CinémaPolar

Folle à tuer – Yves Boisset

Folle à tuer. 1975.

Origine : France – Italie
Genre : Pas si fou
Réalisation : Yves Boisset
Avec : Marlène Jobert, Tomás Milián, Michael Lonsdale, Thomas Waintrop, Victor Lanoux, Michel Peyrelon, Jean Bouise.

Au terme de 5 années passées en clinique psychiatrique sous l’œil bienveillant du docteur Rosenfeld (Jean Bouise), Julie Bellanger (Marlène Jobert) obtient son bon de sortie. Pas franchement rassurée à l’idée de regagner le grand monde, elle ne saisit guère les motivations du chef d’entreprise Stéphane Mostri (Michael Lonsdale) qui l’embauche en tant que gouvernante de son neveu. Le premier contact est d’ailleurs houleux. En parfait enfant-gâté, Thomas (Thomas Waintrop) ne souffre pas la contradiction. Décidée à ne pas se laisser marcher sur les pieds, Julie fait front. A force d’obstination, elle réussit même à le convaincre à sortir prendre l’air. Alors que le gamin arpente les allées du parc de Saint-Cloud à bicyclette, Julie est approchée par un mystérieux individu (Tomás Milián) qui ne tarde pas à lui dévoiler ses mauvaises intentions. Séquestrée dans une bicoque perdue dans la campagne parisienne, Julie est contrainte de rédiger une demande de rançon à l’attention de Stéphane Mostri. Profitant que le tueur soit occupé à ses basses besognes, elle réussit à s’enfuir avec l’enfant. Loin d’être tirée d’affaire, elle doit encore éviter les forces de police, qui la croient coupable, et le tueur revanchard, qui ne peut tolérer un échec.

Avant que le cinéma ne s’intéresse à ses romans, Jean-Patrick Manchette travaillait déjà dans le milieu depuis le mitan des années 60. Il a notamment rédigé des scénarios pour Max Pécas, qui se trouvait alors dans sa veine polar (La Peur et l’amour, Une femme aux abois), ou pour son acolyte Jean-Pierre Bastid ( le léger Salut les copines, le drame Les Petits-enfants d’Attila). Et parce qu’on est jamais mieux servi que par soi-même, il se charge de la première adaptation de l’un de ses romans en collaboration avec Claude Chabrol pour Nada en 1973. Il n’en fera plus par la suite, laissant à d’autres le soin de s’y coller. Quand Yves Boisset s’intéresse au roman Ô dingos, ô châteaux, c’est un autre écrivain – Sébastien Japrisot – qui s’attèle à son adaptation. Il procède à quelques ajustements des plus minimes – le changement des noms de certains personnages, la nature du trio de kidnappeurs – et à d’autres de plus grande importance. Pour une adaptation plus fidèle, jusqu’à la réutilisation du titre, il faudra patienter jusqu’en 2011, année de parution de la bande-dessinée de Jacques Tardi, vieux complice de l’écrivain avec lequel il avait déjà collaboré. Par rapport au roman, le ton du film se veut plus léger. Si Thompson, le tueur, conserve son caractère imprévisible, ses actions demeurent cependant plus réfléchies. Il déploie un souci de la discrétion que ne possédait pas son homologue littéraire, peu rebuté, par exemple, à l’idée de tirer à vue au milieu de la foule d’un supermarché. Toujours aussi décidée, la Julie cinématographique se montre quant à elle moins à l’aise avec la violence. Elle n’est pas dans une attitude revancharde, davantage protectrice. Tourné dans la foulée de Dupont Lajoie, dont il reprend les acteurs Michel Peyrelon et Victor Lanoux, Folle à tuer renoue avec les polars récréatifs qui constituaient l’ordinaire de Yves Boisset à ses débuts tout en y apportant une touche supplémentaire d’humanité. Qu’une femme soit pour la première fois le personnage central de l’un de ses films n’est sans doute pas étranger à l’affaire.

