Le Mystère du Château Noir – Nathan Juran
Le Mystère du château noir. 1952Origine : États-Unis
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Caché sous le faux-nom de Richard Beckett, l’anglais Ronald Burton parvient à être désigné comme invité officiel de la cour du Saint-Empire. A cette occasion, il est convié à participer à une partie de chasse au léopard organisée par le comte von Bruno sur ses terres de Forêt Noire. Pourquoi tenait-il à en être et pourquoi dissimuler sa véritable identité ? Car Burton, ainsi que deux de ses amis, avait contribué à éjecter von Bruno des territoires africains appartenant à la couronne britannique dont il s’était frauduleusement emparés. Depuis cet épisode, les deux amis de Burton ont disparu, et tout indique que von Braun les a attirés dans son “Château noir”. C’est donc une mission à risque qui attend le courageux anglais. Une fois arrivé sur place, il ne sera pas déçu du voyage : von Bruno -qu’il n’avait jamais vu- se comporte chez lui comme il le faisait déjà en Afrique, en véritable tyran ! Sous son joug périclite notamment sa jeune et tendre épouse, la belle Elga… En bon gentleman de sa majesté, Burton / Beckett, aidé par son propre serviteur, se devra aussi de lui porter secours !
Quelque peu anachronique que ce Mystère du château noir qui avec son intrigue gothique, son usage du noir et blanc et la présence au casting de Boris Karloff et de Lon Chaney Jr. fleure les années 30 et 40 à plein nez. Il date pourtant de 1952 et n’est pas dû à des vieux de la vieille : son producteur aussi bien que son réalisateur sont tous deux des novices à leur poste et se feront connaître les années suivantes à travers de bien plus actuelles œuvres de science-fiction. Le premier, William Alland, sera le producteur de classiques comme L’Étrange créature du lac noir et sa première séquelle, Les Survivants de l’infini ou autres Tarantula (pour ne citer que les films de Jack Arnold), tandis que Nathan Juran signera La Chose surgit des ténèbres, Le Cerveau de la planète Arous ou encore L’Attaque de la femme de 50 pieds (pour ne pas citer son film le plus connu, Le Septième voyage de Sinbad). Il faut croire que leur commanditaire, la Universal, ne savait encore pas trop vers quoi se diriger et continuait d’exploiter les vieilles recettes jusqu’à ce qu’une nouvelle mode ne vienne émerger. Le gros studio se montrait plutôt frileux, et c’est ce qui explique certainement que Joseph Pevney, le réalisateur prévu, ait décidé de passer son tour faute de pouvoir remodeler un scénario qui ne lui convenait guère. D’où la promotion inopinée de Nathan Juran, à la base embauché pour être chef décorateur -fonction pour laquelle il était déjà reconnu.
Les Mystères du château noir a donc tout du film issu d’un compromis : d’un côté un studio voulant prendre peu de risques, et de l’autre un réalisateur venu avant tout pour se faire la main avec l’aide de William Alland qui n’avait jusqu’ici jamais été le producteur en chef. Et donc, sans surprise, le film ne brille pas par l’inventivité de son scénario : on y trouve les grandes lignes d’un drame gothique à l’ancienne, avec un château reculé dans la forêt où un potentat local règne d’une main de fer sur des proches soit complices (ici deux nobliaux serviles et une brute épaisse – incarnée par Lon Chaney Jr.-) soit asservis (son épouse et les plus frêles de ses serviteurs -dont le vieux médecin joué par Boris Karloff-). Une sorte de Heathcliff, le charismatique personnage des Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë dont on aurait retiré toute l’ambiguïté. Voilà la plus grande tare de ce Mystère du château noir : une certaine paresse y prédomine, et en tant que film d’aventure il n’y a pas grand chose de notable à signaler, bien que Juran ait essayé de faire illusion en ouvrant son film sur la situation dans laquelle se trouve son héros -en passe d’être enterré vif. Le cœur du film donc illustrer comment les protagonistes en sont arrivés à ce point d’orgue de l’aventure, puis, dans son final, le solutionner. De la poudre aux yeux en bonne et due forme. C’est que le film est en réalité dépourvu de toute finalité : cette pseudo quête de Burton pour retrouver ses deux copains cède bien vite la place à sa croisade pour sauver la comtesse Elga de son malheur (on ne peut guère être plus convenu, ), et il n’y avait pas vraiment lieu d’ouvrir le film sur un tour de passe-passe laissant croire à une histoire façon Edgar Allan Poe. L’investigation dans les sombres couloirs du château noir aura vite cédé la place à des faux-semblants dans lesquels chacun joue son double rôle sans que toutefois le spectateur n’ait à en apprendre davantage. Pour lui, il n’y a pas de mystère au château noir, tous les tenants et aboutissants (bien maigres) sont d’emblée exposés. En panne d’imagination et peu désireux de verser dans le fantastique, Juran ne peut empêcher le film de s’encroûter dans des manigances ourdies en catimini, avec d’un côté les gentils et de l’autre les méchants qui passent leur temps à se jauger avant que les masques ne finissent par tomber, laissant alors la place à moult péripéties qui ne brillent pas par leur crédibilité. D’un point de vue logique, certaines sont même ouvertement absurdes et n’ont ostensiblement que pour but de faire de l’action à peu de frais. Ce qui converge avec la platitude de la romance entre Elga et Burton pour faire du Mystère du château noir un film pantouflard surfant sur les codes du roman gothique, ou plutôt néo-gothique victorien.
