Hook – Steven Spielberg
Hook. 1991.Origine : États-Unis
|
Peter Banning, la quarantaine bedonnante, ne vit que pour son travail, au grand dam de son épouse et de ses deux enfants. Même lorsqu’il consent à leur accorder un peu de temps, il reste pendu à son téléphone à la moindre sollicitation. Leur séjour londonien chez mamie Wendy ne déroge pas à la règle. Loin de l’adoucir, celui-ci accroît son stress. Un stress qui se transforme en peur panique lorsque ses enfants sont kidnappés dans des conditions aussi étranges qu’extraordinaires. Se pourrait-il, comme l’atteste un message à son attention, que l’auteur du rapt soit le Capitaine Crochet ? Et qu’alors, lui-même serait Peter Pan ? Incapable d’y croire, Peter se retrouve malgré tout à suivre la fée clochette jusqu’au pays imaginaire, bien décidé à récupérer ses petits.
Steven Spielberg est tout de même un drôle de bonhomme ! Alors qu’on le pensait définitivement acquis à la cause du film respectable, comprenez “oscarisable” (La Couleur pourpre en 1985, et L’Empire du soleil en 1987), celui que l’on surnommait alors le « Wonder Boy » fit brusquement machine arrière, au point de céder à une sévère forme de régression. Tout au long de sa carrière, Steven Spielberg a souvent démontré une certaine naïveté dans son approche des personnages et des rapports humains. Une naïveté qui dans le pire des cas confine à la niaiserie. S’il parvient à l’éviter –de justesse– le temps d’un Indiana Jones et la dernière croisade, par ailleurs bien mollasson, il y sombre corps et bien avec Always, avant de toucher le fond à l’occasion de Hook, dispendieux caprice. L’échec est d’autant plus étrange que Steven Spielberg paraissait le plus indiqué pour réaliser une bonne adaptation de l’illustre création de James Barrie. A cela, j’avancerais une explication : un mauvais timing.
Steven Spielberg s’intéresse au personnage de Peter Pan de longue date. A 30 ans, il envisageait même de réaliser une adaptation du dessin-animé des studios Disney. Pour peu stimulant qu’il fut, ce projet était au moins riche de promesses en matière de spectacle, domaine dans lequel le réalisateur excelle. Or, pour des raisons qui lui sont propres, il remisa le projet au placard pour ne s’y intéresser à nouveau que bien plus tard –au mitan des années 80– à une époque transitionnelle à tous les niveaux. La quarantaine approchant, il ne peut décemment plus traiter le sujet comme il en avait jadis eu l’intention. Le grand spectacle l’intéresse désormais moins que les rapports humains. On comprend alors mieux que le scénario de Jim Hart ait pu le décider à sauter le pas. Ce Peter Banning vieillissant, délaissant sa famille au profit de son travail lui parle forcément davantage qu’un garçonnet insouciant et impétueux d’une douzaine d’années. Et ce d’autant plus que lui-même éprouve le sentiment d’accorder trop de temps à son travail au détriment de sa vie de famille. Hook prend alors valeur de mea culpa de la part d’un réalisateur en pleine remise en question. Et il se double également d’un discours sur le pouvoir de l’imaginaire, et son importance dans l’équilibre de chacun. Jusqu’à son “extraordinaire” aventure, Peter Banning croyait être un bon père car il subvenait aux besoins des siens, sans comprendre que ce dont sa famille appelait de ses vœux était sa seule présence. En renouant avec l’enfant qu’il a été, il devient enfin ce père tant espéré, à la fois complice et empreint de légèreté. Sur ce postulat des plus régressifs, le choix de Robin Williams pour incarner Peter Banning s’impose comme une évidence, lui qui n’a pas son pareil pour paraître plus enfantin que le plus puéril des gamins. Face à cette horde d’enfants perdus incontrôlables, l’avocat intraitable perd de sa superbe, au point de rapidement baisser pavillon et finir comme