L’Invasion secrète – Roger Corman
The Secret Invasion. 1964Origine : Etats-Unis
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Roberto Rocca, chef criminel international. Simon Fell, faussaire. Terence Scanlon, terroriste de l’IRA. John Durrell, tueur à gages. Jean Saval, voleur et maître en déguisements. En 1943, ces cinq prisonniers sont enrôlés pour le compte de Sa Majesté par le Major Richard Mace pour une mission visant à libérer le général Quadri, un italien susceptible de convaincre ses troupes de lutter contre les nazis. Le plan est de parvenir à gagner les côtes Yougoslaves, de joindre le groupe de partisans dirigés par un certain Marko, de rentrer dans la ville-forteresse de Dubrovnik, de s’infiltrer dans la prison où est retenu Quadri et de ramener le général auprès de ses troupes. Ça s’annonce coton. Mais c’est le seul moyen qui permettra à nos cinq détenus de payer leur dette à la société.
Sorti un an avant la publication du roman de E.M. Nathanson qui sera adapté par Robert Aldrich pour Les 12 salopards, L’Invasion secrète ne saurait être taxé de copiage. Et pourtant, en cherchant bien, il n’est pas dit que Roger Corman n’ait pas tout de même cherché à griller la politesse à Robert Aldrich et même à Nathanson. Car si le livre ne parut qu’en 1965, il fut annoncé dès 1963, intéressant immédiatement le réalisateur et le studio MGM. Le brave Roger aura certainement eut vent de l’histoire annoncée et s’en sera servi pour compléter une autre source d’inspiration, un article au sujet de Dubrovnik que le futur fondateur de la New World aurait lu dans la salle d’attente de son dentiste… Telle est du moins la légende derrière L’Invasion secrète. Ajoutons que le sujet des marginaux enrôlés fut également au centre de l’obscure Attaque des commandos sortie en 1961. Ce qui n’est par contre pas une légende, c’est que pour l’une des seules fois de sa carrière, Corman fut épaulé par une grosse compagnie hollywoodienne, en l’occurrence la United Artists, venue s’immiscer sous couvert du rôle de distributeur dans le film de la “Corman Company”, c’est à dire Roger en réalisateur, son frère Gene en producteur, R. Wright Campbell (Mitraillette Kelly, Teenage Cave Man, Le Masque de la Mort rouge…) en scénariste et le fidèle Chuck Griffith (collaborateur de Corman pendant plus de 30 ans) en assistant réalisateur.
Mais qu’est donc venue faire la United Artists là-dedans ? C’est la question que se pose encore Roger Corman, pour qui cette expérience fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase, le dégoûtant à jamais du système hollywoodien. Argent jeté par les fenêtres, logistique organisée en dépit du bon sens, ingérence furent selon lui son pain quotidien. Bref, sur L’Invasion secrète, Corman fut sorti de ses habitudes, et ça il ne le tolère pas. Mais plus que d’un différent artistique, ce rejet démontre l’incompatibilité de la méthode Corman avec la méthode hollywoodienne classique. Le film, ou du moins certaines parties, témoignent du dépaysement professionnel qui perturba le réalisateur, mal à l’aise dans la gestion des scènes de combat les plus homériques employant une logistique rarement vue chez le réalisateur. Plus concrètement, ces combats sont à la limite du compréhensible. Alternant entre visions de près ou visions éloignées, ils rendent difficile la distinction des deux camps en lutte, chose accentuée par la tendance récurrente du réalisateur à mettre de la fumée partout (il aurait fallu dire à Roger qu’il n’était pas sur un plateau du cycle Poe !), nous cachant ainsi les personnages principaux qui auraient dû servir de points de repère… Mais même sans fumée, il aurait été difficile de déterminer qui est qui, puisque ces personnages sont habillés des uniformes nazis leur ayant précédemment permis de se tirer d’une mauvaise passe. Si l’on y ajoute la nécessité de bouger constamment la caméra pour donner plus de rythme à ces scènes, on finit par être perdus au milieu des affrontements. Cela aurait probablement fait de bien beaux moments pour un film en 3D… Mais L’Invasion secrète n’est pas de ceux-là, et les scènes de guerre à proprement parler ne sont en fait que de puériles scènes d’action où ça canarde à tout va. Au moins ne peut-on pas reprocher à Corman d’avoir réalisé un film mou.
