CinémaWestern

Le Grand duel – Giancarlo Santi

grandduel

Il Grande duello. 1972

Origine : Italie / France / R.F.A. / Monaco 
Genre : Western 
Réalisation : Giancarlo Santi 
Avec : Lee Van Cleef, Alberto Dentice, Horst Frank, Klaus Grünberg…

La tête de Philipp Wermeer (Alberto Dentice) est mise à prix pour le meurtre du Patriarche Saxon, qui dirigeait la ville de Saxon City d’une poigne de fer. Les chasseurs de prime sont nombreux, et Wermeer risque sa peau à chaque patelin. Il bénéficie cependant de l’aide providentielle de Clayton (Lee Van Cleef), ex-shérif de la ville de Jefferson, là où le Patriarche fut assassiné. Les deux hommes semblent avoir des comptes à régler avec les trois frères Saxon, qui se sont emparés de la ville de leur père à la mort de celui-ci. Mais de quelle nature sont ces comptes ? Si Wermeer cherche la vengeance (outre qu’il se dit innocent pour la mort du Patriarche, les Saxon ont assassiné son propre père pour s’emparer de sa mine d’or), les motifs de Clayton sont bien plus obscurs…

Après qu’il ait lui-même arrêté de tourner des westerns, Sergio Leone prit pour poulain Tonino Valerii, qui fut son assistant sur Pour une poignée de dollars et sur Et pour quelques dollars de plus. De quoi laisser des regrets à Giancarlo Santi, l’assistant du maître pour Le Bon, la Brute, le Truand et pour Il était une fois dans l’ouest, qui se serait sans doute bien vu réaliser Mon nom est Personne. Mais Leone en avait décidé autrement, et c’est ainsi que Santi fit ses premiers pas de réalisateurs sans le soutien de son mentor. Il disposa toutefois de la présence au scénario de Ernesto Gastaldi et à la musique de Luis Bacalov, qui si ils n’avaient pas travaillé sur les westerns de Leone n’en demeuraient pas moins deux grands noms, dont le travail sur Le Grand Duel reste remarquable sinon décisif (Quentin Tarantino emprunta d’ailleurs l’excellent thème du film à Luis Bacalov pour Kill Bill). Santi n’avait pourtant qu’une idée en tête : faire du Leone. Lee Van Cleef, réchappé de Le Bon, la Brute, le Truand, apparaît donc dans la peau d’un avatar de Clint Eastwood, un homme mystérieux aux motivations incertaines et à l’attitude très ambigüe. Tout de noir vêtu, le chapeau au niveau des yeux, ne sortant de son silence que pour manier l’ironie avec autant de dextérité qu’il n’en montre pour le maniement des armes, l’ex shérif Clayton en impose. Lee Van Cleef prouve qu’il n’est pas que “le Truand”, et il soutient aisément la comparaison avec Clint Eastwood. Au point même d’éclipser le fougueux Wermeer, dont le courage n’a d’égal que l’immaturité. Santi a de plus la malheureuse idée de le transformer à l’occasion en acrobate capable d’utiliser une charrette comme une catapulte afin de sauter au dessus des maisons. Probablement le réalisateur voulut-il se mesurer au degré parodique présent dans les films de Sergio Leone. Ne maîtrisant rien, Wermeer est de toute façon le point faible d’une galerie de personnages comprenant également les trois fils Saxon, des pourris plus proches du standing de Van Cleef que de celui de Alberto Dentice (un débutant qui ne poussa d’ailleurs pas plus loin sa carrière). David, Adam et Eli (respectivement Horst Frank, Klaus Grünberg et Marc Mazza) sont tout trois de nature différente, ce qui justifie la présence de trois “méchants” au lieu d’un et qui permet également à Santi de préserver le suspense en développant les intérêts parfois contradictoires des trois individus. David est le successeur du Patriarche, celui qui entretient sa respectabilité en agissant en coulisses et en confiant les basses besognes à ses subalternes. Eli est le shérif de Saxon City, obsédé par la revanche du meurtre de son père. Quant à Adam, il est le chef du milieu judiciaire. C’est un homosexuel perfide, tout de blanc vêtu.
Derrière ces fortes personnalités, derrière le silence de Clayton se cache donc un secret initial, la mort du Patriarche, à relier avec chacun des personnages. Le début du film montrant la traque de Wermeer par les chasseurs de prime est elle-même amenée à prendre une toute autre signification. Le Grand Duel est de ces westerns qui une fois arrivés à leur terme ont retourné toutes les connaissances dont croyait disposer le spectateur au début. Même si le fin mot de l’histoire ne fait pas grande surprise, le scénario de Gastaldi est suffisamment bien agencé pour préserver l’attention.

Cette qualité, le film la doit aussi à Giancarlo Santi. Chercher à copier le style de Sergio Leone est certes quelque chose d’assez vain, mais il faut bien admettre que l’homme semble avoir malgré tout engrangé de l’expérience dans l’organisation de ses duels, qui sont ici nombreux. La musique de Bacalov ne fait pas tout et le réalisateur parvient par moment à se rapprocher de la tension des films de Leone. C’est le cas notamment pour l’une des premières scènes du film, lorsque Clayton traverse au culot un village truffé de tireurs embusqués. C’est aussi le cas lors de ce splendide final, un duel à quatre extrêmement bien organisé, si ce n’est -on commençait à l’oublier- pour l’interférence du parasite Wermeer. Santi semble avoir assimilé l’essence des confrontations de Le Bon, la Brute, le Truand. Les gros plans sur les yeux des protagonistes sont bien entendu la reprise la plus évidente (et Santi n’est d’ailleurs pas le seul à en avoir fait usage), mais la gestion des focales et le travail sur les silhouettes des personnages répondent également à l’appel. Une scène en particulier se démarque de l’ensemble : il s’agit d’un flash back en noir et blanc saturé, utilisé plusieurs fois, qui retrace l’assassinat de nuit du patriarche. Dans une gare enfumée et bondée, une silhouette tire sur le vieil homme (joué par Horst Frank). Au fur et à mesure de l’avancée du film, la caméra se rapproche du tireur, jusqu’à révéler son identité pour le dénouement. Montée en parallèle avec les moments forts du film, cette scène de flash back confère au Grand Duel un aspect très “Leonien”, un peu comparable à la scène d’enfance de l’homme à l’harmonica dans Il était une fois dans l’ouest.

Entre les honnêtes emprunts à Leone pour donner du souffle aux scènes de duels et le savoir de Gastaldi pour lier l’ensemble, le bilan du film de Giancarlo Santi est très positif. Les quelques erreurs tendent à s’effacer en cours de route, un peu comme si le réalisateur, ne sachant plus que faire de certains éléments dérangeants, avait cherché à les glisser sous le tapis (l’humour trop évident, la présence de Wermeer). Certes, il ne s’agit pas d’une fresque comme Le Bon, la Brute et le Truand, et, contraint qu’il est de rester sur un même lieu, Le Grand Duel ne tient pas la comparaison. Mais c’est sans doute un des meilleurs dérivés du cinéma de Leone. Devenu réalisateur un peu tardivement, Giancarlo Santi ne put hélas pas profiter de la mode western pour corriger ses lacunes, et il s’agit là de son seul film du genre (et accessoirement l’un des trois seuls films qu’il ait réalisé).

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