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Les Chiens verts du désert – Umberto Lenzi

chiensvertsdesert

Attentato ai tre grandi. 1967

Origine : Italie / France / R.F.A.
Genre : Guerre
Réalisation : Umberto Lenzi
Avec : Ken Clark, Horst Frank, Jeanne Valérie, Hardy Reichelt…

En 1943, ça va bientôt sentir le roussi pour les allemands. Repoussés à El Alamein, en passe d’être défaits à Stalingrad, ils doivent réagir. C’est dans ce but que cinq hommes de l’Abwehr (les renseignements militaires) sont envoyés dans le désert marocain, incognito. Ils ont pour mission d’abattre Staline, Roosevelt, Churchill et De Gaulle qui sont attendus à Casablanca pour une conférence au sommet. Rien que ça. Et ça ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices : traverser le désert est éprouvant, les touaregs ne sont pas très accueillants, et les tensions ne cessent de croître entre le capitaine Schöller (Ken Clark) et le lieutenant Wolf (Horst Frank). En plus de ça, le guide marocain censé mener ces “chiens verts du désert” à Casablanca vient de mourir dans un accident de voiture. Il est tout de même remplacé par Faddja (Jeanne Valérie), sa fille, qui a pris d’elle-même cette initiative.

Coupons court aux suppositions : Les Chiens verts du désert n’est pas du Lenzi lenzien. C’est à dire que l’on n’y trouve pas la fantaisie qui a fait la renommée du réalisateur. Le brave Umberto ne s’était pas encore illustré ainsi en 1967, et le cinéma bis italien était encore fortement marqué par le classicisme inspiré des grosses productions américaines. Le western des Leone, Corbucci et compagnie n’avait pas encore tout à fait renversé les conventions, et Les Chiens verts du désert appartient bel et bien à la vieille école. Lenzi ne cherche pas à réécrire l’Histoire telle qu’elle s’est déroulée, et son film s’ouvre même par une très posée voix off nous plaçant dans le contexte et nous donnant un bref résumé biographique des protagonistes principaux. Il ne fait par conséquent pas l’ombre d’un doute sur l’échec final des chiens verts. C’est justement l’idée centrale du film : la longue et difficile mission de cinq hommes en fait condamnés dès leurs premiers pas dans le désert. Ce dont ils ont tous plus ou moins conscience, y compris ceux qui n’ont pas de rôle décisionnaire et qui font office de personnages secondaires. Les nazis de cette mission n’ont pas grand chose à voir avec les nazis tels que le cinéma nous les montre régulièrement, pour la simple et bonne raison qu’ils sont les principaux protagonistes, et que par conséquent le réalisateur ne peut les ravaler au rang des méchants standards. Esseulés dans un milieu inhospitalier ou immergés derrière les lignes ennemies, reposant sur des contacts dont ils ne peuvent être sûrs des sympathies à l’égard du Reich, embarqués dans un objectif délirant que le capitaine n’ose même pas dévoiler trop tôt à ses hommes (pour des raisons de confidentialité autant que pour ne pas les décourager, sûrement), ils inspireraient presque la pitié en tant qu’hommes utilisés comme de véritables pions géostratégiques. Qu’elle réussisse ou non, leur mission est une mission suicide, et c’est pour cette raison qu’elle a été confiée à Schöller, veuf de très fraiche date qui n’a personnellement plus rien à attendre de la vie. Mais en homme consciencieux il demeure attaché à son pays et tente de mener à bien sa tâche, quitte pour cela à avoir recours à des procédés moralement douteux comme exécuter l’un de ses hommes blessés, devenu une charge inutile. On ne peut pourtant pas dire que Schöller est un assoiffé de sang : il ne s’enflamme pas et ne fait pas preuve de sadisme. Il ne fait que faire ce pour quoi il est employé, sans laxisme mais sans le zèle complaisant des figures nazies traditionnelles. La perspective de la mort ne l’enchante pas et ne le désespère pas. C’est une figure désincarnée principalement victime des ordres venus d’en haut, exploitant son absence de personnalité. On peut considérer que celle-ci est morte avec sa femme. Le lieutenant Wolf, second de Schöller, est d’une toute autre trempe. C’est même le contraire du capitaine. Conscient de l’impossibilité de leur mission, il tente alors de sauver ce qui reste, c’est à dire la dignité humaine, tant de ses alliés que de ses ennemis. Et Lenzi de brosser cette fois un portrait franchement trop naïf pour convaincre. Passe encore que le buriné Horst Frank n’ait pas trop le physique de l’emploi (ce serait même une preuve d’originalité si la naïveté n’était pas si grande), mais on ne peut que rester sceptique lorsque Wolf déclare pompeusement que les actes de Schöller sont contraires aux idéaux allemands, en lesquels il croit honnêtement et non pas comme certains militaires impliqués à reculons avec les nazis, faute d’avoir encore un Kaiser (l’amiral Canaris, justement chef de l’Abwehr qui emploie les chiens verts). Les nombreuses remontrances qu’il fait à son supérieur tendent également à faire passer ce gradé, déjà le plus fragile de la troupe, pour un syndicaliste humaniste bon teint. Wolf n’est clairement pas à sa place dans les forces allemandes, ni dans la guerre… Cela aurait pu faire après tout un bon sujet de film (comment le tribun est extirpé de sa vie pour combattre dans une guerre mondiale), mais ce n’est pas celui des Chiens verts du désert. Par conséquent Wolf est un personnage trop faux, trop “hollywoodien” pour permettre à la confrontation Schöller / Wolf d’être prise avec gravité. Le principe était bon, mais Lenzi n’étant pas Peckinpah (dont le Croix de fer sorti en 1977 traite d’une histoire comparable) il échoue à rendre compte du sujet traité avec la subtilité qu’il mérite. C’est là que l’on regrette que Les Chiens verts du désert soient aussi empreints de classicisme. On n’y échappe pas non plus à l’histoire d’amour platonique entre le gentil Wolf et la guide Faddja, qui fait perdre au film encore un peu plus de punch, du moins en ce qui concerne ses personnages. Une bonne association Milian / Merli avec la participation féminine d’une Rosalba Neri, même sur un mode plus sérieux que dans le polar, voilà qui aurait pu donner quelque chose de plus explosif.

