CinémaHorreur

Nosferatu – F.W. Murnau

nosferatu

Nosfertu, eine Symphonie des Grauens. 1922

Origine : Allemagne 
Genre : Horreur 
Réalisation : F.W. Murnau 
Avec : Max Schreck, Gustav von Wangenheim, Greta Schröder, Alexander Granach…

Employé par un agent immobilier de la ville allemande de Wisborg, Thomas Hutter (Gustav von Wangenheim) est envoyé dans les Carpates par son patron Knock pour régler la vente d’une propriété abandonnée. Au pays des fantômes, il doit rencontrer l’acheteur : le sinistre Comte Orlok (Max Schreck), dont le simple nom suffit à terroriser les paysans du coin. Ne prêtant guère attention à ce qu’il considère être des superstitions, Hutter se rend au château Orlok, où il sera bien forcé d’admettre que le comte est bel et bien un vampire, et qu’il projette de rependre la mort à Wisborg…

On ne présente plus le Nosferatu de Murnau, l’un des rares films muets à être encore sollicité unanimement par la critique et par le public. La petite histoire derrière sa réalisation est archi-connue : n’ayant pas pu obtenir les droits d’adaptation de Dracula, Murnau refit le même coup que pour son Crime du Docteur Warren (alias Dr. Jekyll et Mr. Hyde, avec un certain Bela Lugosi) et modifia tous les noms d’origine, ce qui provoqua la colère de la veuve Stoker, laquelle obtint de faire détruire tous les négatifs du film, ainsi que les copies en circulation. Dommage pour elle, bien des copies avaient déjà été envoyé à l’étranger, et il ne fut pas difficile d’en voir ressortir certaines (notamment en France, où pour le coup les cartons de dialogues utilisaient même les noms du roman). Cela dit, les versions ont pu varier d’un endroit à un autre. L’originale est celle de 90 minutes défilant au rythme de 18 images teintées par seconde, à la différence d’une autre fort rependue, en noir et blanc et avec 24 images par seconde (la durée étant alors de 60 minutes). Il est bien entendu préférable de regarder Nosferatu dans sa version d’origine, ne serait-ce que pour profiter des teintes apportées par Murnau, qui n’ont pas été utilisées au petit bonheur la chance pour faire joli. Elles peuvent aussi bien souligner la différence entre les scènes de jours et celles de nuit qu’orienter les sentiments du spectateur dans une direction ou une autre. En ces temps du muet, le cinéma est condamné à s’exprimer par d’autres moyens que les dialogues, réduits au rangs de cartons plutôt rares (il ne s’agirait pas de perdre le spectateur en abusant des cartons). Murnau en fait bon usage, d’ailleurs, respectant le mode de narration de Stoker partagé entre les coupures de presse, les échanges épistolaires et les dialogues.

Mais le sens doit naître des images en elles-mêmes, ce qui à la vue de certains films contemporains surexplicatifs laisse à penser que quelques réalisateurs feraient bien de s’essayer au muet pour apprendre à éviter l’utilisation de dialogues lourds et inutiles. Ainsi, Nosferatu opte pour un style esthétique qui ne pouvait pas mieux être utilisé qu’au temps du muet : l’expressionnisme. Moins marqué que dans Le Cabinet du Dr. Caligari, autre grand classique fantastique allemand de l’époque, il reste malgré tout omniprésent par le jeu de ses acteurs, très portés sur la théâtralité et l’accentuation des traits du visage. Chaque élément caractéristique susceptible de provoquer l’effroi du spectateur est mis en relief, tels que le rictus de Knock (l’équivalent de Renfield) ou le physique entier d’Orlok (l’acteur Max Schreck fut choisi par le réalisateur en fonction de son apparence effrayante même sans maquillage, ce qui fait de lui l’ancêtre d’un Boris Karloff). La même accentuation est valable pour les zones d’ombres, qui rongent littéralement l’écran, ou encore pour l’architecture gothique toute en arcs brisés du château d’Orlok. Émanation de ce style, le vampire se retrouve dans son élément naturel : le spectacle de son visage monstrueux et de sa rachitique silhouette griffue sortant des ténèbres compte encore à ce jour parmi les moments les impressionnant du cinéma d’épouvante. Avec son expressionnisme, Murnau s’inscrit dans le prolongement du mouvement romantique et gothique pictural (type Caspar Friedrich) du XIXème siècle et assimile son film à une symphonie de l’horreur (la “Symphonie des Grauens” du titre original), divisée en cinq actes séparant chaque progression dramatique de l’intrigue. Quand à la musique originale de Hans Erdmann, elle ne figure sur aucune édition DVD, remplacée en France dans la “collection ciné-club” par les compositions de Galeshka Moravioff (qui peinent à coller au film en raison des deux version proposées et de leur durée différente).

