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Witness – Peter Weir

witness-affiche

Witness. 1985.

Origine : États-Unis
Genre : Policier romantique
Réalisation : Peter Weir
Avec : Harrison Ford, Kelly McGillis, Alexander Godunov, Lukas Haas, Joseph Sommer.

Suite à la mort de son mari, Rachel Lapp (Kelly McGillis) décide de se rendre chez sa sœur à Baltimore en compagnie de son fils Samuel (Lukas Haas). Dans les toilettes de la gare, Samuel est témoin de l’assassinat d’un homme qui s’avère être un policier. Alors qu’il erre dans le commissariat après avoir tenté d’identifier l’un ou l’autre des agresseurs, Samuel reconnaît l’un d’eux sur une coupure de presse : l’inspecteur McFee (Danny Glover), des stups. John Book (Harrison Ford), l’inspecteur chargé de l’enquête, s’empresse d’en référer à son supérieur, Paul Schaeffer (Josef Sommer), qui lui conseille de n’en parler à personne d’autre. De retour chez lui, John manque de se faire tuer par McFee en personne. Comprenant que son chef est lui aussi mouillé dans l’affaire, il s’empresse de récupérer Rachel et Samuel, et de les emmener à l’abri dans leur communauté. Blessé lors de l’altercation avec McFee, John, à bout de force, est recueilli chez les Lapp.

De tout temps, Hollywood a su attirer en son sein des cinéastes issus du monde entier. Commençant à se faire un nom depuis Pique-nique à Hanging Rock (1975), Peter Weir se décide à franchir le Rubicon au sortir de L’Année de tous les dangers (1982) sous l’impulsion du producteur Jerome Hellman, qui aimerait beaucoup lui confier la réalisation de The Mosquito Coast. Enchanté par le projet, le cinéaste australien doit malgré tout prendre son mal en patience, le producteur ne parvenant pas à boucler son budget. Cependant, au petit jeu des chaises musicales cher à l’industrie hollywoodienne, Peter Weir se retrouve dans l’intervalle propulsé à la tête de Witness, remplaçant au pied levé le réalisateur initialement envisagé (les rumeurs de l’époque évoquaient le nom de David Cronenberg). Un mal pour un bien quand on sait que sa bonne entente avec Harrison Ford fut décisive pour mener à son terme l’adaptation du roman de Paul Théroux. Et puis même si Peter Weir n’en a pas été l’instigateur, le sujet de Witness cultive quelques similitudes avec son œuvre passée, notamment dans l’idée que l’homme demeure tributaire de son environnement.

Avant d’être une intrigue policière, Witness est l’histoire d’un amour impossible. Une pure histoire d’amour de cinéma que Peter Weir dépeint avec beaucoup de délicatesse. Entre la veuve pas trop éplorée et le flic taciturne se joue un pas de deux au sein duquel les paroles comptent moins que les regards. D’ailleurs, que pourraient-ils bien trouver à se raconter tant leurs modes de vie sont à l’opposé l’un de l’autre ? Rachel fait partie d’une communauté Amish issue de l’Ancien Ordre dont la première règle est « Tu ne te conformeras point à ce monde qui t’entoure ». Elle vit donc en marge de cette société dont John Book, de par sa profession, se fait le garant. Au tumulte de la vie citadine, les Amish opposent une vie simple faite de recueillements, suivant les préceptes édictés par le Nouveau Testament. En un sens, leur existence est proche de celle des pionniers, notamment par l’archaïsme de leur mode de locomotion (des voitures à cheval) et de leurs instruments de labeur (ils travaillent encore la terre à l’aide d’attelages). Ils vivent de manière autonome, et véhiculent d’aussi belles valeurs que l’entraide et la solidarité. En somme, ils ne gênent personne. Au contraire, on peut même affirmer qu’ils sont d’une certaine manière appréciés par les édiles de l’état de Pennsylvanie pour la petite touche folklorique qu’ils apportent à leur région. Ils sont ainsi récupérés à leur corps défendant à des fins touristiques par des tour operators peu scrupuleux qui ne manquent pas de vanter telle épicerie comme étant celle fréquentée par les Amish. Leur communauté constitue donc un monde à part, comme hors du temps. Une sensation d’anachronisme que cultive à dessein la mise en scène de Peter Weir.