Question guerre, nous sommes là aussi dans le basique, avec un bilan mitigé. D’un côté nous avons une structure scénaristique simpliste, proposant ce qu’il convient d’appeler des péripéties les unes après les autres, et de l’autre nous avons une réalisation solide qui sait tenir compte du fait que nous ne sommes pas à proprement parler dans un film d’action (à part une ou deux scènes, dont un très bel assaut mené par les touaregs dans le désert), mais dans un film relevant davantage de l’espionnage. Les Chiens verts du désert est un beau film, assez classieux malgré son manque de budget, et on ne peut que féliciter Lenzi d’avoir su retranscrire la chaleur du désert par un rythme contemplatif ainsi que le climat d’intrigues de Casablanca via de savants éclairages faisant la part belles aux ombres, contrejours et à l’exotisme. Sur ce point, les méthodes à l’ancienne ont du bon. Par contre, certaines choses ne sont ni à l’ancienne ni à la nouvelle école hollywoodienne, mais bien à la mode du bis italien, jamais très regardant sur la crédibilité (surtout chez Lenzi). Ainsi l’étape du scorpion à la piqûre mortelle en dix secondes qui se précipite sur un blessé était fortement dispensable, de même que les roulés-boulés des allemands à couvert dans un désert totalement plat. C’est ce qui arrive lorsque l’on veut faire un film plein de péripéties pas forcément très utiles au récit : il y en a toujours quelques unes qui sont grotesques, et le sérieux dont se réclame le film ne fait que mettre ces défauts en lumière. Mais, étant ponctuels, ils sont moins gênants que le déséquilibre entre les deux personnages principaux, qui fait rater le coche à ces Chiens verts du désert, film agréable dont le potentiel demeure malheureusement inexploité par excès de conformisme. Un comble pour Umberto Lenzi.

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