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L’Etrange Noël de monsieur Jack – Henry Selick

etrangenoel

Nightmare before Christmas. 1993

Origine : Etats-Unis
Genre : Comédie musicale fantastique
Réalisation : Henry Selick
Avec les voix de Danny Elfman, Chris Sarandon, Catherine O’Hara, Glenn Shadix…

A partir d’un de ses propres poèmes, Tim Burton décide en 1992 de créer une comédie musicale d’animation entièrement filmée en stop-motion avec des personnages fait surtout de pâte à modeler. Une première dans l’histoire du cinéma, mais une récréation pour le cinéaste, qui d’ailleurs, lui-même occupé sur Batman, le défi, délègue le poste de réalisateur à Henry Selick, débutant réalisateur spécialisé dans l’animation. Le film n’excède pas une heure et quart, et le scénario, quoique typiquement “Burtonien”, demeure assez simple, adressé avant tout aux enfants. On notera aussi que L’Etrange Noël de monsieur Jack est produit par Disney, la boîte de laquelle Burton était parti au début des années 80 après avoir fait ses premières armes en temps que réalisateur pour deux excellents court-métrages, Vincent et Frankenweenie. Toujours aussi frileuse vis-à-vis de l’univers macabre de leur ancien protégé, les pontes de la firme de Mickey décidèrent de faire passer le film sous la bannière de Touchstone Picture, leur branche un peu plus adulte. Il est vrai que L’Etrange Noël de monsieur Jack n’est pas un film comme les autres… Il nous présente l’histoire de Jack Skellington, star de Halloween Town, la ville qui comme son nom l’indique se consacre à la préparation de la fête d’Halloween, dans laquelle Jack brille systématiquement par ses créations macabres et effrayantes. Mais cela ennuie Jack, qui ne prend plus de plaisir à ce qu’il considère un peu comme de la routine. Une nuit de déprime, alors qu’il se promène dans les environs de Halloween Town, Jack parvient dans une clairière où se situent les portes vers les différentes fêtes populaires de l’année. Pénétrant dans l’univers de Noël, Jack est enthousiasmé par ce qu’il voit. De retour à Halloween Town, il décide avec l’aide de ses concitoyens de prendre lui-même en charge le prochain Noël, en remplacement du Père Noël, réduit à l’inactivité. Ce sera le début des emmerdes pour Jack, qui ne parviendra pas à comprendre l’esprit de Noël…

Si Burton, dans ses films précédents (il restait tout de même sur Edward aux mains d’argent et sur Batman, le défi), avait su allier son style visuel à ses thématiques, il n’en va pas de même ici, et le producteur -car n’oublions pas que le réalisateur est Henry Selick- se laisse totalement aller à son penchant pour l’esthétique. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est réussi ! D’un point de vue technique, déjà, puisque les personnages animés ainsi que les éléments de décor sont tous excellement conçus (jusque dans les plus petits détails, je vous encourrage d’ailleurs à bien regarder les arrières-plans), avec l’aide il faut le dire d’une compagnie qui allait plus tard se rendre célèbre : Pixar. La mise en scène de Selick rend hommage à ces créations (qui ne ratèrent l’Oscar que pour cause de la concurrence de Jurassic Park) et suit à la lettre le style de mise en scène de Burton, tout en lents travellings, très fluides, avec des mouvements bizarres et plutôt aériens. Mais que seraient ces succès techniques sans la pertinence du look général ? C’est là que réside l’un des points forts du film. Burton se lâche totalement et tout son univers est ici synthétisé. L’architecture de Halloween Town évoque les villages des productions horrifiques de la Universal des années 30, en encore plus biscornus, et avec des couleurs vives venant ressortir sur la noirceur du lot. Par delà le noir absolu règne donc l’orange des citrouilles, le jaune de la lune, ainsi que d’autres couleurs elles aussi très vives, très saturées, qui donne son identité visuelle à un village qui est peuplé de personnages eux aussi inspirés par les classiques de l’épouvante qu’apprécie Burton. On retrouvera donc un loup-garou, des vampires, une momie, la créature du lagon, des morts-vivants, et, probablement le plus important, une créature de Frankenstein qui ici est une femme, Sally. Il s’agit d’une poupée sexy et sensible dont les membres sont cousus entre eux et qui est secrètement amoureuse de Jack. Non pas que le personnage en lui-même soit très utile, mais il est en tout cas la quintessance de l’affection que porte Burton pour tous ces personnages monstreux. Sally n’agit pas, son utilité est quasi-nulle (elle essaie en vain de prévenir Jack du danger de son entreprise et elle passe son temps à se libérer de son créateur, le Docteur Finkelstein), mais elle donne au film la touche émotionnelle dont il avait besoin et qui contribue à le rattacher encore davantage au style un peu onirique et rêveur de Tim Burton.