Le cinéaste australien ouvre son film par un plan fixe d’un champ aux herbes balayées par le vent. Puis se dessinent dans le cadre les silhouettes solennelles d’Amish qui ne semblent faire qu’un avec la nature. Ils se rendent à un enterrement –celui du mari de Rachel– qui nous permet d’appréhender en quelques courtes scènes la cohésion de cette communauté, unie dans la joie comme dans le malheur. En filigrane s’esquisse déjà la rigidité de cette communauté patriarcale, les femmes étant réduites aux tâches ingrates (préparer la table, notamment) tandis que les hommes devisent sur les vertus du défunt. A cette occasion, Peter Weir soigne la composition des ses plans, recherchant dans certains à retranscrire la luminosité particulière des peintures hollandaises du 17e siècle. En une poignée de minutes, il parvient à nous immerger totalement dans cet univers en marge de la société moderne, tout en posant les bases de l’intrigue amoureuse à venir. En devenant veuve, Rachel se détache quelque peu du carcan des conventions sociales de sa communauté, malgré l’omniprésence de son beau-père, bouleversant un tant soit peu l’équilibre de celle-ci. Tout religieux qu’ils soient, les Amish n’en sont pas moins des hommes, soumis à quelques pulsions bien naturelles. S’ils résistent à l’appel de la violence avec un aplomb qui force l’admiration (ils subissent les provocations de certains locaux bas du front sans répliquer), il n’en va pas de même avec les sentiments amoureux. Derrière ses airs joviaux et rassurants, Daniel Hochleitner peine à masquer la réelle attirance qu’il éprouve envers Rachel, qu’il couve du regard le jour même de l’enterrement. Néanmoins, il agit sans insistance, se lançant dans une cour discrète où le non-dit est roi. En fait, plus qu’en prétendant, il s’affiche comme une présence rassurante au côté de Rachel, qui n’a rapidement d’yeux que pour John Book. Loin de créer des tensions au sein de la communauté, la présence du policier est vécue par ses membres comme un épiphénomène. Tout au plus Rachel doit-elle répondre à quelques messes basses quant à la présence inappropriée de cet homme chez une veuve. Pour elle, la présence de John Book ressemble à une bouffée d’oxygène qui lui permet, pour un temps, de s’affirmer en tant que femme indépendante. Elle n’hésitera notamment pas à tenir tête à un beau-père jugé trop intrusif, souhaitant vivre sa passion jusqu’au bout, tout en n’étant pas dupe de son caractère éphémère. C’est que leur passion amoureuse est frappée du sceau de l’interdit, à la fois moral (très jolie scène silencieuse autour de John Book surprenant Rachel en pleine toilette, où le regard de l’homme mêlant gêne et désir affronte l’ingénuité de celui de la jeune femme) et social (tous deux savent fort bien que leur bagage socioculturel respectif tend à les éloigner). Leur étreinte n’en sera que plus brutale, expression d’un désir ardent qui aura couvé pendant tout le film.

A cette explosion passionnelle succède l’explosion de violence qui planait au-dessus des personnages durant tout le film, induite par la présence inopportune de John Book au sein de la communauté. Bien que respectueux des mœurs Amish, le policier ne peut empêcher cette violence de s’insinuer par petite touche, tout d’abord par l’intermédiaire de l’un de ses propagateurs attitrés (son revolver) ; puis par l’une de ses illustrations les plus conventionnelles (se sentant coupable de la mort de son partenaire et maintenant toujours son désir pour Rachel sous cloche, John libère sa frustration en rossant violemment le jeune impudent, coupable d’avoir cherché à ridiculiser les Amish) ; et enfin par l’irruption belliqueuse de son supérieur assisté de deux flics marrons, venu lui régler son compte. L’affrontement final, dénué de toute emphase, prend des allures de duel westernien, auquel l’image des trois hommes armes au poing marchant lentement vers la ferme des Lapp apporte une parfaite illustration. Non content de clore l’intrigue policière, cet affrontement met un terme à l’idylle entre Rachel et John. Le ver était dans le fruit. L’homme d’action ne pourrait se résoudre éternellement à cette vie quasi monacale, pas plus que la mère de famille ne saurait s’épanouir durablement dans la cacophonie de la vie citadine. Et la fin, touchante par ce savant mélange de mélancolie et de sérénité, de clore l’histoire par un symbolique passage de relais entre la passion et la raison.

Film qui brille par sa simplicité, Witness témoigne également de la grande sensibilité de son auteur. Peter Weir aborde le monde des Amish avec pudeur et respect, dont témoigne sa réalisation aussi élégante que discrète. Il démarrait là une carrière américaine riche en promesses, ce que la suite immédiate – The Mosquito Coast– allait confirmer. Immédiatement reconnu par l’académie des Oscars (des nominations du meilleur réalisateur, du meilleur film et la seule à ce jour pour Harrison Ford), Peter Weir semblait entamer une idylle durable qui s’acheva finalement aussi brutalement qu’elle avait commencée. A tel point que le cinéaste se fait aujourd’hui de plus en plus rare, ce qui est bien regrettable.

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