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L’Ile de la terreur – Terence Fisher

Island of Terror. 1966

Origine : Royaume-Uni
Genre : Science-Fiction d’épouvante
Réalisation : Terence Fisher
Avec : Peter Cushing, Edward Judd, Eddie Byrne, Carole Gray…

Il s’en passe de drôles sur l’île Petrie, en mer d’Irlande. Le cadavre d’un paysan vient d’être retrouvé et, sans qu’il n’y ait trace de mutilation, il présente la particularité de ne plus contenir un seul os. Interloqué, le docteur Reginald Landers décide de faire appel à une sommité : le pathologiste Brian Stanley, qui lui-même se tourne vers son collègue David West, spécialiste des maladies des os. Ensemble, et en compagnie de Toni, petite amie de David, ils raccompagnent Landers sur son île pour tenter d’élucider ce mystère scientifique. Ils aimeraient en outre y requérir l’assistance du célèbre Dr. Phillips, reclus sur Petrie pour travailler à un remède miracle contre le cancer. D’ailleurs il n’est pas exclu que cette étrange vague de désossements provienne de son laboratoire…

Dans la vague gothique britannique, il y a bien sûr l’indétrônable Hammer, qui lança le mouvement. Puis vint la Amicus et ses films à sketchs et enfin, déjà moins connue, la Tigon. Mais bien d’autres studios essayèrent d’avoir voix au chapitre, généralement sans réussir à tenir la distance. Planet Film Production est de ceux-là. Durant sa courte existence, de 1962 à 1967, elle produisit cinq films (et en distribua d’autres). Deux policiers pour démarrer puis trois films horrifiques : Orgie Satanique, L’Ile de la terreur et enfin La Nuit de la grande chaleur. Passons sur le premier, qui essaie coûte que coûte de capitaliser sur les vampires de la Hammer. En revanche les deux autres retiennent l’attention. Déjà parce qu’à cette occasion Planet Film réussit à débaucher les stars de la Hammer : Terence Fisher à la réalisation, Peter Cushing en tête d’affiche, rejoints par Christopher Lee dans le cas de La Nuit de la grande chaleur. Mais aussi, ces deux productions ont ceci d’original qu’elles voient le trio magique du gothique britannique s’essayer à un genre qu’ils avaient eux-même détrôné : la science-fiction à base de monstres mutants, avec expériences scientifiques hasardeuses, gentil héros et romance de rigueur. Ceci sans pourtant renier tout à fait la vague gothique. C’est ainsi que L’Ile de la terreur trouve le moyen de placer un vieux manoir avec ses murs de pierres, dans lequel le docteur Philipps s’adonnait à ses recherches secrètes sans jamais frayer avec une communauté villageoise autarcique comme l’on en rencontre tant dans les véritables films gothiques. L’atmosphère ambiante évoque également les films de la Hammer, avec cette campagne automnale donnant un côté très “conte” à l’ensemble, là où les films de science-fiction des années 50 se voulaient au contraire résolument modernes. C’est qu’à l’époque, les mésaventures imaginées par les scénaristes s’ancraient dans un contexte bien réel : tantôt la peur du rouge, tantôt les questionnements sur l’atome, tantôt les premières explorations spatiales… Rien de tout cela ici : Terence Fisher n’a d’autre but que de s’essayer à un style qui, déjà à l’époque, paraissait dépassé. Ce qui lui ôte même la pression d’avoir à rendre crédibles ses silicates, les monstres responsables des fameux désossements. Informes et caoutchouteux, dotés d’une trompe démesurée, ils évoquent bien les monstres des films à petits budgets de la décennie précédente et à ce titre il serait aisé de s’en gausser (et ne dédouanons pas Fisher qui ne les a pas conçus dans ce but : c’est juste que les effets spéciaux restaient limités). Par contre, et là dessus L’Ile de la terreur se rapproche plus des années 60, le traitement de ces monstres contourne habilement la timidité sur le gore en ayant recours à des effets sonores sans équivoques : un bruit de succion qui permet de se représenter à l’esprit la destinée des victimes évidées en hors-champ. Parfois, le méfait des silicates accompli, Fisher nous gratifie même de la vision de ces cadavres sans os, devenus de flasques épaves humaines.