En gros, sauf exceptions telles que le formidable Abattoir 5 de George Roy Hill, les films de guerre comptent deux catégories : une réflexive, portant généralement sur les conséquences ou les implications d’une guerre, et une spectaculaire. Bien entendu, les meilleurs sont ceux qui unissent ces deux aspects. Dans L’Invasion secrète, Corman ne vise que la seconde et n’affiche aucune velléité philosophique. Et ce n’est pas un mal, puisque si il limite la portée de son film il évite aussi et surtout le couplet sur l’héroïsme ou la béatitude pacifiste (“la guerre c’est mal !)” propre à bien des films de guerre au profit d’un déroulement limpide ne comptant que très peu de temps morts. Tout s’enchaîne bout à bout, quitte à ce que le film soit truffé de rebondissements un peu gros (comme le faussaire capable de fabriquer un faux tampon de la Wehrmacht avec une patate !), et le sentiment de lassitude est évité à l’aide d’un scénario changeant régulièrement la nature des épreuves rencontrées par nos cinq salopards et leur Major. De l’approche incognito, du tunnel à creuser, de la cellule à quitter, de la torture à subir, de l’allemand à mystifier, de la fuite effrénée… De quoi digérer les batailles mal foutues. Pour son film de guerre, Corman prône la légèreté et ne s’embête pas trop non plus avec ses personnages. Sur les cinq hommes de la mission suicide, un seul montre une réelle personnalité, qui n’a pas grand chose à voir avec la guerre. Il s’agit de John Durrell, le tueur. Taciturne, affichant une mine renfrognée comme seul son interprète Henry Silva peut en afficher, il semble au départ peu concerné par sa mission. Puis il rencontre Mila, une partisane qui comme lui a été endurcie par la vie. Veuve de guerre avec un bébé à charge, ombrageuse, elle est la compagne parfaite pour la fausse brute qui à son contact ressemblera de moins en moins à un Terminator et de plus en plus à la créature de Frankenstein via un drame assez osé pour un film de l’époque (en voulant empêcher les allemands de les repérer, Durrell réduit si bien le bébé au silence qu’il l’étouffe !). Cette amourette n’aboutit pas au déferlement de pathos, mais fait au contraire renaître le personnage de Durrell, qui en quête de pardon deviendra alors le plus efficace des mercenaires.
Les autres personnages jouent quant à eux les utilités : chacun est amené à un moment ou à un autre à utiliser ses capacités criminelles, et quelques uns se voient confier des tâches un peu plus précises. Ainsi, le terroriste irlandais joué par Mickey Rooney apporte une touche comique dédramatisant un peu plus la guerre, et l’italien Rocca (Raf Vallone) se montre tellement efficace qu’il en remplace le Major au commandement de la mission, imposant une touche guillerette qui, à défaut d’être réaliste (claquer des doigts pour remplacer la synchronisation des montres), est des plus appréciables. L’alchimie entre tous fonctionne bien, et de toute évidence Corman a utilisé l’argument des cinq prisonniers non pas pour en faire des têtes brûlées incontrôlables -leurs quelques révoltes jouent plus sur le ressort comique- mais plutôt pour sortir son film du prestige de l’uniforme et lui donner une touche de fantaisie. Tant et si bien que Stewart Granger, interprète du très guindé Major Mace, fit un caca nerveux pour se voir attribuer davantage de répliques (il faut dire que l’acteur amorçait son déclin, ce qui n’est guère facile à digérer). Il ne serait pas étonnant que la pseudo revanche recherchée par la Major, dont le frère a été assassiné par ces mêmes allemands, soit à rattacher à cette bouderie, tant elle semble hors-sujet. Corman ne s’y attarde pas, l’expédiant en une courte scène. Malgré les quelques difficultés rencontrées avec les gens de la United Artists, il signe là un petit film de guerre bien ficelé, toujours en mouvements, avec des personnages attachants ne se prenant pas pour des vedettes. Et puis son film rappelle aussi le rôle joué par les partisans yougoslaves dans la libération de ce coin de la Méditerranée, qui est assez souvent oublié. Les hôtes du tournage sont ainsi remerciés de leur amabilité, qui nous a permis de profiter des superbes décors de la côte yougoslave ensoleillée, alternative originale aux sempiternelles forêts ardennaises boueuses.