Il n’est pas bien difficile de se rendre compte que cette production Universal n’a pas eu d’objectif bien ambitieux. Ceux qui l’ont façonné n’ont pas cherché à outrepasser ce qui leur était demandé, et il s’agit bien d’une œuvre de commande avec un contraignant cahier des charges. Pour autant, Nathan Juran a bel et bien osé ici où là quelques tentatives dignes d’intérêt qu’on pourrait aisément oublier, puisque dans son ensemble le film se satisfait de son conformisme. Mais soyons justes et notons que tout n’est pas à jeter, à commencer par le strict minimum de la part de la Universal -principale pourvoyeuse des classiques de l’épouvante dans les années 30- : son atmosphère aux petits oignons. On en attendait pas moins d’un “château noir” confié aux bons soins d’un chef décorateur et architecte de formation, s’inscrivant dans la lignée de ces esthètes (plus souvent directeurs photo) qui ont gardé le sens de l’image soignée en passant à la mise en scène. Nathan Juran orchestre par conséquent un film classieux qui, tout en évoquant le style “classic monsters” (cimetière, un loup qui hurle, donjon, brume etc…) parvient à retranscrire l’esprit machiavélique de son principal antagoniste à travers le château où il règne : menaçant et tortueux, à mi chemin entre le gothique médiéval et le baroque renaissance. Et ceci avec des éclairages travaillés et des agencements de décors bien pensés. Digne de la Universal des années 30 et qui pour un peu ferait oublier que tout ceci est au service d’une intrigue sommaire ne rendant pas honneur au soin apporté par le réalisateur. Encore qu’à quelques occasions, hélas sans lendemain, certaines scènes se révèlent plutôt hardies. C’est notamment le cas lorsque Juran laisse supposer d’un viol de la comtesse par la brute muette jouée par Lon Chaney Jr. ou encore lorsqu’il laisse s’exprimer sans bride le sadisme du comte, que l’on voit ainsi pousser son médecin à faire souffrir son patient du moment (pourtant un ami de von Bruno) ou encore maltraiter le léopard qu’il s’apprête à chasser. De quoi penser que von Bruno avait le potentiel pour aller au-delà du vilain d’opérette borgne qu’il tend à être : profondément sadique, insensible et retors, il avait de quoi défier la bonne morale de son époque. Mais la Universal l’a voulu autrement, et son potentiel se perd dans le duel qu’il mène avec la contrefaçon de héros incarné par Richard Greene. Lequel, précisons, n’est pas en cause : son personnage est tout simplement mal écrit. Comme l’était également celui joué par Boris Karloff, mais qui de l’aveu-même du réalisateur a été relevé par le professionnalisme de son acteur, qui en plus d’avoir été une crème avec l’équipe sur le tournage a enrichi son Dr. Meissen d’une profondeur certes palpable -on le voit notamment lors d’une scène de dialogues, lorsqu’il essaie de convaincre Burton des dangers encourus par Elga- mais malgré tout stérile. Le rôle de Karloff est bien trop secondaire pour pouvoir lui permettre d’influer sur le film.
Sur l’instant, Le Mystère du château noir n’est pas franchement déplaisant : c’est beau, quelques surprises viennent l’épicer et malgré sa ridicule perruque (oui, c’est un film en costume XVIIIème siècle) Boris Karloff est clairement un atout (on n’en dira pas autant de Lon Chaney Jr., sympathique mais engoncé dans le rôle de l’homme de main simplet). Cependant, une fois le rideau tiré, pas grand chose n’est appelé à subsister dans les mémoires à part peut-être celui d’un gâchis (certes de peu d’ampleur). Il en va du présent film comme il en allait lorsque la mode littéraire du gothique était de mise : quelques classiques au milieu de tentatives trop bien disciplinées qui se sont noyées dans la masse. Il était clairement temps pour la Universal de passer à autre chose, ce qu’elle finira bientôt par faire avec L’Étrange créature du lac noir sous la houlette du producteur auquel elle a confié ce Mystère du château noir. Comme quoi, à défaut d’être un succès éclatant (encore que le studio fut suffisamment satisfait pour appeler de nouveau Alland et Juran), ce film méconnu a eu son utilité et a permis a tout le monde de se projeter dans l’avenir.