CinémaPolar

La Femme flic – Yves Boisset

La Femme flic.1980

Origine : France
Genre : Seule contre tous
Réalisation : Yves Boisset
Avec : Miou-Miou, Jean-Marc Thibault, Leny Escudéro, Alex Lacast, Jean-Pierre Kalfon.

Parce qu’elle a osé impliquer le neveu du maire au cours d’une enquête, l’inspecteur Corinne Levasseur (Miou-Miou), qui officiait dans le Sud de la France, se retrouve mutée dans une petite bourgade du Nord. Pas vraiment désirée par son supérieur, le commissaire Porel (Jean-Marc Thibault), elle se retrouve d’abord cantonnée à des tâches administratives avant d’être amenée à enquêter sur la mort d’une fillette aux côtés de son collègue, l’inspecteur Simbert (Alex Lacast). Alors que tout semble désigner un ancien médecin marginalisé comme étant le coupable idéal, Corinne Levasseur va mettre à jour un véritable réseau de prostitution enfantine au sujet duquel les principaux édiles de la ville pourraient être mêlés.

Démarrée dans le pur divertissement (Coplan sauve sa peauCran d’arrêt), la carrière d’Yves Boisset prend un tournant plus politique à partir du Condé en 1970, un polar où il dénonce les violences policières. Depuis, il multiplie les sujets polémiques ( la guerre d’Algérie avec R.A.S, l’assassinat de Mehdi Ben Barka dans L’Attentat, etc) et les ennuis qui en découlent mais souvent avec des succès publics à la clé. Époque bénie où les réalisateurs ne cherchaient pas tous à caresser le public dans le sens du poil et pouvaient malgré tout toucher le plus grand nombre. Sans jamais dévier de sa ligne de conduite – même à la télévision où il trouvera refuge après qu’il lui soit devenu impossible de monter les projets qui lui tiennent à cœur au cinéma – il continue d’appuyer là où ça fait mal tout en s’accordant de temps à autre des parenthèses de légèreté (le polar adapté d’un roman de Jean-Patrick Manchette Folle à tuer, la romance du Taxi mauve, par exemple). De légèreté, il n’en est nullement question dans La Femme flic, lequel tire son postulat et son personnage principal d’un sordide fait divers.
Le ton est donné dès le prologue. Faisant fi de tout temps d’exposition, Yves Boisset nous plonge d’emblée dans le sombre quotidien de l’inspecteur Levasseur à base d’enfants maltraités. Dès son entrée dans le cadre, la jeune femme semble en décalage avec les horreurs qu’elle affronte, presque détachée. Elle affiche même un certain désabusement au moment de déclarer à une assistante sociale que c’est leur corporation qui est là pour aider les gens et qu’il incombe aux flics de jouer les pères fouettards. En outre, elle paraît trop fragile pour la fonction, ce que lui renvoie lourdement son collègue plus chevronné en la surnommant avec un brin de paternalisme « la môme ». Ce même collègue qui dans son dos affirme que les femmes ne sont pas faites pour ce métier. Un sexisme sous-jacent qui se prolonge lors de sa nouvelle affectation où son supérieur la relègue au rang de secrétaire sans autre forme de procès. A ces préjugés sexistes s’ajoutent ceux de gauchistes qui ne voient le policier que sous son jour le plus répressif. Quoi qu’elle fasse, où qu’elle aille, Corinne Levasseur doit affronter la défiance des gens, jusqu’à sa logeuse provisoire, une vieille femme acariâtre qui aurait préféré accueillir un homme, moins enclin à cuisiner (les odeurs, ça la dérange). Le cuir solide, elle prend beaucoup sur elle, encaissant les coups sans broncher, avant de sonner la révolte et de dire leurs quatre vérités aux gens quand les choses vont trop loin. Ces airs timides et cette forme de mélancolie résignée dans le regard masquent en réalité une volonté de fer. A ce titre, Corinne Levasseur ne diffère guère des personnages qui peuplent les films du cinéaste. A l’image du juge Fayard (Le juge Fayard dit le shériff – 1977), il s’agit avant tout d’un personnage qui cherche désespérément à ce que la vérité éclate, quelques soient les obstacles qui se dressent devant elle. Mue par un idéalisme inébranlable, elle s’oppose aux injustices de la société avec force et abnégation, seule contre tous, ou presque. Lâchée par sa hiérarchie, aidée à reculons par son collègue l’inspecteur Simbert, Corinne Levasseur ne peut compter que sur le concours d’un syndicaliste au chômage et d’un prêtre-ouvrier. Dans cette ville aux mains d’une seule et même famille depuis des siècles – les Schüller -, La Femme flic prend alors des allures de western. Rien de plus normal chez ce passionné de cinéma américain qu’est Yves Boisset. Néanmoins, il prend bien soin de ne jamais s’écarter des rails de la chronique policière réaliste où la violence ne s’exprime pas tant par des échanges de coup de feu – Corinne Levasseur répugne à user de son arme de service – que par de l’intimidation émanant des puissants de la ville, lesquels peuvent s’adonner à leurs basses œuvres en toute impunité. Ils sont aidés en cela par une police complaisante qui préfère fermer les yeux plutôt que de remuer la merde. Devant l’entêtement de Levasseur, le commissaire Porel aura d’ailleurs ces mots « Dans ce métier, il ne faut pas se faire d’illusions. », symptomatique d’une forme d’acceptation qui confine à la lâcheté. A l’instar de ce qu’il avait déjà démontré dans Dupont Lajoie, la sphère politique n’hésite pas à museler la police afin d’éviter les scandales. Sauf qu’à l’inverse de l’inspecteur Boulard, Corinne Levasseur est prête à aller jusqu’au bout de sa démarche, quitte pour cela à redevenir une simple citoyenne pour pouvoir à nouveau porter l’affaire devant les tribunaux. Le propos du cinéaste est clair : devant la collusion des pouvoirs et des institutions, seule la solution individuelle prévaut. Corinne Levasseur se révèle donc être une héroïne au sens noble du terme, aux convictions fortes et peu sensible aux pressions extérieures.

S’il se prémunit de tout angélisme, Yves Boisset clôt malgré tout son film sur une petite touche d’optimisme. Une lueur d’espoir dans cette cité minière à l’économie déclinante où les magnats locaux maintiennent les masses au silence en tenant fermement les cordons de la bourse, et où l’horreur se tapit derrière les gestes les plus anodins (la livraison d’un enfant par une maquerelle qui prend les atours d’une grand-mère en promenade avec sa petite-fille). Par ailleurs, et sans faire acte militant, Yves Boisset se pose en précurseur en imposant la figure d’une femme flic en tête d’affiche.

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