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L’Invention de Morel – Claude-Jean Bonnardot

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L’Invention de Morel. 1967

Origine : France 
Genre : Science-fiction 
Réalisation : Claude-Jean Bonnardot 
Avec : Alain Saury, Juliette Mills, Didier Conti, Jean Martin…

1935. Luis, condamné par la justice de son pays et en fuite, se réfugie sur une île conseillée par un Italien de Calcutta qui l’a cependant mis en garde : maudite ou malsaine, elle voit mourir ceux qui s’y rendent d’un mal incurable… Échoué sur la grève, Luis découvre des sortes de canons fixés dans le sable puis, en s’avançant un peu sur les terres, une villa, belle ou plutôt qui fut autrefois belle, aujourd’hui envahie par la végétation. Déambulant au sein de cette bâtisse à la splendeur passée, il tombe sur un carnet interrompu parlant de l’invention de Morel. Désireux de mettre sur papier ses propres pensées quant au système politique et policier qui l’a amené là, il tient à son tour un journal de sa vie sur l’île.
Peu après, tandis qu’il est allongé, fiévreux, au bord de la piscine tapissée d’algues, les lumières de la maison s’allument soudain et des gens en sortent bruyamment, habillés comme au sortir de la guerre, petite troupe aisée buvant champagne et dansant sans se soucier du lendemain. Fuyant rapidement, il n’est pas vu par ces êtres joyeux et, tandis qu’il s’éloigne de la maison, les bruits de musique, de voix et de rires finissent par s’estomper. Caché dans une crique, Luis découvre les jours suivants la belle Faustine, qui aime à s’isoler pour venir contempler la mer. Petit à petit, il en tombe amoureux mais, tout comme les autres, elle l’ignore superbement, comme s’il n’existait pas… Comme par enchantement ou presque, elle et les autres disparaissent et la maison se rendort, perdant son lustre à peine retrouvé, de nouveau décatie et envahie par les toiles d’araignées.

Tiré d’un roman d’Adolfo Bioy Casares, écrivain argentin proche de Borges, L’Invention de Morel est à la fois un conte philosophique et un film de science-fiction. Son titre n’est pas anodin puisque invention il y a bel et bien, terrible et impressionnante, révélée par Morel après 45 minutes de doutes et d’angoisse partagés avec Luis sur la véritable nature des invités du Musée (le nom donné par Morel à sa villa). En découvrant ce qu’il en est, Luis ne peut que mieux comprendre sa place de spectateur d’une vie révolue, fantomatique, aux accents pourtant bien réels, illusion matérialisée de la vie ou vie illusoire avant le grand saut qui nous attend tous. Seul car en fuite au début du film, le voilà seul au milieu des autres, toujours perdu pour les hommes, contraint à voir et revoir les différentes saynètes jouées par Faustine, Morel, Ulysse, Jane, et les autres invités, sans oublier les domestiques. La comédie humaine, dont il s’était exclu en fuyant sur l’île, il la retrouve ici, à l’œuvre sous ses yeux, mais c’est une comédie dont il est à nouveau exclu, tandis que grandissent ses sentiments et un amour impossible.

L’Invention de Morel est la preuve que la télévision française, même du temps de l’ORTF, était capable de traiter d’un sujet décalé, profond, instillant le doute dans l’esprit de celui qui le regarde, l’anxiété même, estompant les frontières entre réalité et illusion, rêve et cauchemar éveillé, passé, présent et futur. Commencée comme une parabole politique, avec son fuyard narrant son arrivée sur l’île en même temps qu’il l’écrit, l’intrigue se glisse peu à peu vers un fantastique où l’étrange le dispute à la folie : mes yeux voient-ils ce que je vois ? Ces gens se donnent-ils toujours les mêmes répliques ? Me voient-ils ou font-ils juste semblant de ne pas me voir ? Existent-ils ? Et moi, dans tout ça, est-ce que j’existe encore ? Petit à petit, un trouble existentiel vient en effet perturber la conscience de Luis et la découverte des secrets de Morel, la vérité sur ses machines et sur leur usage n’en rendra que plus dérisoire ce questionnement et sa vie même.

Passionnant de bout en bout, le long-métrage bénéficie en plus de la couleur, dont c’était les débuts à la télé, de décors très réussis, que ce soient les différentes pièces de la maison ou ses extérieurs, et d’une interprétation à la hauteur, à commencer par celle d’Alain Saury, promenant son regard hagard d’être perdu cherchant sa place dans un monde qui n’est pas tout à fait le sien, et dont la voix accompagne les actes et les pensées (une voix que j’ai trouvée trop assourdie et parfois grommeleuse, usure du temps ?) ; à côté de lui, Juliette Mills incarne une Faustine à la fois distante et un peu cruelle, froide et insensible aux appels amoureux ; Didier Conti joue un Morel semblant contenir une vérité qui dépasse les bornes de l’horreur et qu’il ne révélera pas tout à fait ; avec eux, des convives futiles et insouciants, vestiges festifs d’une humanité perdue et condamnée à boire du champagne pour l’éternité. S’il est vrai qu’il y a pire comme sentence, là encore, ces verres bus, ces parties de cartes gagnées ou perdues, ces charleston endiablés dansés sur la terrasse, ne seront que quelques petites pierres de plus apportées à l’édifice filmique autant que métaphysique concocté par Casares et mis en scène par Claude-Jean Bonnardot. Une vraie réussite revoyant le jour grâce aux efforts de l’INA qui, un peu comme l’invention de Morel, permet de replonger dans un passé qu’on aurait pu croire perdu et soudain retrouvé.

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