CinémaPolar

Le Messager de la mort – Jack Lee Thompson

Messenger of Death. 1988.

Origine : États-Unis
Genre : Massacre à la une
Réalisation : Jack Lee Thompson
Avec : Charles Bronson, Trish Van Devere, Laurence Luckinbill, Daniel Benzali, Marilyn Hassett, Charles Dierkop, Jeff Corey, John Ireland.

Alors que des enfants profitent des derniers rayons du soleil pour jouer dehors, deux hommes font irruption à bord de leur pick-up. Pris d’un mauvais pressentiment, les marmots s’empressent de rentrer chez eux, réflexe dérisoire face à l’imminence de la mort. De manière implacable, les deux hommes pénètrent dans la maison et tuent femmes et enfants. Un crime atroce que le journaliste Garret Smith (Charles Bronson) est le premier à couvrir, jouissant de son amitié avec le chef de la police de la ville, Barney Doyle. Adoubé par Orville Beecham, le père de la famille massacrée, il tombe des nues lorsqu’il apprend que les frères Willis et Zenas Beecham  s’accusent mutuellement d’avoir commis ces meurtres sous couvert de la haine ancestrale qu’ils se vouent. Se sentant investi d’une mission, il tente de jouer les médiateurs afin d’empêcher un nouveau massacre. En parallèle, son flair d’éminent journaliste l’amène à penser que les raisons du massacre pourraient être totalement détachées d’un quelconque motif familial.

En ces années 80 finissantes, les rêves de grandeurs de Menahem Golan et Yoram Globus commencent sérieusement à battre de l’aile. Quoi qu’ils fassent, quoi qu’ils produisent, ils multiplient les échecs cuisants mettant à mal leur Empire. Pour la seule année 1987, Superman IV, Les Maîtres de l’univers et Over the Top ont été des gouffres financiers. Seul ce dernier, une improbable plongée dans le milieu des compétitions de bras de fer sur fond de drame familial réalisée par Menahem Golan en personne, a su dans certaines contrées, dont la France, attirer le public en nombre. Davantage que par la qualité intrinsèque du film, proche du néant, cet engouement très localisé s’explique par la présence en tête d’affiche de Sylvester Stallone. Un grand nom est toujours susceptible d’attirer le public et si ce n’est pas dans les salles, ce sera dans les rayons des vidéoclubs. Voilà un marché à ne pas négliger, même s’il éloigne la Cannon de ses ambitions premières, à savoir devenir l’égal des studios de l’âge d’or hollywoodien. Mais pour cela, il faut de la star maison et celles-ci ne se bousculent pas au portillon. A cette époque, l’étoile de Chuck Norris commence déjà à se ternir. Il ne la redorera qu’en arborant celle du texas ranger Walker pour la télévision. Reste Charles Bronson. L’inamovible Charles Bronson qui à 60 ans – bien – passés joue toujours aux justiciers. Fidèle parmi les fidèles, il continue vaille que vaille son entreprise d’éradication du crime sous toutes ses formes pour le compte des deux cousins. A peine sorti de la chasse aux trafiquants de drogue du Justicier braque les dealers, quatrième odyssée vengeresse de Paul Kersey, le comédien retrouve son vieux complice Jack Lee Thompson à l’occasion de ce Messager de la mort qui se démarque par son ton plus posé et moins belliqueux qu’à l’accoutumée.

Les États-Unis comptent de nombreuses communautés religieuses à travers le pays. Des producteurs avides d’inédit et d’authenticité n’ont donc qu’à se pencher pour trouver la perle rare. A l’occasion de son premier film américain, Peter Weir mettait brillamment en lumière l’une d’entre elles dans son polar Witness, celle des Amish. Quelques années plus tard, la série MacGyver lui emboîte le pas le temps d’un  épisode (Les Étrangers, Saison 4, épisode 3). Inspiré d’un roman de Rex Burns, The Avenging Angel, Le Messager de la mort préfère se concentrer sur une autre communauté, celle des Mormons. Quoique le terme “se concentrer” paraît quelque peu excessif. En réalité, les Mormons ne servent que d’apparat, de caution exotique à une histoire qui aurait finalement fort bien pu s’en passer. Garret Smith ne s’immerge jamais dans cette communauté, ni ne tente de se plonger dans ses arcanes. Il se contente d’interroger deux membres éminents de celle-ci dans le cadre de son enquête sans jamais chercher à creuser davantage. De son côté, Jack Lee Thompson joue la prudence, suggérant notamment plus qu’il n’assène leur polygamie. Une manière de ne pas s’attirer les foudres des mormons, lesquels près de 20 ans plus tard rappelleront par un communiqué, en réponse à la série Big Love mettant en scène un mormon qui partage son quotidien avec trois femmes, que “L’Église de Jésus Christ des saints des derniers jours a officiellement mis un terme à la polygamie en 1890”. Au-delà de ces considérations matrimoniales, les mormons du film semblent tout droit sortis du 19e siècle. Si ce n’est par leur usage de véhicules motorisés, bien pratique pour combler la distance qui sépare Willis et Zenas, ils ne se distinguent guère des cowboys d’antan, prenant les armes à la première contrariété et se lançant à l’assaut de l’ennemi supposé la fleur au fusil. Ils vivent dans un monde régi par leurs propres lois, ne prêtant que peu de cas aux non mormons, qu’ils qualifient de “gentils”. Le scénario en fait des illuminés, s’en remettant constamment à dieu (“C’est à notre seigneur de punir ses hommes, pas à la police” assène Orville à Garret au cours de sa garde à vue) pour mieux se substituer à lui à la première occasion, en bons adeptes de la loi du Talion. Tuer un membre de la communauté leur importe peu, tout comme décimer toute une famille sur la seule foi du sermon orienté de leur homme d’église. Ce n’est pas l’amour de leur prochain qui les étouffe, et encore moins le chagrin qui va les empêcher de dormir. On ne peut même pas dire qu’ils agissent en fous de dieu mais plutôt en fous tout court. A tel point que la vive émotion suscitée par le drame sur lequel s’ouvre le film, saisissant par sa gratuité et sa brutalité, tend à s’estomper à mesure qu’ils mettent en branle leur justice aveugle. J’ignore si les mormons ont mauvaise presse aux États-Unis. En tout cas, le film en donne une image peu flatteuse. Présentée ainsi, cette communauté de mormons véhicule de bien mauvaises valeurs et montre qu’elle n’a besoin de personne pour s’autodétruire. Dans ce contexte, les efforts de Garret Smith paraissent uniquement voués à magnifier son interprète, l’insondable Charles Bronson.

