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Le Deuxième souffle – Jean-Pierre Melville

deuxiemesouffle

Le Deuxième souffle. 1966

Origine : France
Genre : Film noir
Réalisation : Jean-Pierre Melville
Avec : Lino Ventura, Paul Meurisse, Raymond Pellegrin, Christine Fabrega…

A l’origine, Le Deuxième souffle est un roman écrit par José Giovanni en 1958, alors qu’il vient de rejoindre la “série noire” de Marcel Duhamel. Le roman en lui même s’inspire d’un fait divers réel et du truand Gustave Méla, dit « Gu le terrible ». L’auteur lui-même est un ancien repris de justice ayant fréquenté le monde de la pègre en prison, et qui se fait remarquer dans le monde littéraire d’alors par un style volontairement simpliste, riche en images fortes. Dans ses romans il n’hésite pas à dresser un portrait souvent bien peu négatif du milieu dont il faisait partie. Giovanni rebaptise donc son héros Gu Minda, et raconte comment après s’être évadé de prison ce dernier veut commettre un dernier gros coup avant de quitter le pays : il rejoint Paul Ricci et d’autres truands pour braquer un fourgon blindé rempli de lingots, et escorté par deux motards. S’ils réussissent leur coup, ils seront tous millionnaires, mais le braquage n’est pas sans risque et nécessite de tuer les deux motards…

Quand Jean Pierre Melville décide d’adapter Le Deuxième souffle au cinéma, il n’en est pas à son premier polar. Il avait notamment déjà réalisés Bob le Flambeur et Le Doulos, dans lesquels nombre de ses thématiques favorites avaient été abordées (et en particulier son admiration sans borne pour le film noir américain). Pourtant c’est bel et bien avec Le Deuxième souffle que s’entame un tournant décisif dans la carrière du réalisateur. En effet c’est avec ce film qu’il décide de négliger l’aspect réaliste de son histoire, pour se concentrer essentiellement sur la dimension stylistique qu’il veut lui donner. Le film se caractérise donc par un goût prononcé pour l’épure, à la fois visuelle et narrative. Ainsi Melville choisit de tourner son film dans un noir et blanc sobre et d’une grande classe, et privilégie les décors simples et peu chargés. De même il sera très direct dans le traitement de son histoire, éliminant systématiquement toutes les trames secondaires pour ne garder que le noyau dur de l‘intrigue. Il en résulte donc un film très dynamique et rythmé, qui ne se perd jamais en bavardages. Les personnages parlent peu, mais toutes leurs répliques sont lourdes de sous entendus. A ce titre les dialogues sont particulièrement savoureux, d’autant plus qu’ils sont prononcés par tout un panel d’excellents acteurs. Paul Meurisse notamment, brille particulièrement dans son excellent rôle de flic perspicace et aux méthodes tordues. Quant à Lino Ventura, il est tout simplement parfait en Gu avec son physique marqué et ses larges épaules. Le traitement épuré que privilégie Melville permet d’ailleurs aux acteurs d’occuper une place essentielle dans ce film qui repose avant tout sur ses personnages. Les gangsters de Giovanni et de Melville ont un caractère fort et un physique typé. « Film d’homme » par excellence, Le Deuxième souffle développe cependant la psychologie de son personnage principal essentiellement, autour duquel gravitent tous les autres. Gu est donc un truand, un vieux de la vieille, qui s’évade après de longues années passées en prison. Il est traqué par le brillant commissaire Blot qui semble déterminé à l’empêcher de nuire. De plus il débarque dans un monde qu’il connaît bien, mais dont les règles ont changé. Gu, c’est le gangster avec une morale, une dignité. Il n’est pas une balance, il ne parle pas, même sous la torture et s’est toujours conformé à ses principes. Ces principes, ainsi que les casses célèbres auxquels il a participé, lui ont valu une réputation de dur à cuire dans le milieu. C’est donc sans crainte que Paul Ricci et ses hommes accueillent Gu pour leur coup. Mais à l’issue du braquage, quand l’honneur de Gu est mis en jeu par les calomnies du frère de Paul Ricci prêt à tout pour récupérer le magot, il va tout faire pour rétablir la vérité, quelqu’en soit le prix.

Si un panneau au début du film nous annonce d’emblée que les auteurs du film se désolidarisent de cette « morale » et ne font à aucun moment le rapprochement avec la Morale, il apparaît pourtant clairement que c’est le personnage principal et par extension sa « morale » qui intéressent Melville. Le cinéaste semble en effet fasciné par la figure forte du truand solitaire, fidèle à ses principes. Une figure issue principalement du film noir américain, dont Melville reprend les codes pour Le Deuxième souffle. Il emprunte ainsi quantité de plans au cinéma américain et va jusqu’à faire rouler ses personnages dans des voitures américaine. Pourtant, Le Deuxième souffle n’est à aucun moment une pâle imitation des classiques venus d’outre-atlantique. Au contraire, le talent de Melville réside en sa capacité d’appropriation des codes cinématographiques, qu’il intègre parfaitement dans son style très personnel et reconnaissable entre mille. La perfection technique de sa mise en scène est totalement mise au service de son récit et fait de ce film un chef d’œuvre du genre qui annonce non seulement les futures grandes œuvres de Melville que seront Le Samouraï et Un Flic mais qui a marqué durablement le cinéma. Impossible par exemple, de ne pas voir l’influence de Melville dans la plupart des polars américains récents (le traitement des personnages dans Les Infiltrés de Martin Scorsese en est une excellente manifestation).

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