Folle à tuer tient tout aussi bien du récit initiatique que du conte. Récit initiatique dans le sens où Julie Ballanger doit réapprendre à frayer avec le monde extérieur après cinq années passées dans le cadre rassurant de cette clinique psychiatrique dont elle n’est pas prisonnière mais qu’elle a bien du mal à quitter. Elle a mis à profit ce laps de temps pour se recentrer sur elle-même, concentrant tous ses efforts à la rédaction d’un livre, le livre de sa vie. Une ébauche à laquelle elle s’accroche fermement, trimballant son classeur par monts et par vaux en dépit des événements. Un détail à l’échelle du film qui prend toute son importance au détour d’une scène. Lorsque George lit ses épreuves sans y avoir été invité, l’uniforme déboutonné et la main se baladant lascivement contre son poitrail, Julie assiste impuissante à une irruption brutale dans son intimité. L’acte intrusif du chauffeur fait écho au viol qu’elle a subi à l’âge de 13 ans, le point de départ de tous ses tourments. George se comporte avec tout le manque de tact qui le caractérise (dans un rôle ingrat, Victor Lanoux se montre formidable de médiocrité), s’autorisant un commentaire désobligeant quant à la qualité du contenu, tout en faisant bien comprendre à Julie qu’il est tout disposé à lui tenir chaud au cours de la nuit. Il en reste néanmoins au stade des intentions, lui narrant avec délectation les raisons qui lui ont valu de faire de la prison. A la différence du roman, le film se fait plus explicite quant au passé des personnages, Julie au premier chef. Victime d’un homme par le passé, c’est encore à cause des hommes qu’elle se retrouve dans cette situation délicate. Cependant, Julie n’est pas du genre à courber l’échine. Encore moins lorsqu’elle a un enfant sous sa responsabilité. Elle fonce tête baissée dans la mêlée, défiant tueurs et forces de l’ordre sans trop forcer. La virée en rase campagne jusque dans le sud de la France se déroule sereinement, dépourvue de péripéties majeures. Le plus gros contre-temps résulte de l’embourbement du véhicule qu’ils ont volé. Yves Boisset préfère fixer son attention sur la relation entre Julie et le petit Thomas. Le cœur du film tient à leurs rapports, qui de houleux au départ – surprenant échange de baffes entre les deux personnages lors de leur première rencontre – tendent à s’adoucir pour parvenir à une forme de sereine complicité. Ils échangent presque d’égal à égal, le garçonnet se révélant par bien des aspects plus lucide que sa gouvernante. Plus vraiment habituée au monde extérieur et à ses codes, Julie fait preuve de naïveté au moment de trouver un refuge pour son jeune protégé, se jetant tout droit dans la gueule du loup. Un grand méchant loup qui ne prend pas les traits de Thompson. Il n’est qu’un exécutant, un employé comme peut l’être Julie. En dépit de son métier, lequel invite à la plus grande prudence, le tueur manque lui aussi de discernement. Dans la deuxième partie du film, ces deux personnages suivent des trajectoires parallèles. Thompson finit par se désintéresser du sort de Julie afin de mieux laver son honneur bafoué, pour se rendre finalement au même endroit, une luxueuse villa que son nouveau propriétaire envisage comme un lieu tout entier dédié à la musique. Une idée de fou, prétendent ses relations.

La notion de folie infuse le film jusqu’à son titre, lequel catalogue d’emblée Julie de manière arbitraire. Pourtant, elle n’a rien d’une folle au sens où on l’entend communément. Julie, c’est plutôt le grain de sable, la petite dose d’imprévu dans un plan savamment pensé… à un détail près. Elle n’agit pas sur un coup de tête. Elle sait ce qu’elle fait et pourquoi elle le fait. A sa suite, Folle à tuer va au-delà des clichés et impose une notion de folie plus diffuse, plus retorse. On peut ainsi s’interroger sur la marotte de Stéphane Mostri de n’engager à son service que des gens à la marge. Outre Georges qui a goûté à la prison, le personnel de l’entrepreneur compte également un ancien pensionnaire de la clinique où Julie a séjourné, travaillant désormais comme garçon d’étage au sein de la tour Mostri. Stéphane Mostri aime à se référer au chat du Cheshire, l’un des nombreux personnages de Alice au pays des merveilles, peut-être le seul pourvu de raison dans cet univers bigarré et étrange. En somme, il s’identifie à cette figure au point de se constituer autour de lui une cour d’individus catalogués fous comme pour se rassurer sur sa propre santé mentale. Nonobstant cette référence ostensiblement appuyée, le parcours de Julie n’épouse pas celui de Alice. Elle n’a pas le temps de s’ennuyer et ne passe pas “de l’autre côté du miroir”. Yves Boisset ne s’autorise aucune coquetterie de réalisation, conservant son style direct et carré sans s’ouvrir à une quelconque fantaisie. Il ne se permet un écart qu’à la suite des lubies mégalomanes de Stéphane Mostri avec cette pièce transformée en jungle privée peuplée d’animaux exotiques pour le seul plaisir du petit Thomas. Il étonne néanmoins par le traitement pour le moins musclé réservé audit gamin, pas si tête à claques qu’il en a l’air de prime abord. Le pauvre petit s’en prend littéralement plein la figure. Baffé, secoué, menacé par un révolver, d’avoir l’œil brulé par une cigarette ou nourri de force, Thomas ne jouit d’aucun traitement de faveur. Au contraire, il semble payer son appartenance à la caste des puissants. En le rudoyant lui – Julie est beaucoup mieux traitée en comparaison – les kidnappeurs évacuent leur frustration de manière aussi lâche et gratuite que jubilatoire pour le spectateur.

Certainement fatigué pour un temps des polémiques – le tournage puis la sortie de Dupont Lajoie ont été particulièrement houleux – Yves Boisset s’offre un moment de détente avec ce polar sans prétention qui ne compte pas parmi ses films les plus mémorables. Une parenthèse buissonnière qui illustre sa volonté de ne pas rester enfermé dans cette image de cinéaste contestataire. Cette envie s’exprimera avec davantage de force dans Un taxi mauve aux enjeux plus intimistes.

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