Il ne faudrait pourtant pas réduire Nosferatu à sa seule esthétique, aussi marquante celle-ci soit-elle. Désireux de ne pas faire du vent artistique, Murnau construit une vraie histoire, qui commence d’abord par respecter presque à la lettre le livre de Bram Stoker. La traversée des Carpates, la calèche qui le recueil lorsque ses transporteurs le laisse tomber, la rencontre avec Orlok / Dracula, la prise de conscience, la fuite… Tous les principaux évènement sont respectés, et Murnau incorpore même à son film la séquence du bateau, généralement vite torchée dans les autres adaptations. Le plus intéressant vient après : à partir de l’acte 4, le réalisateur innove totalement. Il était déjà devenu évident que Hutter et sa fiancée Ellen (Greta Schröder) allaient être les personnages principaux, que Van Helsing (devenu le professeur Bulwer), Lucy, Seward allaient devenir des personnages insignifiants, que Knock (Alexander Granach) n’allait jamais renier son attirance au mal et que d’autres allaient passer à la trappe (comme Quincey Morris… bien rares sont les adaptations à l’intégrer, d’ailleurs). Murnau simplifie donc son intrigue, et pas uniquement dans le but de pouvoir limiter son film à une durée de 90 minutes. Plus que les personnages de “gentils”, c’est son Comte Orlok qui l’intéresse. Le vampire incarne le mal absolu, et sa présence empiète sur son environnement. Au même titre qu’il boit le sang de ses victimes, il absorbe toute la vitalité des lieux qu’il traverse, prenant la forme de rats pour propager la peste sur la ville de Wisborg via le bateau qui l’a conduit jusque là. “L’oiseau de la mort”, tel est son surnom, propage son ombre partout, donnant à la ville l’allure qui est la sienne, celle de la maladie et de la mort.

Cette désolation fait sans aucun doute écho à la situation de l’Allemagne ravagée après la première Guerre Mondiale. Puissance étrangère, le vampire place le pays sous son contrôle en lui suçant littéralement le sang et en pervertissant sa nature. Moralement, il détruit aussi l’individu, tentant de briser l’histoire d’amour entre Hutter et sa femme Ellen. Si les sous-entendus sexuels sont moindres que dans les adaptations ultérieures de Dracula, il n’en demeure pas moins que le sombre nosferatu fait figure de pulsion pour la femme (qu’il est capable d’interpeller depuis ses Carpates) voire même pour l’homme (certains voient en lui l’homosexualité que Hutter tente de rejeter, les plans en négatifs faisant office de subconscient freudien). Orlok peut même prendre des connotations politiques : en se présentant en chair et en os dans un lieu ravagé, il fait office d’unique sauveur, celui à travers lequel tous les plus sombres envies pourront s’exprimer. De là à affirmer que Murnau prédit ainsi l’ascension d’Hitler rien qu’en regardant l’état de l’Allemagne en 1921 (année du tournage), il n’y à qu’un pas. Empreint d’un sombre romantisme typiquement allemand, le film peut ainsi (et entre autres choses) se faire l’écho d’évènements passés, présents et futurs témoignant de la parfaite analyse que porte le réalisateur sur son pays. Les lectures possibles de Nosferatu sont nombreuses et profondes, et il n’est pas étonnant que le film soit devenu un objet d’analyses universitaires. La conclusion de tout ceci n’est guère originale, mais il faut pourtant en convenir : Murnau a réalisé un film essentiel. Les autres films de vampires y ont même repris l’idée du soleil destructeur, qui n’était pas dans le livre de Stoker !

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