankenstein de film pour bigots : le parallèle avec le Christ se fait sous la forme d’une amère ironie, puisque les deux êtres les plus bons qui soient sont des exclus, des martyrs, lâchés ou combattus par une société qui se targue justement de défendre la bonne morale. C’est en quelque sorte la religion de Pretorius qui a triomphé dans les esprits, et qui se complait dans une attitude inquisitrice. A travers cette vision religieuse, Whale pourfend toute l’hypocrisie, l’étroitesse d’esprit et le refus de compassion contraires au principes chrétiens fondateurs mais qui sont pourtant de mise dans l’Amérique des années 30, alors que s’annonçait le code Hays. Signalons que l’histoire lui donna raison, puisqu’à sa sortie, La Fiancée de Frankenstein fut censurée plus ou moins vertement, et dans certains cas les lobbies religieux exigèrent que les scènes réunissant dans le même plan la créature de Frankenstein et les représentations religieuses soient expurgées.

Cruelle ironie pour un film qui ne remet pas en question l’existence de Dieu, mais uniquement les croyances terrestres et leurs applications d’un point de vue qui se veut plus agnostique que farouchement athée, à l’image de la créature prenant la peine de comprendre les motivations de Victor Frankenstein (le créateur) dans les plans de Pretorius (le “prêcheur” des travaux du créateur) . Au-delà des conceptions religieuses, desquelles découlent tout de même beaucoup de choses, surtout aux Etats-Unis, c’est toutes les formes d’ostracisme qui peuvent être incarnées par la créature de Frankenstein. Certains ont mis en avant l’homosexualité de Whale et de plusieurs membres de son équipe, mais il serait trop réducteur de se contenter de cela : toute forme de stigmatisation se retrouve incarnée dans la figure universelle de Karloff, et les villageois peuvent aussi bien représenter le Klu-Klux-Klan pourchassant un noir une torche à la main. L’analyse des réactions entraînées par ces pratiques discriminantes se fait de façon mesurée, et les répliques violentes du faux-monstre, de moins en moins évidentes après sa rencontre avec l’ermite, ne sont pas érigées en actes révolutionnaires, mais bien en temps que légitime défense, que la créature elle-même regrette de devoir employer. C’est ce qui fait toute la naïveté mais aussi toute la beauté d’un film qui avec son prédécesseur forme une œuvre extrêmement en avance sur son temps (le western mettra par exemple encore de nombreuses années avant de se sortir de la vision primaire des gentils pionniers contre les indiens sauvages) et qui ne sera jamais démodée.

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