L’Auberge de la terreur – Bud Townsend
Terror at the Red Wolf Inn. 1972Origine : Etats-Unis
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Regina (Linda Gillen) n’a pas d’argent, et doit se résigner à rester seule au logement universitaire pendant ses vacances. Quelle plaie ! Mais le miracle arrive dans sa boîte aux lettres sous la forme d’une invitation. Avion particulier, chauffeur, séjour, nourriture, tout est offert ! Regina est aux anges. Sur place, elle découvre une jolie auberge en bord de mer tenue par deux retraités fort chaleureux. La présence de Baby John, petit-fils des tenanciers qui ne la laisse pas insensible lui confirme que son séjour va être paradisiaque. Et puis il y a Pamela et Edwina, deux autres étudiantes qui hélas doivent partir le lendemain et le surlendemain. Tout de même dommage qu’elles partent aux aurores, sans dire au revoir. Mais c’est étrange : Edwina a laissé un livre duquel elle n’avait pas décollé durant les deux jours passés avec Regina. Si l’on ajoute à ca la présence de Baby John dans le congélateur avec un couteau de boucher la nuit du départ de Pamela, il y a de quoi se poser des questions.
C’est entendu : L’Auberge de la terreur est bourré de défauts. Tout y est prévisible du début à la fin, que ce soit l’insistance avec laquelle Townsend filme la viande et les convives en train de la savourer, la malencontreuse panne de téléphone, le mystère entourant le congélateur, la fuite avortée, la romance entre Regina et Baby John, le dénouement… Le film ne présente aucune surprise, et on ne sait pas trop si le réalisateur est conscient que le spectateur sait à quoi s’attendre (ce qui expliquerait la façon de filmer les scènes de repas, tout en gros plans sur la viande ou les visages mastiquant, histoire de dégoûter le public) ou si il fait comme si tout le monde était dupe (en mettant une heure avant de nous dévoiler le contenu du congélateur tant stigmatisé). Ajoutons à cela que les réactions de Regina sont encore moins logiques que dans la plupart des films d’horreur à petits budgets, où pourtant les réactions de personnages sont réputées pour leur manque de réalisme. Mille fois elle aurait eu l’occasion de s’échapper, y compris après que ses hôtes eurent pris conscience de la perspicacité de leur invitée, ce qui ne les a pas empêché par la suite de la laisser seule à la maison avec Baby John. Peut-être parce que l’échec de cet évasion prouve que Regina est décidément trop gourde pour réussir. Quoi qu’il en soit, la perspective de se faire tuer, dévorer et l’idée d’avoir mangé ses camarades ne l’empêche pas de revenir à table, plus boudeuse que révoltée. Mais il faut dire que l’on ne s’attendait pas à autre chose de la part de ce personnage globalement stupide, à la limite de l’insupportable dans la première partie où elle fait figure de bécasse rieuse, entre ses amies la mannequin méprisante et la bécasse oisive.
Il y a par contre une chose sur laquelle on ne peut pas prendre Bud Townsend en défaut : sa capacité à concevoir une atmosphère étrange, à mi-chemin entre le second degré humoristique et l’épouvante. Le rythme de L’Auberge de la terreur est lent, pour ne pas dire contemplatif, et le fait que pendant environ une heure le film ne fait que décrire des faits apparemment anodins (on ne voit pas la première disparition, celle de Pamela) n’est pas sans ennuyer, il faut l’admettre. Que la mise en scène parvienne à faire ressentir l’étrangeté de l’auberge des Smith à travers un point de vue décalé sur des non-évènements n’est pas suffisant pour éviter la lassitude. C’est déjà bien, surtout que les films où il ne se passe rien sans pour autant que le réalisateur n’ait d’ambition sont légions, mais cela aurait été mieux avec un scénario plus consistant. Sur le même registre que L’Auberge de la terreur, Parents de Bob Balaban se débrouillait bien mieux, notamment en faisant un choix de personnages plus relevé, et en jouant la carte de l’ambiguïté. Mais trêve de médisances, soulignons désormais les qualités du film de Townsend. Elles proviennent avant tout de cette contemplation rendant sinistre la moindre chose qui se passe à l’auberge, lieu où l’atmosphère est très lourde de par les sous-entendus contenus dans la mise en scène. Ainsi, les repas pantagruéliques censés être festifs sonnent faux, comme si Townsend, obnubilé par la viande, en perdait son latin. Même une soirée arrosée au terme de laquelle le vieux propriétaire -après avoir déjà fait des sketchs pathétiques- finit rond comme une queue de pelle, n’est pas franchement drôle. Ces scènes qui auraient dû être ridicules mettent mal à l’aise. C’est aussi le cas pour les coups de sang de Baby John, qui d’un naturel calme passe soudain à des crises de rage où il crie comme un goret et passe ses nerfs sur tout ce qu’il peut trouver (dont un bébé requin en bord de plage). Des coups de colère d’autant plus déstabilisants que la maison est habituellement trop bien tenue, et qu’il y règne un calme olympien, créant ainsi une perspective de déchaînement à venir. Cela reflète aussi la nature de la viande servie : en apparence parfaite, mais en réalité franchement glauque. Nous avons là une sorte d’ironie sur le mode de vie des personnes âgées, paisible jusqu’à en être effrayant. L’isolement dans lequel sont plongées les victimes, qui n’ont pas le temps de nouer vraiment connaissance, participe grandement à cette sensation. Le casting est très réduit, comptant huit acteurs en tout, dont deux ne font que de la figuration. Il y a en fait plus de tordus que de victimes, jusqu’à ce que Regina se retrouve seule, et cela n’est pas fortuit. L’étouffement s’en trouve renforcé, d’autant plus qu’une fois seule, l’étudiante ne tarde pas à se rendre compte de la vérité. Et pourtant tout reste à peu près normal, ce qui bien sûr comme dit plus haut est très peu crédible, mais qui a le mérite de ne pas rompre le style du film en ayant recours à de l’hystérie pure et dure, façon la fin de Massacre à la tronçonneuse. De toute façon, les Smith ne sont pas la famille de Leatherface, loin s’en faut, et ils restent cohérents dans leur folie douce. Le personnage de Baby John est lui aussi très dur à cerner, y compris vis-à-vis de sa relation avec Regina, et on ne peut jamais être sûr de ce qu’il va faire, apportant sa part au malaise qui règne dans l’Auberge du Loup Rouge.
Parents, de même qu’American Gothic sont deux petits films fort sympathiques qui empruntent tous deux à L’Auberge de la terreur. Faute d’un scénario, celle-ci n’est pas aussi bien que les deux nommés, mais Bud Townsend a en tout cas défriché le terrain pour Bob Balaban et John Hough (et probablement d’autres), contribuant ainsi à donner une vision calme et vénéneuse à des sujets pourtant propices à la gaudriole (le cannibalisme, les vieux tueurs). C’est aussi une référence en terme d’humour noir, là encore peu démonstratif, mais qui se fait ressentir à travers ces deux petits vieux trop accueillants. Saluons également le générique de fin, créé comme un menu de restaurant chic, qui prolonge jusqu’au bout cet humour dérangeant mais pas vraiment méchant. L’indulgence s’impose donc pour ce modeste film, un précurseur qui a la particularité d’être loin de la perfection.