Sur le papier, le personnage de Garret Smith tranche radicalement avec les rôles habituels de Charles Bronson. Incarnant un journaliste réputé, il troque le pistolet contre un stylo. Ce qui ne l’empêche pas, en bon américain moyen, de porter sur lui une arme à feu – dont il ne se servira jamais. Il œuvre à sa façon à rendre justice mais de manière moins radicale. Il vise surtout à ouvrir les yeux de ses concitoyens quant aux éventuelles dérives des institutions et des individus. Un travail qu’il effectue avec abnégation et non sans une certaine vanité. Il se balade ainsi constamment avec un exemplaire du journal du jour afin de faire lire à ses interlocuteurs son dernier article, au cas où ils n’auraient pas eu le temps d’en prendre connaissance. Et il n’hésite pas, le cas échéant, à se substituer aux forces de l’ordre lesquelles ne paraissent ni très pressées d’élucider le crime d’ouverture ni très concernées. Quand Orville sort de prison, il bénéficie à son corps défendant d’une surveillance policière qui se révèle peu efficace. Non seulement les agents chargés de sa surveillance perdent sa trace mais en outre, il ne leur vient même pas à l’esprit qu’il ait pu tout simplement – et fort logiquement – regagner sa communauté. A leur décharge, le chef de la police, et ami de Garret, sacrifie son travail à ses petites ambitions personnelles, le poste de Gouverneur lui étant promis. Il ne faut donc pas s’étonner de voir le journaliste donner autant de sa personne. Parfois au péril de sa vie lorsqu’il se retrouve au beau milieu d’une fusillade fratricide qu’il tente de stopper en brandissant un drapeau blanc de fortune. Ou en affrontant seul le tueur à gages. C’est là que le bât blesse. Charles Bronson ne s’adapte pas au personnage, c’est le personnage qui doit prendre en compte l’image de l’acteur. Et ce dernier véhicule l’image d’un homme d’action, ce qui passe par quelques grossières astuces scénaristiques. S’il n’use pas de son arme à feu personnelle, il utilise néanmoins un fusil de chasse lors d’un enterrement factice. Une image plus conforme à l’acteur que s’empresse d’utiliser le distributeur pour le visuel de l’affiche. Et alors qu’il se fait conduire d’ordinaire par sa consœur de Grant County, il prend opportunément le volant au moment de la grande scène d’action : trois semi-remorques de la compagnie des eaux du Colorado qui cherchent à l’envoyer dans le décor. Sympas, les conducteurs annoncent leur arrivée à grands coups de klaxons, histoire que le journaliste ne soit pas pris au dépourvu. A ce moment là du film, le propos du film n’a déjà plus beaucoup d’intérêt. L’intrigue s’oriente maladroitement vers une magouille immobilière qui vise d’une part à innocenter la communauté mormone (mais à quoi bon tant celle-ci nous a été décrite sous un jour peu amène ?) et donc à faire valoir le perspicacité de notre valeureux journaliste. Le film se conclue donc sur un Bronson en majesté, terrassant le vilain homme de main de ses poings puissants puis faisant éclater la vérité devant une foule abasourdie. Lui aussi ébranlé, le monteur décide d’en rester là et d’achever le film de manière abrupte.

A l’instar de son interprète principal, Jack Lee Thompson n’est plus vraiment celui qu’il a été. S’il ne compte pas parmi les grands noms de la profession, il compte néanmoins dans sa filmographie quelques titres qui ont brillamment survécu aux affres du temps comme Les Nerfs à vif ou Les Canons de Navarone. Un homme qui connait suffisamment son métier pour s’accommoder de budgets étriqués et de conditions de tournage difficiles et d’aboutir malgré tout à des résultats satisfaisants (La Conquête de la planète des singes, La Bataille de la planète des singes). Ici, on retrouve son savoir-faire lors de la scène d’ouverture, d’une grande efficacité. Trop sans doute puisque rien de ce qui suivra ne parviendra à l’égaler en terme d’intensité et d’implication. Alors qu’il s’engageait dans une course de fond, il a commis l’erreur de vouloir partir trop vite et de s’essouffler avant même la mi-course. Une erreur de jugement qui lui aura été fatale.

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