Le Saut de l’ange – Yves Boisset
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Le Saut de l’ange. 1971Origine : France/Italie
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La ville de Marseille est le théâtre d’une explosion de violence sur fond de campagne électorale locale. L’entrepreneur immobilier Forestier, qui brigue le poste de député de la majorité, est violemment contesté par la famille Orsini. En guise de représailles, il les fait exécuter un à un. Sauf que le dernier de la fratrie, Louis, s’en sort, au contraire de sa femme et de sa fille. Plutôt que s’abandonner au chagrin, il se lance alors dans une croisade vengeresse que rien ne pourra stopper.
Avec ce quatrième film, Yves Boisset poursuit une carrière encore particulièrement orientée cinéma de genre en adaptant le roman éponyme de Bernard-Paul Lallier, lauréat du prix du Quai des orfèvres en 1968. Un roman dont l’intrigue se déroule dans la cité phocéenne, ville de gangsters et de combines par excellence, et nouvelle plaque tournante du trafic de drogues comme William Friedkin en fera état dans French Connection, sorti la même année que le film d’Yves Boisset. Du pain bénit pour le réalisateur français qui se sert du contexte particulier de la ville pour aborder en filigrane quelques sujets délicats sous couvert – de son propre aveu – d’un film aux allures de bande-dessinée. En atteste le look très Dupont et Dupond de Chan et N’Guyen, les deux acolytes de Louis Orsini.
Comme à son habitude, Yves Boisset ne prend pas de gants. Le Saut de l’ange s’ouvre sur un enchaînement d’explosion, d’exécutions sommaires et de passages à tabac qui nous plonge directement dans une ambiance délétère. Il ne fait pas bon vivre à Marseille. La violence est partout et ses instigateurs ne s’embarrassent d’aucune considération morale. L’homme ciblé se réfugie dans un café ? Plutôt que d’attendre qu’il sorte, ses poursuivants ne se posent pas de question et lancent une grenade à l’intérieur. Et tant pis pour les autres consommateurs ! Même le deuil n’est pas respecté. Au contraire, un enterrement fournit l’occasion rêvée d’éliminer un adversaire coriace à un moment où ce dernier a oublié toute prudence pour s’abandonner au recueillement. Ainsi lancé, le film brille par son nihilisme. Nous avons affaire à des hommes sans foi ni loi qui ne reculent devant aucune bassesse pour parvenir à leurs fins. Loin de contrebalancer cette violence, Louis Orsini s’y fond avec aisance, y participant même activement. Sous couvert de la “légitimité” que lui conférerait l’assassinat de sa femme et de sa fille, toutes deux tuées alors que lui seul était visé, il se lance dans une sanglante vendetta qui tient lieu de démonstration de tristesse. Louis est du genre dur à cuire. Un homme au fort caractère qui se refuse à extérioriser sa peine quitte à paraître insensible. Un bloc de granit que rien n’effrite. Mais à trop charger la mule – Louis perd tout de même coup sur coup ses deux frères, sa femme et sa fille sans que cela ne l’émeuve outre mesure – le scénario tend à desservir le personnage. A force d’affronter le moindre drame avec indifférence, Louis perd ses atours de personnage tragique pour celui de vengeur intraitable et unidimensionnel, en cela pas si éloigné du tueur à gages Henry Di Fusco. Il en résulte un affrontement dépassionné entre Forestier et lui qu’une révélation à mi parcours n’enrichit guère. Tout au plus ajoute t-elle un sentiment de superficialité et de vacuité à cet amoncellement de cadavres.
Le Saut de l’ange a le tort de s’enferrer dans le schéma classique du film de justicier gagnant en efficacité ce qu’il perd en subtilité. Si l’action file droit, s’offrant au passage quelques moments bis, notamment toutes les scènes relatives aux deux sbires thaïlandais, la caractérisation des personnages s’avère des plus sommaires. De manière générale, tout ce qui touche au personnage de Louis se trouve frappé du sceau de la maladresse, à commencer par sa relation avec son vieil ami Mason. Dans le contexte du film, la présence de ce dernier relève davantage de la béquille scénaristique que d’une nécessité. En sa qualité d’ancien compagnon de route de Louis Orsini, Mason embrasse le rôle de la bonne conscience. Tout au long du film, il tente tant bien que mal de ramener Louis à la raison jusqu’à se substituer aux forces de police – qu’il n’a pas manqué de moquer pour leur propension à protéger les puissants sans se poser de question – au cours d’un dernier acte qui fait ostensiblement du pied à la tragédie sans pour autant en trouver le souffle. Il s’en dégage un petit côté” à la manière de”, on pense à Jean-Pierre Melville et Sam Peckinpah, sans le maniérisme du premier ni la mélancolie du second.
Le Saut de l’ange – titre à la signification proprement nébuleuse – marque la fin d’une période. Si en bon polar, le film permet d’aborder quelques sujets qui fâchent, notamment les agissements du SAC, cette association créée pour être au service du Général de Gaulle puis de ses successeurs gaullistes laquelle sera dissoute en 1982 après la tuerie d’Auriol, Yves Boisset ambitionne de se tourner vers un cinéma plus ouvertement engagé. En somme de davantage se concentrer sur le fond tout en donnant libre cours à ses penchants pour l’investigation, renouant ainsi avec son passé de journaliste.