Pourtant, dans le fond, si Fisher relève la sauce (et accroît les chances de succès au box office) en employant un décorum plus proche de la Hammer, s’il se permet plus d’audace en termes de violence et s’il évacue largement le commentaire politico-scientifique (réduit à une grossière morale en guise de conclusion), il n’en adopte pas moins la forme des films de monstres sans condescendance aucune. Après tout si la mode était passée, leur structure n’en restait pas moins efficace et ne demandait qu’à être réactualisée. Et c’est en fait à cela que s’attèle Terence Fisher… Plus de 60 ans plus tard, à l’heure où il ne saurait être question de monstres mutants sans qu’il n’y ait soit la démesure numérique hollywoodienne soit la pitrerie revendiquée des productions Syfy type Sharknado, cette modernisation apparaît elle-même complétement désuète. Ce qui ne lui enlève rien et lui donne même ce petit côté rafraichissant qui, peut-être plus encore que les meilleurs Hammer qui restent des incontournables du cinéma gothique, le rend bienvenu justement en raison du décalage avec les standards actuels. Grossièrement, le film se divise en trois parties difficilement séparables puisque évoluant avec naturel. Premièrement, nous avons donc l’exposition dans laquelle nous apprenons à connaître les personnages et sommes confrontés au mystère entourant les meurtres, qui à force d’être précisé entraîne les premiers face à face avec les monstres (capable de se diviser et donc de se multiplier à un rythme régulier) et les premières tentatives infructueuse pour les combattre. Ce qui nous emmène tout droit vers un branle-bas de combat général, lorsque toute la communauté se retrouve au courant du péril imminent et qu’il convient de lutter autant que de se protéger avec l’énergie du désespoir.

C’est donc une évolution fluide à défaut d’être véritablement crédible et qui permet de faire naître plusieurs sentiments chez le spectateur, factuellement jamais en avance sur les protagonistes (si ce n’est au moment de cette mise en bouche qu’est l’introduction, et encore : elle ne dévoile pas grand chose). Ainsi il y a le mystère suivi de la frayeur et enfin du suspense… Fisher sait y faire, et pour ringards que soient ses silicates, leur texture, leur lenteur et les bruitages électroniques qui les accompagnent (très rétro également), il réussit véritablement à capturer l’attention en bon maître du cinéma populaire qu’il est. Il est vrai qu’il peut compter sur l’aide non négligeable d’un Peter Cushing qui, en compagnie de son comparse Edward Judd (vu dans Le Jour où la Terre prit feu de Val Guest ou encore dans Les Premiers hommes dans la Lune de Nathan Juran) incarnent un duo de scientifiques au taquet. Hommes d’action autant que de savoir, ils peuvent autant échanger des supputations (pseudo-)scientifiques que manier le cocktail molotov. Brian Stanley, le personnage joué par Cushing, sait en outre faire preuve d’un certain humour pince-sans-rire dans ses réparties qui en fait un personnage très “British”, et -mais le fait que ça soit Cushing doit jouer- très attachant. De son côté, West doit également se soucier de Toni, sa petite amie qui n’a rien à faire là mais qui s’est imposée par la force du chantage (soit elle venait, soit elle ne prêtait pas l’hélico de son riche papa !). Elle représente ce type de personnage superflu, une pauvre petite chose égarée qui pleure dans les bras de son homme, que Fisher n’utilise même pas pour donner une touche sexy à son film. En revanche, là encore dans une optique très “50s” il lui confie la tâche de soigner les différents bobos et de s’occuper des villageois apeurés, troupe anonyme menée par un solide gaillard de maire avec les pieds sur terre et un immonde pull en laine rustique sur les épaules.

L’Ile de la terreur est mineur dans le genre “monstres” (il n’égale pas non plus les classiques du genre de la décennie précédente), il est mineur dans la filmographie de Terence Fisher, dans celle de Peter Cushing, et dans le tableau global des petites productions fantastiques anglaises… Malgré tout, et justement parce qu’il est bien conscient de ses limites mais qu’il n’en demeure pas moins fait avec sérieux -à l’opposé des productions Syfy mentionnées plus haut, pour laquelle la fuite en avant dans le ridicule tient lieu de politique d’ensemble-, c’est un film très plaisant. Une charmante série B qui donne envie de se replonger dans l’arrière-boutique du cinéma britannique de l’époque.

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