Les Clowns tueurs venus d’ailleurs – Stephen Chiodo
Killer Klowns from Outer Space. 1988Origine : États-Unis
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Alors qu’ils se bécotaient au sommet d’une colline, Mike et Debbie (Grant Cramer et Suzanne Snyder) voient passer une sorte de comète qui semble s’être écrasée non loin de là. Ils partent à la recherche du point d’impact et trouvent… un chapiteau de cirque. Ils y entrent, découvrent un décor stupéfiant, et tombent sur des espèces de barbes à papa qui après une observation plus minutieuse s’avère contenir des cadavres. Les tourtereaux sont alors pris en chasse par des clowns armés de mauvaises intentions et de fusils à pop corn. Ils parviennent à s’échapper, et vont de ce pas prévenir Dave (John Allen Nelson), flic du cru et ancien petit ami de Debbie. Lequel, sceptique, décide de ramener Debbie chez elle et d’aller au chapiteau avec Dave. Mais pendant ce temps là, les clowns ont investi la ville et commencent leur récole de barbes à papa.
Lorsqu’un responsable d’effets spéciaux ou de maquillage tente sa chance comme réalisateur, difficile d’anticiper le résultat. Simples artisans, ces techniciens sont généralement très peu consultés sur l’aspect artistique d’un film. Mais en règle générale, ils démarrent en centrant leur premier essai sur ce qu’ils maîtrisent le mieux. C’est ainsi qu’un Tom Savini bien connu notamment pour son travail sur Zombie ne se foula pas beaucoup en remakant La Nuit des morts-vivants. C’est ainsi que le pourtant primé Stan Winston ne vit pas plus loin que le monstre du Démon d’Halloween. Quant à John Carl Buechler, son passage à la réalisation ne fut guère plus qu’une promotion en interne venant récompenser sa fidélité à la firme Empire de Charles Band, qui de toute façon misait toujours sur des films à effets spéciaux ou de maquillages. Pour leur part, les trois frères Chiodo n’avaient pas -et sans leur faire injure- un palmarès époustouflant. Une participation commune à L’Épée sauvage d’Albert Pyun et aux deux premiers Critters, tels étaient les sommets de leur CV. Il n’y avait donc a priori pas grand chose à attendre de leur première réalisation, une autoproduction au budget réduit de 2 millions de dollars, très largement investi dans les décors et les effets spéciaux.
Pour le scénario, rien de bien novateur : un film de monstres évocateur de la science-fiction des années 50 et plus particulièrement du Blob de Irvin Yeaworth Jr (1958). Killer Klowns from Outer Space démarre de la même façon que lui, avec le passage d’une comète, la mort d’un paysan arrivé le premier sur les lieux et se poursuit à l’identique, avec la survie in extremis d’un couple de jeunes qui s’évertueront à avertir la population pendant que le péril extra-terrestre ronge la ville. Le choix du Blob comme influence principale -car il y en a d’autres- n’est aucunement fortuit. D’une part parce que le Blob, en tant que monstre gélatineux informe, est ce qui ce fait de plus improbable. Bien que les Chiodo en soient conscients, ce que Yeaworth Jr n’a probablement pas été, des clowns tueurs venus de l’espace le sont tout autant. D’autre part parce que Le Blob était l’un des films le plus typiquement “50s” du fait de la présence de couleurs pastels donnant vie aux décors particulièrement représentatifs (un drive in, un cinéma, un restaurant…) de cette époque tellement synonyme d’insouciance et de nouveauté qu’elle en apparaît aujourd’hui irréelle, voire factice. Killer Klowns n’a pas d’autre ambition que celle là : miser avec force sur ce côté “toc”, y compris dans sa chanson générique, un air de cirque joué par les punks du groupe Dickies. Les Chiodo ont bien entendu une démarche parodique, mais sans toutefois en faire des tonnes. C’est davantage ce que Le Blob représente que le film en lui-même qui est visé, ou plutôt utilisé pour sortir en 1988 un film d’horreur comique aux allures et à la tonalité décalées.
Les personnages, les trois frangins s’en soucient peu. Bien qu’ils aient eux aussi un rôle à jouer dans la comédie -essentiellement les frères Terenzi, amis imbéciles des héros-, ils ne sont là que pour faire avancer le récit selon un mode bien connu et qui n’a guère évolué depuis les années 50. Mais ce qui en d’autres circonstances (celles des slashers, par exemple) constitue un pêché de facilité est ici justifié. Car de quoi auraient eu l’air de véritables personnages au milieu d’un cirque de l’espace ? A des fins de cohérence, Steve, Debbie, Dave et les Terenzi doivent se fondre dans le moule. Ils doivent eux aussi paraître factices et se montrer dignes des clowns tueurs, véritables vedettes du film dont on se débarrasse en cassant leurs nez rouges. Responsables bien entendu de leur création, Charles, Edward et Stephen Chiodo ont dû beaucoup s’amuser à donner vie à ces humanoïdes difformes, semblables à des personnages de cartoons. Il y en a des grands, des petits, des rigolos, des inquiétants, des bébés clowns en forme de têtards nés de grains de pop corn et un Clownzilla pour conclure le spectacle. Tous sont en tout cas réussis.
Bariolés au delà du raisonnable, ils sèment la terreur et la pagaille en ville avec une irrévérence soutenue qui n’est pas sans rappeler Gremlins (autre film influencé par le cinéma des années 50). Singeant les gags des clowns terriens, conservant malgré tout une certaine sobriété (ils parlent peu et bougent lentement… n’eut été leurs costumes, on dirait presque des mimes) ils font preuve d’une intarissable imagination pour transformer les gens en charpie afin de les enfermer dans les barbes à papa qui leurs servent de garde-manger. Et les trois réalisateurs de les envoyer aux quatre coins de la ville auprès de différents publics, trouvant à chaque fois une nouvelle idée pour mettre en scène ces mises à morts ubuesques qui n’ont pas grand chose à envier à celles de Freddy Krueger. Il y a le dinosaure en ombres chinoises, le cadavre ventriloque, les tartes à la crème carnivores et diverses armes tarabiscotées. La plupart reposent bien entendu entièrement sur leurs effets spéciaux, permettant aux frères Chiodo de se créer une vaste carte de visite des prouesses dont ils se montrent capables. Mais le point d’orgue est atteint dans leur chapiteau, labyrinthe faits de couleurs enfantines (rose bonbon, vert pomme, bleu électrique…), de formes géométriques fantaisistes, de gags visuels en tous genres qui nous immergent dans un monde tellement postiche qu’il ne peut venir que d’une autre galaxie. Dans son genre bien particulier, ce chapiteau est magnifique. La chocolaterie de Charlie n’a qu’à bien se tenir !
A une époque où la comédie horrifique atteignait les tréfonds de la médiocrité, Killer Klowns fait figure d’exception. N’hésitons pas à dire que c’est ce que cette sous-mode a accouché de mieux. Sous ses dehors de série B bas de plafond, c’est un film très soigneusement conçu par des créateurs d’effets spéciaux qui ne se sont pas pris pour autre chose et qui ont donc tout fait pour que leurs talents constituent l’ossature du film. Le reste est constitué d’un sens de l’humour approprié au concept de “clowns tueurs venus d’ailleurs” et d’une solide connaissance de l’horreur vieille école. Killer Klowns a désormais légitimement acquis une certaine réputation, et il se murmure que les Chiodo -qui n’ont depuis réalisé aucun autre long métrage- pourraient bientôt en faire une séquelle.