eux à jouer avec la nourriture, dans une orgie de couleurs toutes plus criardes les unes que les autres. Steven Spielberg fait preuve d’un mauvais goût qu’on ne lui connaissait guère. Son pays imaginaire se limite à une succession de chromos qui ne parviennent jamais à lui donner chair. Tourné essentiellement en studio, Hook peine à cacher ses origines factices, peu aidé par un réalisateur qui ne cherche jamais à créer l’illusion. Un comble, compte tenu du sujet. Ainsi, d’ébouriffantes aventures il n’y aura point, le film accusant un statisme navrant, à l’image du galion du Capitaine Crochet, désespérément à quai. Le faste des décors, la profusion de figurants, et la distribution prestigieuse jusque dans certains caméos de luxe (Phil Collins, Glenn Close), ne suffisent pas à masquer la vacuité de l’entreprise. Il n’y a pratiquement rien qui fonctionne. Les bons sentiments chers à Spielberg dégoulinent sans retenue jusqu’à l’overdose, synthétisés par ce conflit père-fils que tente d’exploiter un Capitaine Crochet plus très fringant et à la lisière du ridicule. En dépit de l’abattage du cabot Dustin Hoffman, ce Capitaine Crochet ne revêt aucune dimension dramatique. Sa cruauté légendaire n’est qu’illusion, davantage propice à la blague qu’à une réelle caractérisation. Son duel avec Peter Pan n’en est que plus décevant, triste spectacle d’une déchéance devant un parterre de gamins plus amusés qu’effrayés. Et comment pourrait-il en être autrement lorsque l’opposition se résume à une bande de bras cassés, aisément mis hors d’état de nuire à coup de jets de peinture et autres œufs fraîchement pondus ? A trop vouloir dispenser un spectacle familial, Steven Spielberg est tombé dans l’effet inverse, rendant son film insupportable pour peu que vous ayez plus de 10 ans.
Film mou, aux talents gâchés (des décors mal exploités aux acteurs de renom engagés pour jouer des coques vides, Hook fournit un bel exemple d’argent dépensé en dépit du bon sens), Hook recèle malgré tout quelques rares bons moments, histoire de nous rappeler que ce n’est pas n’importe qui derrière la caméra. Des instants de grâce qui, comme par hasard, ne reposent aucunement sur une imposante logistique. Ainsi, toute l’entame du film dans un Londres enneigé se retrouve empreinte d’un merveilleux qui par la suite fera cruellement défaut au film. En quelques plans sur une frise illustrée de vieux galions, soutenus par la musique du fidèle John Williams, Spielberg réussit à invoquer le souvenir des vieux exploits de Peter Pan avec plus de pertinence et de subtilité que durant tout le réapprentissage de Peter Banning. Plus démonstrative, la conversation ultérieure entre mamie Wendy et Peter prolonge néanmoins la magie sur le même mode mélancolique. A cet instant, le film semble lancé sur de bons rails, à la fois respectueux de l’œuvre originale, et disposé à en proposer un prolongement pertinent et sensible. Las, entièrement dévoué à son spectacle infantile, Spielberg ne retrouve par la suite cette subtile alchimie que le temps d’une scène, lors de laquelle le passé –autrement dit le roman– est à nouveau convoqué. Une rare bouffée d’oxygène dans un océan de niaiseries tape-à-l’œil.
Foncièrement raté, Hook n’augurait rien de bon pour la suite de la carrière de Steven Spielberg, tant il paraissait ici dépassionné et un brin flemmard. Un sentiment guère démenti par la machine à dollars Jurassic Park, pour lequel néanmoins, il retrouvait un peu de son savoir-faire, l’espace de quelques scènes. Et puis vint La Liste de Schindler, qui démontra qu’au contraire, Spielberg en avait encore sous le capot. En somme, ce retour en enfance, pour pénible qu’il fut pour nous autres spectateurs, s’est avéré bénéfique pour lui, sonnant comme un nouveau départ. Ce qui était loin d’être gagné d’avance.