Il faut également évoquer la ville de Noël, en complet décalage avec celle de Halloween, puisque là ce sont les couleurs et l’ambiance chaleureuse qui dominent. A priori, ce n’est pas forcément le milieu préféré de Burton, mais celui-ci s’en sort également très bien en ne nous faisant visiter cette ville qu’une seule fois, de nuit, sous la neige. C’est probablement dans cette scène que l’on voit le plus nettement toute la beauté des personnages en pâte à modeler, de la mise en scène ainsi que de la musique de Danny Elfman, qui pour cette séquence livre l’une des meilleures chansons du film. Car n’oublions pas qu’il s’agit aussi d’une comédie musicale, et que les chansons arrivent à une fréquence très soutenue. Danny Elfman, en plus d’avoir lui-même écrit les morceaux, s’en fait l’interpète lorsqu’ils doivent être chantés par Jack (dans les scènes sans chansons, le même personnage est doublé par Chris “Vampire… vous avez dit vampire ?” Sarandon). La musique est assurément l’autre point fort du film : elles sont toutes superbes et fusionnent à la perfection avec le style visuel du film. Elfman se permet même une petite fantaisie toute personnelle avec le personnage de Oogie Boogie, lui-même inutile au script, mais qui permet à l’ancien chanteur de Oingo Bongo de verser dans un style boogie au milieu d’un décor de casino vegasien à la sauce Burton. Les paroles des chansons ont beau généralement n’être que des explications excessives sur l’évolution du scénario, la chorégraphie de chaque scène musicale fait amplement pardonner ce défaut. Toute l’inspidié du scénario est d’ailleurs excusée : Burton cherche à créer ici un conte de Noël différent, basé sur son propre univers, celui d’Halloween. Les éléments référentiels à ses précédentes oeuvres sont légion, citons à titre d’exemple certains acteurs ayant prêtés leurs voix aux personnages : hormis Danny Elfman, on retrouve également Glenn Shadix (le médium de Beetlejuice), Catherine O’Hara (la mère de Wynona Ryder dans Beetlejuice également) ou Paul Rubens (Pee-Wee). Plusieurs élements sont également repris des précédents films de Burton : le ver des sables de Beetlejuice, le canard jouet de Batman, le défi et Jack Skellington lui-même, furtivement vu dans Vincent ou dans Beetlejuice ! Burton fait donc véritablement un film personnel, un film pour lui-même, pour se faire plaisir, et eventuellement faire plaisir à son jeune public, qu’il n’abreuve ni de morale ni de clichés. Il aurait même plutôt tendance à le surprendre et à l’amuser, avec bien entendu en point d’orgue la distribution de cadeaux de Noël morbide (têtes coupées, poupées tueuses, serpents) par un Jack devenu Père Noël sans avoir compris le principe du poste !

L’Etrange Noël de monsieur Jack est un film simple (voire simpliste), mais un film très différent de tout ce qui se fait dans le genre. La récréation réussie d’un Tim Burton alors au sommet, et qui avec son imagination sans limite pouvait se permettre de livrer un film à ce point dédié à la création d’une atmosphère, au détriment du scénario. Bien entendu, certains spectateurs pourront saturer devant un tel parti-pris (tout le monde n’est pas obligé d’apprécier les créations graphiques du bonhomme), mais les autres n’y trouveront rien à redire et se contenteront de regarder, d’écouter, et d’admirer.

 

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